Dans ce roman d’anticipation, ce qui frappe d’abord c’est la sensation d’être presque arrivé au monde décrit par l’autrice. Un futur proche dont nous connaissons tous les éléments : épuisement des ressources, conflits entre groupes humains pour y accéder, surveillance et contrôles des corps et des idées. Le prix à payer pour conserver les ressources encore disponibles est l’abandon des libertés : liberté du corps des femmes appelées « contributrices », liberté des mots et des livres car vecteurs d’autres possibles, liberté d’aller et venir dans un monde barricadé pour empêcher les uns de partir, et les autres d’entrer. Plusieurs fils peuvent être tirés à travers l’ouvrage : exil, vie démocratique et engagement, littérature comme vectrice d’émancipation, avec pour maillage principal l’écologie et le féminisme.
Aux confins de cette société qui enferme et isole, un groupe de sœurs a voulu bâtir un autre monde, dans le respect de la nature et tout en sororité. Pour raconter ce monde pesant, Eve, Louise, Grace ou encore Raphaël, laissent entrevoir les voies vers la résistance et vers d’autres modèles de vie en commun.
Extrait du récit de Louise
« Le climat n’est pas stable, dans beaucoup de régions. Ici on a la chance d’avoir très peu souffert, à l’intérieur des terres, surtout grâce aux forêts et aux sources d’eau douce qui forment le grand fleuve dont l’eau n’est exploitable qu’après décantation. J’ai questionné ma mère, souvent, pour qu’elle raconte, « comment c’était avant ? ». Elle a peu de mémoire de cette période-là et n’a pas de photos. Les données numériques comme les archives papier ayant été saisies, il n’y a plus d’images. »
« Ils ont dit nous vivrons, mais il faudra détruire dans chaque bibliothèque, dans chaque librairie et dans chaque maison, tout ce qui pourra nuire au moral des jeunes. Ils ont dit que les femmes devront contribuer à l’effort national, de même que les hommes, chacun de la manière la plus appropriée pour la perpétuation. Produire et reproduire. »
La grande force du récit de Wendy Delorme est de donner cœur et âme à un concept parfois mal perçu, assez méconnu et complexe à discuter, celui de l’écoféminisme. Ce mouvement est décrit par la philosophe Emilie Hache de la manière suivante dans « Reclaim », un recueil de textes écoféministes : « On ne comprend pas ce mouvement et ce courant d’idées qu’est l’écoféminisme si l’on ne prend pas en compte le contexte politique des années 1980 duquel il émerge : celui de la course à l’armement nucléaire liée à la guerre froide, à laquelle s’ajoute la publication du rapport du Club de Rome, des déforestations massives sur plusieurs continents ou encore plusieurs famines sur le continent africain, soulignant le début d’une crise écologique nous obligeant à revoir notre système de valeurs comme politique ». De ce contexte des années 1980 émergent des mobilisations qui inventent de nouvelles formes d’actions collectives.
Le livre de Wendy Delorme s’ajoute à d’autres textes existants dans différents pays pour lier actions contre la nature, actions contre les femmes et nécessité de réactions communes. Publié dans la collection « sorcières » des éditions Cambourakis, auquel appartient aussi le recueil de textes choisis et présentés par Emilie Hache, ce récit est, comme les autres ouvrages de la collection, militant et engagé. Il est aussi poétique. Le texte se lit comme on scande un récit. On aperçoit des lueurs d’espoir dans la lutte qui s’organise. Les trajectoires convergent quand vient le temps du feu.
Viendra le temps du feu, Wendy Delorme – éditions Cambourakis