Manifestation du samedi 11 mars 2023 en France contre la réforme des retraites. Jeanne Menjoulet/CreativeCommons.
Comme chaque 8 mars depuis plusieurs années, le Vieux-Port est occupé en ce début d’après-midi de journée internationale de lutte pour les droits des femmes et minorités de genre. Zone d’accueil pour les enfants, atelier pancartes pour la manifestation du soir, répétition de chants féministes et stands, on s’active et on échange au coeur du centre-ville de Marseille. Derrière les tables colorées et garnies de tracts, revues et affiches, des structures locales et associatives, actives sur le champ des violences sexistes et sexuelles mais aussi, cette année tout particulièrement, des représentantes syndicales. Le contexte de mobilisation contre la loi de réforme des retraites en France a poussé les organisatrices à inviter des structures représentatives des travailleuses afin de mettre en lumière la question des retraites et du travail. Sur le stand du SNUipp, représentatif des enseignants de l’école primaire, Nadine entame facilement la conversation et distribue brochures et tracts. Enseignante de maternelle dans le 13ème arrondissement de Marseille, elle se mobilise depuis le début de l’année pour chaque grande journée de manifestation : «avec un bac plus 5 et des congés maternité au fil de ma carrière, si je veux accéder à une retraite complète il faut déjà que je travaille jusqu’à 67 ans… alors avec la réforme, comment pouvoir espérer partir avec toutes mes annuités ? Vous m’imaginez à 71 ans avec des enfants de 3 ans qui courent et crient autour de moi ?», interpelle-t-elle.
Inégalités salariales
Selon l’économiste Michaël Zemmour, 60% des économies envisagées par la réforme des retraites actuelle en France reposent sur les femmes. L’étude d’impact de la loi retraite reconnaît d’ailleurs que les femmes devront allonger la durée de leur carrière davantage que les hommes. Par exemple, une salariée née en 1980 devra travailler 8 mois de plus, contre 4 mois pour un homme, pour espérer une retraite à taux plein. Dans les faits, elles partent déjà en moyenne avec des pensions inférieures à celles des hommes ; en 2022, la retraite moyenne des femmes est de 1 272 euros par mois contre 1 674 euros pour les hommes.
Des inégalités qui prennent racine dès l’entrée sur le marché du travail. Le numéro spécial «8 mars» de l’Université syndicaliste (édité par le syndicat des enseignants du secondaire) présente des chiffres édifiants pour détailler la situation dans l’Education Nationale. Un enseignant reçoit en moyenne 8% de traitement brut en plus pour une même ancienneté par rapport à une enseignante. Des femmes qui font face à ce que la revue appelle «un plancher collant» pour illustrer le fait qu’une femme entrant au même moment qu’un homme dans sa fonction mettra plus de temps à gravir les échelons.
Dans la fonction publique, comme dans l’ensemble de la société française, les femmes sont en effet moins bien payées que les hommes. Tous temps de travail confondus, une salariée française touche en moyenne 28,5% de moins, selon une étude de l’Observatoire des inégalités en 2017. Cela s’explique notamment car les femmes subissent plus de temps partiel, ont des carrières hachées ou occupent des emplois précaires.
Dans l’éducation nationale, l’une des fonctions les plus précaires est celle d’AESH (Accompagnement des élèves en situation de handicap). Des postes largement occupés par des femmes. Les temps partiels y sont largement subis, la majorité des contrats sont de 24 heures par semaine selon la FSU (Fédération Syndicale Unitaire- qui regroupe des syndicats de l’enseignement). La rémunération moyenne au premier CDD est de 800 euros net, en dessous du seuil de pauvreté. Carla élève sa fille seule. Peu qualifiée et isolée, elle a accepté un poste d’AESH dans un établissement scolaire de Marseille afin de pouvoir aller chercher sa fille à l’école tous les soirs sans pour autant être inactive pendant les premières années de la scolarité de sa fille. En 2019, une étude de l’Insee dans les Bouches-du-Rhône démontre que la moitié des mères isolées vivent sous le seuil de pauvreté.
Travail domestique
A ces inégalités salariales et de statut s’ajoutent une part souvent invisible et non prise en compte en termes de rémunération. Celle que la sociologue Maud Simonet présente dans son ouvrage Travail gratuit : la nouvelle exploitation ?. Travail domestique, bénévolat, service civique ; autant d’activités qui participent au développement des associations, des services publics ou des entreprises. Comment le mesurer ? Est-il assigné ? Autant de questions que pose l’ouvrage de Maud Simonet et auxquelles elle répond en s’appuyant notamment sur les études féministes à propos du travail domestique dans les années 1960 -1970. En France, le volontariat est pris en charge à 60% par les femmes et il représente un travail non rémunéré et invisibilisé bien que d’utilité sociale. Pour la sociologue, ce travail relève de l’exploitation en s’appuyant sur des valeurs comme l’amour, la solidarité ou la citoyenneté.
A la lecture de l’ouvrage Le Capitalisme patriarcal de Silvia Federici, on se rend compte que le travail domestique et sa généralisation dans les sociétés occidentales est intimement liée au développement de l’industrialisation. L’universitaire et militante féministe, née à Palerme en Italie, remonte l’histoire et explique qu’afin de pouvoir garantir une bonne productivité des ouvriers à la fin du 19ème siècle, les femmes ont été incitées à rester à la maison et à prendre soin du foyer.
L’enseignante défend d’ailleurs l’idée d’un salaire pour le travail ménager et a même contribué à la naissance d’un mouvement portant cette revendication dans les années 1970. Selon elle, le ménage, l’éducation des enfants, ou la prise en charge des aînés dépendants, reviennent encore globalement aux femmes, même si celles-ci occupent des emplois à temps plein. Les personnes rémunérées pour les aider dans ces tâches sont encore en majorité des femmes, dans l’ensemble mal payées et souvent privées de protection salariale.
Les mouvements des femmes de chambre de grandes chaînes hôtelières dans plusieurs villes de France ces dernières années ont contribué à mettre en lumière des travailleuses souvent invisibles. A Marseille, il aura suffit d’une journée en août 2022 pour que les salariées des hôtels Adagio obtiennent ce qu’elles revendiquent. Vingt-deux mois de lutte ont été nécessaires, à l’hôtel Ibis de Batignolles, près de Paris. Le 25 mai 2021, les 20 salariées en grève signent enfin un accord pour améliorer leurs conditions de travail. Baisse des cadences, augmentation de salaire, panier repas, prise en compte du temps d’habillage dans leur journée de travail, «une très grande victoire» pour l’une des meneuse de la lutte, Rachel Keke Raïssa.
Aujourd’hui députée du Val-de-Marne à l’Assemblée Nationale, elle porte notamment la parole de ces femmes, et de toutes celles qui occupent des postes précaires. Son discours à propos du projet de réforme des retraites en est l’illustration : «Vous n’avez pas le droit de mettre à genoux les gens qui tiennent la France debout», a-t-elle interpellé le gouvernement et les députés français de la majorité dans l’hémicycle, le 7 février 2023. «Vous ne comprenez pas la dure vie des gens. Vous ne comprenez pas à quel point il y a des métiers difficiles ! Vous ne comprenez pas ceux qui disent avoir mal au dos au réveil. Vous ne comprenez pas ceux qui prennent des médicaments pour pouvoir tenir au travail ! Vous ne comprenez pas, parce que vous ne le vivez pas», a insisté Rachel Kéké.
Égalité salariale
En Algérie, la part des femmes sur le marché du travail a augmenté depuis l’Indépendance. En 2019, elles représentaient 20% des personnes actives (soit l’addition des personnes qui travaillent dans le secteur formel et des personnes qui sont inscrites dans les agences de recherche d’emploi), selon l’Organisation nationale de la statistique (ONS). Elles n’étaient que 5% en 1977. «Cependant, après avoir progressé régulièrement entre 2005 et 2013, aussi bien en volume qu’en proportion de l’emploi total, l’emploi féminin présente depuis 2014 une évolution fluctuante», souligne le rapport Femmes algériennes en chiffres 2019, du CIDDEF, le centre d’information et de documentation sur les droits de l’enfant et de la femme.
Les données de ce rapport soulignent également la différence dans le type d’emploi détenu par les femmes et par les hommes. Plus de 61% des femmes qui travaillent ont un emploi dans la fonction publique. L’ONS estime que 53% des femmes qui travaillent ont des emplois salariés permanents et 19% appartiennent à la catégorie des employeurs ou indépendants. Tandis que pour les hommes, seuls 35% d’entre eux ont un emploi salarié permanent, et 33% sont des employeurs ou des indépendants. La sociologue de l’urbain Khadidja Boussaid souligne l’importance du critère de stabilité dans le choix d’emploi pour les Algériennes. (Voir l’entretien avec Khadidja Boussaid).
Dispositifs de soutien à l’emploi
Si la loi algérienne consacre l’égalité salariale dans le secteur public, les experts mettent en avant ici également le principe du «plancher collant» : « Des femmes refusent certains postes car ils vont impliquer de travailler beaucoup d’heures, de travailler la nuit, de travailler avec beaucoup d’hommes, ce qui peut créer des soucis dans certaines familles, ou de faire des déplacements. Or ces femmes ont des tâches domestiques à assurer », explique Sanaa Hamadouche, experte genre et gérante de Astarté Conseil, un bureau d’études. «Dans les institutions publiques, la loi est là pour empêcher les inégalités salariales. Cependant, dans le secteur privé, on constate par exemple une valorisation des hommes pour certains postes, mieux payés, sous prétexte que le poste nécessite plus d’heures de travail, et on va privilégier l’emploi des femmes à un poste de secrétaire, même si elles ont un diplôme d’ingénieure », ajoute-t-elle.
Son bureau d’études a lancé Nissa, Nouvelles Initiatives de Soutien Solidaire et Actif pour les femmes, un projet pour «soutenir les actions et les initiatives individuelles de femmes ou de collectifs de femmes dans la promotion et la défense de leurs droits». L’un des axes du projet consiste à soutenir les femmes entrepreneures. « Les principaux obstacles auxquels elles sont confrontées sont d’abord, le fait que souvent, elles ne sentent pas capable de gérer une entreprise, ensuite qu’elles manquent d’information sur comment commencer et enfin, elles manquent de ressources financières pour l’apport de départ », analyse Sanaa Hamadouche.
Dans les années 2000, les autorités algériennes ont mis en place des dispositifs de soutien à l’emploi de deux types : des micros-crédits pour l’achat de matière première d’une part, et des prêts pour la création d’entreprise d’autre part. En 2019, au total, plus de 500 000 Algériennes avaient bénéficié d’un micro-crédit, selon le rapport du CIDDEF, presque deux fois plus que les hommes. Mais à l’inverse, elles n’étaient que 37 000 à être intégrées dans les dispositifs pour les entrepreneurs, ANSEJ et CNAC, soit 10 fois moins que les hommes. «Les actions menées par les organismes de crédit ont peu contribué à modifier la place des femmes entrepreneurs», souligne le rapport du CIDDEF.