Prisée des touristes pour ses plages et sa vie nocturne, Tel-Aviv abrite également des trésors d’architecture moderne. Un patrimoine intimement lié à l’histoire de son développement dans les années 1930.
Les centaines de touristes qui déferlent sur ses plages chaque année sont encore nombreux à l’ignorer, mais Tel-Aviv abrite 4 000 bâtiments de style Bauhaus, du nom d’une école allemande*. Une particularité qui lui vaut d’être classée au patrimoine mondial de l’UNESCO, au même titre que Brasilia ou encore Le Havre. « La ville blanche de Tel-Aviv est une synthèse (…) exceptionnelle des diverses tendances du mouvement moderne dans l’architecture et l’urbanisme au début du XXème siècle », peut-on lire dans la décision rendue par l’organisme en 2003.
Cette spécificité est intimement liée à l’histoire du développement de la ville dans les années 1930. A l’époque, l’immigration juive explose et il faut construire vite, mais pas n’importe comment. Dès 1927, le premier maire de Tel-Aviv, Meïr Dizengoff, fait appel à l’architecte écossais Patrick Geddes. Ce dernier élabore un plan urbain inspiré des cités-jardins dans lesquelles l’intégration de l’humain est primordiale. Un concept de nouvelle société autour de la communauté et du rapport avec la nature, et même d’homme nouveau qui se conjugue parfaitement avec l’idéologie alors portée par le mouvement sioniste. « Le Bauhaus est la traduction en formes de cette nouvelle philosophie de vie : travail sur la lumière, l’aération, les espaces libres, la simplicité », détaille Jérémie Hoffmann, directeur du département de conservation de la municipalité de Tel-Aviv.
Le choix du style moderne s’explique également par le parcours des architectes qui vont bâtir la ville. Beaucoup d’entre eux sont eux-mêmes de nouveaux migrants ou sont allés étudier en Europe. Certains sont passés par l’école Bauhaus fondée en Allemagne en 1919 par Walter Gropius ou par l’école belge. D’autres encore, ont travaillé dans le bureau parisien de Le Corbusier.
Deux cents immeubles « intouchables »
Les concepts architecturaux développés par Le Corbusier en 1927 s’adaptent particulièrement au mode de vie et au climat Tel-Avivien. Les pilotis permettent de dégager de l’espace au sol et d’aménager des jardins. De larges fenêtres en bandeau laissent entrer la lumière. Les toits terrasses sont à la fois fonctionnels et conviviaux. Après les persécutions vécues par de nombreux immigrants juifs ayant fui leur pays d’origine, cette architecture ouverte vers l’extérieur rime avec liberté.
Plusieurs bâtiments ont été construits pour que leur centre de gravité soit placé au croisement de deux rues et s’intègre quasi organiquement au quartier. Flanqués de longs balcons parfois surmontés de pergolas, certains immeubles prennent l’allure de grand bateaux posés dans la ville.
Ces dernières années, 650 interventions ont été réalisées pour rénover ces immeubles de style Bauhaus. Pour encourager propriétaires et promoteurs immobiliers à participer à l’effort de conservation, le gouvernement israélien les a autorisés à réaliser des extensions, c’est-à-dire à ajouter un ou deux étages. Des modifications qui doivent tout de même respecter « la philosophie du bâtiment, les proportions et les couleurs d’origine », précise Jérémie Hoffmann. Deux cents immeubles sont toutefois « intouchables », souligne-t-il, comme par exemple la maison Engels, située sur le boulevard Rothschild, dont la restauration à l’identique sera terminée dans quelques mois.
Un héritage à (re)découvrir
Après la création de l’État d’Israël en 1948, le style brutaliste s’impose. Les bâtiments Bauhaus ne sont pas détruits mais ils tombent dans l’oubli. « Quand nous avons commencé à nous intéresser au sujet il y a vingt ans, les gens nous prenaient un peu pour des fous », confie Micha Gross, directeur du Centre Bauhaus de Tel-Aviv, qui s’est donné pour mission de faire (re)découvrir cet héritage, notamment en organisant des visites guidées. « L’architecture moderniste est belle pour les connaisseurs, mais l’Israélien moyen dans la rue n’en pense pas grand chose. Il n’y a pas de décoration sur les bâtiments. A ses yeux, ça a l’air industriel et simple », explique-t-il.
A force de persévérance et à la faveur de la reconnaissance de l’UNESCO, le centre de Micha Gross voit néanmoins défiler de plus en plus de visiteurs, au moins 10 000 par an. Ce 6 juin, Mike et Rita, deux touristes venus de Chicago, se sont laissés tenter par l’aventure : « je viens en Israël depuis des années, mais je ne m’étais jamais intéressé à son architecture. C’est fascinant car ces immeubles sont là depuis le début », s’enthousiasme Mike. Rita l’admet : « au premier abord, on se dit que ce n’est pas très joli, en tout cas qu’il n’y a pas de quoi s’extasier ». Mais, après avoir arpenté les rues du quartier Dizengoff munie d’un audioguide, la jeune femme a changé d’avis : « Je trouve certains bâtiments assez poétiques, surtout ceux qui ressemblent à des bateaux ».
Le « Bauhaus », ou « la maison de la construction », est le nom d’une école. Elle fut créée à Weimar en 1919 par Walter Gropius, un architecte de 36 ans connu pour son style audacieux : des lignes et des angles droits, des façades en verre, pas d’ornement. Le « Bauhaus » ne fait plus de distinction entre les beaux-arts, c’est-à-dire « l’art pour l’art » et les arts appliqués, c’est-à-dire l’art pour les objets. On apprend à créer des objets esthétiques, fonctionnels et innovants, destinés à une production en série et à la vie quotidienne. En architecture, le but est de réaliser quelque chose de confortable, d’économique et de fonctionnel.