Arrivée à Damas en octobre 2009, j’ai appris l’arabe puis commencé à faire des sujets sur la société syrienne. La révolution s’est formée en 2011, je l’ai suivie jusqu’à mon départ la même année.
Je me souviens des premières tentatives de jeunes damascènes en janvier, qui se réunissaient devant les ambassades égyptienne et tunisienne pour manifester leur soutien aux jeunes de ces deux pays en pleine révolution. Bougies en main ils veillaient, jusqu’à ce que les services de sécurité arrivent de toute part pour mettre fin à ces rassemblements, arrêtant et violentant cette jeunesse assoiffée d’ouverture sur le monde.
C’était les prémices d’une révolution dont personne ne pouvait prédire l’avenir.
Après les rassemblements devant les ambassades, les multiples appels à manifester sur les réseaux sociaux, facebook et youtube, dont l’accès a été autorisé en Syrie pour la première fois en janvier 2011 afin de pouvoir identifier et contrôler plus facilement les participants, n’ont pas été suivis. Un jour, le rdv était devant le tribunal, je m’y suis rendue discrètement, là des voitures des services de renseignement phares éteints attendaient les possibles « révolutionnaires » qui auraient répondu à l’appel.
Plusieurs fois, les appels sont restés sans réponses, puis devant la mosquée des Omeyyades, des étudiants se sont rassemblés, rapidement, ils ont été dispersés, arrêtés, les réseaux sociaux ont commencé à en parler avec des photos et des vidéos prises en plein cœur d’un mouvement de foule et parfois en pleine course dans les rues étroites de la vieille ville de Damas pour échapper aux services secrets.
Un de mes amis syriens rencontré lors de mon arrivée dans le pays deux ans plus tôt, et qui me parlait de révolte depuis 2009, a organisé un rassemblement place Marjeh proche de la vieille ville. La veille il était passé chez moi afin de me montrer les impressions papiers avec le portrait de son oncle, prisonnier politique, enfermé depuis 20 ans dans les geôles syriennes. Il me donne l’heure du rassemblement, me conseille de me tenir à distance et de ne surtout pas le saluer si je viens.
Le lendemain, il est 9h, la vingtaine de manifestants se tient au centre du rond point de la place Marjeh, brandissant les portraits de plusieurs prisonniers politiques, à 9h06, des cars de forces de police débarquent pour disperser, frapper, et embarquer femmes, hommes, enfants, adolescents, venus réclamer la libération de leurs proches. Les taxis souvent conduits par des personnes travaillant pour le régime syrien déboulent et repartent aussi vite pour conduire tous ces gens dans les différents centres de police. Le policier qui fait la circulation à quelques mètres de là n’a pas bougé, a ignoré, ce n’est pas de son ressort, il poursuit sa tâche, les passants tournent le regard, ceux qui attendaient leur bus sont soulagés de le voir arriver. Ne pas voir, ne pas montrer, faire comme si rien ne s’était passé, effacer toutes traces du moindre millimètre de soulèvement.
D’ailleurs, en quelques minutes, il n’y a plus aucune trace de cet événement hors norme, et très risqué dans un pays tenu, comme le diront des centaines de fois les médias internationaux les années à venir, « par une main de fer par la famille Assad depuis plus de 40 ans ».
J’avais pris des images photos et vidéos ce jour-là, de loin, avec mon appareil dissimulé sous mon écharpe que j’ai dû effacer quelques temps après par sécurité. Mon ami parvient à me joindre le soir-même en me disant qu’il est en fuite, qu’il va essayer de se faire oublier et que ses parents et ses sœurs se sont faits arrêtés, attendant leur jugement.
A 200 kilomètres de là, dans le sud vers la frontières jordanienne, à Deraa, s’écrit une autre page de l’histoire de la révolution syrienne, le sud agricole touché par les sécheresses, les baisses de subventions, les privations de terre au bon vouloir des gouverneurs de province, révolte une partie de la population depuis quelques mois. Pour des raisons qui resteront floues, des enfants écrivent révolution sur un mur de la ville, ils seront identifiés, embarqués, torturés et remis quelques semaines plus tard à leurs parents avec un message clair : il est interdit de critiquer le régime et de penser à une révolution dans le pays. La goutte d’eau pour une partie de la population à Deraa qui sort alors dans la rue pour dénoncer ce qu’a fait le régime « aux enfants de ce pays ».
De Damas j’observe grâce aux images de différents médias syriens et étrangers, les chars de l’armée syrienne qui encerclent plusieurs jours la ville, coupée d’eau, d’électricité et de ravitaillements. Les premiers bombardements contre les civils. Les premiers commentaires des médias syriens, qui pointent des djihadistes qui seraient présents dans la ville et une grosse saisie d’armes, dans la mosquée centrale, destinées à une guerre contre le pays. Les médias étrangers eux parlent d’attaques militaires contre des civils qui ont manifesté contre le régime syrien et des tirs à balles réelles lors de ces manifestations venant d’hommes du régime habillés en civil.
C’est à ce moment là que commence une guerre médiatique, une guerre politique, une scission dans la société syrienne et à l’intérieur même des familles entre ceux qui adhèrent au régime syrien, ou qui ne veulent pas que cela change et ceux qui n’en veulent plus et demandent dès le début des changements, plus de libertés, auxquelles le président syrien Bachar el assad, répondra par la dérision lors de séances devant le parlement, méprisant les slogans de ces premières manifestations.
On dira souvent que les Syriens furent inspirés par les révoltes en Tunisie, en Egypte ou encore en Libye, c’est vrai sauf qu’ils risquaient de perdre la vie à tout moment, en descendant dans la rue.
Car en Syrie, on n’a pas le droit de prononcer le mot bachar el assad dans la rue, on n’a pas le droit de parler politique ou de religion dans la rue. 3 à 5 morts par manifestation, provenant sûrement des ordres reçus par les militaires et policiers syriens. Certains refuseront et feront défection. Les morts, puis les funérailles dans les rues qui se transformeront souvent en manifestations contre le régime syrien et connaîtront le même sort que les manifestations.
Homs soutiendra Deraa, avec ses personnalités, ses chanteurs, ses artistes qui prendront la parole lors des rassemblements avant les tirs et les arrestations musclées. Puis Alep se soulèvera, on se souvient des hordes humaines criant « on est avec vous Homs », Homs devenue bastion de la Révolution, dont le quartier de Bab el Hamr en 2012, il sera encerclé, bombardé jour et nuit par les avions et les chars de l’armée syrienne, il sera étouffé, brisé, rasé comme s’il n’avait jamais existé. Habitants, activistes venus d’autres villes, journalistes syriens indépendants, journalistes étrangers y seront lourdement blessés et tués. Une majorité de civils de Bab el Hamr ont fui à l’époque et vivent aujourd’hui dans des conditions humanitaires désastreuses dans les campagnes libanaises sous des tentes où les aides de l’UNHCR deviennent de plus en plus rares, et où certains enfants ne survivent pas au froid chaque hiver.
Retour à Damas en 2011, mon téléphone n’arrêtera pas de sonner enfin celui qui n’est pas à mon nom, ce sont les médias français et francophones qui ne peuvent pas rentrer dans le pays et veulent des points sur la situation toutes les heures. Chaque jours, 10 grands médias, radios et télévisions principalement me demandent de commenter, de faire de petits reportages si je peux. Bien sûr que je peux mais à quel prix, combien de temps je vais tenir, je me sens seule, je dois faire attention, rester anonyme pour ne pas me faire arrêter et expulser du pays, c’est à dire pas grand chose par rapport au sort réservé aux Syriens.
Un matin j’entends des chants, venant des cours de l’école et du collège à proximité de mon appartement qui est perché dans les quartiers hauts de la ville accrochés au Mont Kassioun, la montagne de Damas. « Par notre sang et notre fierté, nous mourrons pour toi Bachar » les professeurs, entonnent des slogans pro-régime et font répéter les enfants avant de rejoindre tous ensemble le cortège des manifestations organisées par le régime pour le régime. Les fonctionnaires doivent y participer sous peine de ne pas recevoir leur salaire. Je descends dans la rue et suis à distance du cortège, mon enregistreur glissé dans mon sac prend le son de ce moment historique et mon appareil photo quelques clichés cachés et rapides pour ne pas être repérée par les informateurs nombreux à encadrer le rassemblement. Parfois la nuit et le jour des hommes conduisant des grosses voitures noires, brandissent d’énormes drapeaux syriens et des portraits du président, de son frère et de son père défunts, et roulent à vive allure en diffusant des chants en l’honneur du régime et de ses militaires.
Je sillonnerai le pays et reporterai toujours avec discrétion et attention ce que j’ai vu du début de la révolution syrienne jusqu’en mai 2011, n’ayant plus de visa, j’ai dû partir, sans être arrêtée à l’aéroport, à mon grand soulagement, mais la boule au ventre, laissant ce pays qui m’a tant marqué. Les gens m’ont marquée, m’ont accueillie ainsi que ma famille quand elle est venue me visiter en 2010. J’avais cette impression que quand ils ouvraient leur porte, ils ouvraient leur cœur, leur histoire et on ressent une envie et un besoin de partager, dans une hospitalité peu commune. Même impression dans les camps informels où vivent de nombreuses familles syriennes au Liban. Black listée par la suite, je ne pourrai pas passer le post-frontière syrien depuis le Liban en janvier 2012, j’y retournerai en 2012 et en 2013, par d’autres frontières que celles contrôlées par le régime pour retrouver cette terre et rencontrer à nouveau les amis syriens et voir comment les habitants s’organisaient là où le régime n’était plus présent, pour continuer à parler de cette société qui continue d’exister dans la souffrance où les jeunes essaient de trouver du travail. Une jeunesse que l’on entend peu. A nouveau muselée, la parole des Syriens est peu entendue, à part dans la région d’Idleb qui est la dernière zone hors contrôle du régime syrien souvent bombardée. Mais là encore la parole n’est plus aussi libre que ces dernières années. Les conditions de vie se sont durcies partout dans le pays où manquent l’eau, l’électricité et les prix sont devenus inabordables, laissant peu de place à l’espoir d’une vie meilleure.
Ici des photos des jeunes syriens de la région d’Idleb en avril 2013, prises par Marie Kostrz ma collègue et moi même lors de notre reportage auprès des activistes de Kafr Nabel :
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Le chanteur syrien Mohamad el Rashi et Catherine Vincent ont composé une chanson pour les 10 ans de la Révolution syrienne.
Le duo Catherine Vincent avait composé la chanson « Ma fi mushkile » dans les années 90 lors de son premier séjour à Damas et en fait un hommage pour les 10 ans de la révolution syrienne.