Depuis le 17 octobre 2019, premier jour de mobilisation contre le gouvernement libanais et le système politique, les murs de la capitale se couvrent de tags, graffitis, revendications. Voir les murs peints au Liban n’est pas une nouveauté. Beyrouth était même devenue ces dernières années un spot privilégié pour les graffeurs du pays et de passage. Dernièrement, les peintures de Roula Abdo ont fait le tour de la toile. Les deux mains qui tentent d’ouvrir les murs attirent le regard et parlent plus que des mots. Rencontre avec l’artiste libanaise.
A mesure que l’on approche de la place des Martyrs, au centre ville de Beyrouth, les graffitis se font plus nombreux. Certains montrent les visages des chefs de partis traditionnels. D’autres appellent à l’unité nationale, au-delà des confessions. La place est devenue le lieu de regroupement, des tentes ont été installées, et sont toujours occupées par quelques résistants qui souhaitent faire perdurer un mouvement qui a rassemblé jusqu’à deux millions de personnes dans tout le pays en octobre et novembre 2019, au plus fort du soulèvement. Dans un pays qui compte 4 millions d’habitants, l’image est forte.
Roula Abdo est l’une des artistes dont les peintures ont fait le tour de la toile. Membre du collectif Art of Change, elle préparait une exposition quand les manifestations ont commencé. Elle a laissé les murs de la galerie pour la rue et exprime au fil des mois ce qu’elle ressent. Un homme qui se cogne la tête contre un mur, c’est le nouveau gouvernement qui n’entend pas les revendications et se présente devant le Parlement pour obtenir sa confiance. L’œil fixe qui traverse le mur rappelle aux politiques que les citoyens les observent même si le centre ville et le Parlement sont aujourd’hui barricadés.
Les mains sont souvent au cœur du travail de cette diplômée des Beaux-Arts. Une manière de mettre l’humanité en mouvement et de délivrer un message expressif au premier coup d’œil. « Dans la rue, tu dois figurer ton idée en une image forte ». Le visage de la personne bâillonnée fait lui écho au discours du leader du parti chiite Hezbollah Hassan Nasrallah qui expliquait que le soulèvement ne pourrait pas marcher. « Ils veulent nous empêcher de parler, sur le bandeau j’écris Thawra pour dire qu’ils n’arriveront pas à nous arrêter ».
Sa première peinture réalisée le 20 octobre 2019 représente la révolution sous les traits d’une femme dont les cheveux sont faits de silhouettes. « La révolution est une femme. Aux premiers jours, elles étaient en premières lignes ; parce qu’elles sont touchées par la crise économique qui épuise le pays, mais aussi parce qu’elles n’ont plus peur de descendre dans la rue et de dire non à la corruption. Dans le quartier de Ain el Remmaneh, symbole du début de la guerre civile libanaise en 1975, des jeunes se jettent pierres et insultes un soir de novembre. Le jour d’après, les femmes sont sorties avec des fleurs pour les offrir aux femmes du quartier d’en face. C’est un moment fondateur et symbolique pour moi. »
Aujourd’hui, ces peintures, aux côtés des autres artistes donnent mémoires des événements. Son collectif a lancé le projet « Revolution Wall » pour documenter et garder des traces. La journée, les habitants de Beyrouth passant dans le quartier s’arrêtent, prennent des photo, discutent. « L’art de rue nous permet de nous exprimer. C’est ma manière de protester et de dire aux gens : continuez. Les murs parlent à notre place et rappellent aux politiques que nous sommes toujours là ».
Dans cette balade avec Roula et lors de promenades dans le centre ville de Beyrouth partout des messages à caractère politique, des insultes à la classe politique, des revendications d’union au-delà des clivages traditionnels et confessionnels. Une liberté d’expression qui rejoint celle florissante sur les réseaux sociaux où de nombreux comptes instagram sont apparus et mettent en avant des messages artistiques et engagés.
Ces messages ne sont pas anodins dans un pays où comparer le Président à un crocodile peut valoir une arrestation et un procès. Une artiste illustratrice témoigne : dans les premiers jours de la Thawra les insultes ont fleuri dans la bouche des manifestants, comme un déchargement de frustrations gardées ancrées avec le risque de voir débarquer quelqu’un chez soi sous couvert d’un code pénal qui protège les autorités politiques et religieuses contre la calomnie et la diffamation… deux thermes souvent invoqués notamment pour des publications sur le net.
La Thawra donne libre court à une colère contre les banques notamment, symbole du pouvoir économique, mais aussi à l’expression de revendications pour une société plus ouverte et égalitaire, notamment envers les femmes ou les personnes LGBT. Tout cela se retrouve sur les murs, mêlés, mélangés, recouverts, divers, du fait d’anonymes ou de grapheurs qui signent leur art de rue.