Réel ou fiction, choisir ses lectures en temps troublés

Mis à jour le 14/12/2024 | Publié le 12/12/2024
Installée entre le tabac-presse et la librairie La Rumeur des Crêtes à Cadenet, la Caravane des Médias a interrogé lecteurs et lectrices pour comprendre comment, en ces temps troublés et saturés d’informations, chacun organise sa consommation de presse, d’essais et de romans entre la nécessité d’être informé et le besoin de s’évader.

C’est devenu une habitude, à peine la caravane installée, plusieurs personnes s’arrêtent pour avouer un rapport complexe au réel. Domitille, 39 ans, lit des périodiques engagés comme L’Âge de faire et Alternatives Économiques. Elle aimerait lire plus souvent Le Monde Diplomatique, mais a déjà du mal à lire les autres. Elle confesse se sentir découragée par une actualité et un réel où elle n’a pas prise : elle cite les grands projets écocides bétonnant les terres à proximité : “Quand on en entend parler dans les médias, on ne peut plus rien faire parce que les budgets sont déjà bouclés.”

Robert, 78 ans, ancien PDG de la RATP, s’en remet à la presse traditionnelle comme Le Monde ou Les Échos, lue quotidiennement maintenant qu’il est à la retraite. Avec l’expérience et le temps, il estime s’être forgé une grille d’analyse solide : pour lui, la presse reste essentielle, mais doit être passée au crible du sens critique et de la mémoire historique. Il aime lire les biographies de “grands hommes” comme Churchill. Suzanne, 86 ans, ancienne bibliothécaire, se montre pragmatique face à l’information en temps de crise. “La situation du monde n’est pas plaisante, admet-elle mais c’est une raison de plus de s’informer et de lire plus sur l’actualité que d’habitude.”

Michel, 64 ans, “avocat pour vivre et écrivain pour le plaisir”, recherche la pluralité des voix et des opinions. Il picore dans plusieurs journaux qu’il achète en alternance. De cette façon, il confronte Le Monde, Le Figaro et Libé. Il aime par dessus tout les éditoriaux pour tester ses opinions Iil ne se laisse pas dicter sa pensée mais aime se nourrir “d’autres points de vue qui peuvent modifier légèrement mon a priori”. La fiction, là encore, est un socle culturel. Lire Houellebecq, Dostoïevski ou Orhan Pamuk, c’est selon lui poser un autre regard sur le monde, explorer ce que l’actualité ne montre pas : Michel défend « un va-et-vient entre réel et imaginaire« .

Un autre futur désirable qu’on trouve parfois dans les livres.

Florence, psychanalyste lacanienne, résume à sa manière la saturation ambiante : « On lit trop, on écrit trop, on parle trop, parce qu’on lit mal … Et le numérique est au centre de ce risque. » Dans un monde médiatique surchargé d’informations négatives, elle préfère les essais et les études à contre-courant, cherchant à comprendre autrement la société. Elle s’intéresse au féminisme, à la périnatalité, à la recherche scientifique et poétique, quitte à explorer la dystopie comme moyen de penser la rupture. Pour Florence, le numérique, la surcharge éditoriale et la rapidité de l’information tuent la pensée profonde. L’idéal : revenir à la lenteur, au questionnement, pour réhabiliter un réel mieux compris. Bruno, 44 ans, “cadenetien pur jus”, avoue : “Ici, il n’y a pas grand-chose à faire.” Il lit peu l’actu et a lu quelques romans de science fiction, citant Metro 2033, issu d’un jeu vidéo.

Sandrine, libraire, nous confirme les dires des lecteurs et lectrices que nous avons rencontré. Elle parle d’une mode dans la littérature francophone contemporaine : « Il y a beaucoup de fiction en ce moment qui sont basées sur le réel, notamment des récits intimes, d’aller chercher dans ses racines familiales, etc.” En parallèle, elle note quand même ces derniers temps une demande forte pour des livres réconfortants : « on a quand même pas mal de demandes de livres qui font du bien, pas forcément légers ou sans fond.”

On entend chez les un·es et les autres une aspiration à repenser l’avenir, loin des certitudes figées de l’actualité. Le réel cru de l’actualité n’est ni rejeté, ni adoré en bloc. Il est la matière brute, difficile, parfois déprimante mais qu’il faut tenter de comprendre. En face, l’imaginaire offre un espace de liberté, de distance. Certains privilégient la presse comme moyen d’entrer dans le monde, d’autres préfèrent les romans pour s’en échapper.

Les recommandations de lecture des personnes que nous avons rencontrées :

Domitille : Simone Bertière, Les Reines de France : Une de ces biographies historiques qui permettent d’imaginer d’autres trajectoires possibles, de voir comment le passé aurait pu s’écrire autrement.

Marjolaine : Hugh Howey, Silo : Une saga de science-fiction, située dans un futur post-apocalyptique. Elle offre un regard critique sur le monde, tout en stimulant l’imagination et en proposant une autre vision de l’avenir

Alfred : Kim Stanley Robinson, Le ministère du futur. Raconte ce que nous aurions dû faire, ce que nous n’avons pas fait et ce que nous pouvons peu-être encore faire

Bruno : Dmitry Glukhovsky, Metro 2033. Le roman, basé sur un univers post-apocalyptique est parfait pour les fans de jeux-vidéos.

Florence : Jean-David Zeitoun, Les causes de la violence et Lise Barnéoud, Les cellules buissonnières. Des lectures permettent de comprendre la société en profondeur, au-delà de l’information brute. Elles offrent des angles d’analyse différent, aident à saisir la complexité du réel.

Michel : Orhan Pamuk, La Femme aux Cheveux Rouges, Alaa El Aswany, L’Immeuble Yacoubian. Des romans qui plongent dans d’autres réalités et qui raconte magnifiquement le monde.