En France, les détenus étrangers sont des cibles privilégiées de la politique migratoire. Régulièrement visés par des mesures d’expulsions, ils disposent de 48 heures pour faire un recours. L’absence d’interprètes, d’avocats, et les conditions de notification rendent le délai quasi impossible à respecter depuis un centre pénitentiaire. Plusieurs associations dénoncent l’atteinte que porte au droit une telle mesure.
Le chiffre est inconnu, mais la pratique régulière. Dans les prisons françaises, les étrangers sont la cible de mesures d‘expulsions ordonnées par les préfectures. Une fois la peine purgée, deux options s’ouvrent à eux : l’expulsion ou le placement en centre de rétention administrative (CRA) en vue de l’expulsion. Une double peine, dont certains hommes politiques réclament le retour, qui n’a jamais vraiment disparu.
Le dispositif législatif est conçu pour booster l’éloignement des étrangers qui passent par la case prison. Ces derniers disposent de 48h pour faire un recours lorsqu’on leur notifie une « obligation de quitter le territoire français », OQTF dans le jargon, la mesure d’expulsion favorite des préfectures. Une pratique condamnée par de nombreux juristes, avocats et associations qui considèrent que ce court délai rend le recours quasi impossible depuis un centre pénitentiaire.
Dans un rapport de 2017, l’Observatoire international des prisons (OIP) documente les irrégularités liées aux OQTF notifiées en prison.
La notification est fréquemment réalisée sans interprète et en fin de semaine, lorsque le point d’accès au droit (PAD) est fermé. « Elles sont faites sur les coursives parfois par des surveillants qui ne comprennent pas eux-mêmes ce qui est indiqué dans ces documents » témoignent la juriste du Point d’accès aux droits (PAD) des Baumettes, à Marseille.
Également, 80 % des avocats interrogés par l’OIP ont déclaré ne « jamais avoir obtenu, dans un délai suffisamment rapide, un permis de communiquer avec leur client pour le rencontrer au parloir avant l’audience ». Ainsi, la grande majorité des étrangers qui exercent un recours n’ont pas bénéficié d’un avocat.
« Beaucoup d’OQTF sont remises directement au greffe et considérées comme notifiées alors que la personne n’est même pas au courant. Bien souvent, le papier met quatre jours pour arriver au point d’accès aux droits. Il n’y a aucun moyen pour que le recours soit enregistré dans les 48h », raconte Julie Guillot, juriste depuis trois mois au PAD de la flambant neuve maison d’arrêt de la Santé à Paris. Ouverte depuis le mois de janvier et déjà en surpopulation, presque 70 % des détenus sont étrangers. « La majorité est condamnée à des peines de moins de 6 mois. C’est vraiment de la délinquance de survie », déplore-t-elle. Une nouvelle pratique de la préfecture parisienne inquiète la juriste. Ignorant la présomption d’innocence, les services préfectoraux parisiens intentent des mesures d’expulsion contre des prévenus, c’est-à-dire des personnes incarcérées présumées innocentes dans l’attente de leur procès.
La raison avancée ? « Menace à l’ordre public ».
Le 21 décembre 2017, l’OIP, La Cimade et le GISTI (Groupe d’information et de soutien des immigrés) saisissent le Conseil constitutionnel afin de s’assurer que le délai de 48h respecte la constitution. « Le conseil des sages a repoussé la date de l’intervention du juge administratif, mais le délai pour déposer le recours n’a pas changé » explique Mathieu Quinquis, avocat à l’OIP. Ainsi, la majorité des requêtes contre les expulsions sont déposées en retard : près d’une sur deux est irrecevable pour ce motif. Selon le Premier ministre, un tel dispositif garantit « l’efficacité de l’action administrative » et évite « qu’un étranger, à sa sortie de détention, soit placé en rétention ».
Près de 8 détenus sur 10 expulsés après avoir purgé leur peine
Peu de chiffres sont disponibles quant aux « libérations-expulsions ». Un rapport parlementaire de 2015 rappelle que la police aux frontières était parvenue à éloigner 78 % des sortants de prison l’année précédente. Ce qui fait de la prison le lieu depuis lequel les expulsions présentent le meilleur taux de réussite.
Néanmoins, un détenu sur dix est placé en centre de rétention administratif (CRA) suite à sa détention. Les raisons sont multiples : attente de la décision d’un juge administratif, absence de document d’identité ou de laisser-passer consulaire. Selon La Cimade, « 2 965 personnes ont été placées en rétention dès leur levée d’écrou » en 2018. C’est 24 % de plus qu’en 2017.
Les parlementaires Eliane Assassi et François-Noël Buffet rappelaient déjà en 2014, dans un rapport enregistré à la présidence du Sénat, que « la rétention ne doit pas être la prolongation de la détention pour remédier aux difficultés d’identification ou d’obtention de laissez-passer consulaires ». Or depuis 2016, 7 200 personnes ont subi deux formes d’enfermement successives, prison et rétention.
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