Hôpital de la Timone, Marseille. François Pacaud/Creative Commons
Comment est née l’idée de ce livre ?
J’ai un bagage scientifique important avec des études en sciences et santé. En 2014, je suis devenu accompagnant auprès de deux proches malades d’un cancer. J’ai passé du temps dans les hôpitaux et j’ai peu à peu assisté au décrochage dans les services : saturation, sous-effectif et population qui en demande de plus en plus face au manque de médecine de ville.
Le déclic a été un projet de loi pour la santé de la ministre Agnès Buzin en 2017 auquel j’ai eu accès. Cela m’a donné envie de pousser à bout les curseurs de ce qui était envisagé dans ce projet. Le livre est sorti en 2018. Il y avait l’enjeu de le publier au moment où le projet serait rendu public alors j’ai dû faire vite.
Ce récit d’anticipation prend la forme d’une fiction mais il est basé sur des informations que vous vous êtes procurées auprès notamment de l’Agence régionale de Santé. Comment avez-vous travaillé ?
Ça a été un vrai travail journalistique avec une centaine d’entretiens, des reportages dans les services et des données accessibles dans les rapports de l’ARS. A la fin, j’ai choisi une forme qui permettait de rendre le texte accessible. Le récit fiction est un prétexte.
J’ai pu discuter avec des virologues, des statisticiens. Tous m’ont donné des pistes pour donner une image de ce que seraient nos systèmes de santé dans le futur. Et puis finalement, j’avais besoin d’un moment de rupture pour faire progresser le récit. Alors je leur ai demandé ce qui, selon eux, pourrait créer à l’avenir une rupture sanitaire telle qu’elle bouleverserait nos sociétés. Deux hypothèses revenaient : celle d’une épidémie au long cours de nouveaux types de cancers et celle d’un virus grippal venu de Chine. C’est ainsi qu’en 2018, je publie un ouvrage qui annonce la crise sanitaire de 2020.
Ces hypothèses se basent sur l’observation des grandes évolutions en cours : vieillissement de la population, changement climatique, etc. Des experts à Marseille et ailleurs pouvaient le prévoir. La question qu’il me reste est la suivante : s’il était possible de le prévoir, pourquoi une telle impréparation ?
Le seul qui a anticipé, et en ce sens, il a eu raison, c’est le professeur Didier Raoult. Sur une intuition et pour des raisons mercantiles, il s’est préparé à cette hypothèse et a permis de mettre en place des tests de manière massive. Marseille a été l’une des villes les plus testées grâce à cela.
Quelles sont les grandes lignes que vous retenez de vos recherches pour cet ouvrage ?
Grâce aux données de l’ARS, j’ai pu décortiquer un système avec une approche hyper rationnelle, déshumanisante, avec une standardisation des actes et une automatisation. J’ai poussé cette approche-là à bout dans le récit en donnant la part belle à l’intelligence artificielle. Elle n’existe pas encore aujourd’hui dans nos systèmes de santé mais elle fait écho à l’automatisation des décisions dans le système actuel. Tout cela a tendance à diminuer la place de l’humain et de l’irrationnel dans la médecine alors que la sensibilité permet une plus grande complexité dans la prise en charge.
Bien sûr, la santé devient plus efficace mais l’humain est mis au second plan. Quand on favorise, par exemple, le maintien à domicile de certains patients mais qu’on ne permet pas à l’infirmière d’être présente tout au long de la journée, le patient est seul.
Quelles sont les conséquences déjà visibles ?
On assiste aujourd’hui à une médecine à plusieurs vitesses. Et cela va clairement s’accentuer. En France, toute personne a accès à des traitements pour être soignée d’un cancer par exemple. Là où la médecine devient à deux vitesses, c’est quand la recherche scientifique permet de développer des thérapies génétiques par exemple, mais que cela coûte tellement cher que tout le monde ne peut pas y avoir accès.
Le paroxysme derrière tout cela est la question du transhumanisme et de la lutte pour vaincre la mort. Une illusion donnée par certains pour des raisons financières. Pour nous faire rêver, on nous propose au choix d’aller sur Mars ou de se faire greffer un cœur pour être immortel. Des éléments de soft power sont mis en place pour faire entrer ces idées dans nos têtes progressivement. Je convoque dans mon livre la figure de Scarlett Johansson car elle est l’une des actrices qui a le plus joué dans des films transhumanistes et elle participe à cette promotion.
L’une des figures centrales de votre livre est celle du patient-expert. Qui est-il et pourquoi avoir souhaité faire un focus sur ce type de patient ?
Le patient-expert est encore peu courant en France, même si on peut en trouver à Marseille. Il permet de donner la parole à une personne directement concernée par un traitement pour décaler la parole scientifique. Ce patient est formé pour expliquer ce qu’il a. En ce sens, il est utile mais là où la bascule existe, c’est quand l’usage de ce patient devient mercantile. Cela peut le pousser à envisager de rester patient, quoi qu’il en coûte face à la maladie. L’idée n’est pas de refuser ce type d’évolution mais de l’encadrer et de la réfléchir en amont dans des comités éthiques.
Philippe Pujol, Marseille, 2040, Le jour où notre système de santé craquera, Flammarion, 2018, 224 pages, 15 euros.