Separation Wall – Palestine – Alan Ireland
Depuis quelques années, le mot apartheid a été utilisé dans plusieurs rapports d’ONG internationales (Human Right Watch, B’Tselem) pour caractériser le système israélien. Amnesty International publie par exemple en février 2022 les conclusions d’une étude menée pendant quatre ans. Grâce aux recherches et aux témoignages récoltés, l’organisation affirme que les Palestiniens sont victimes d’un régime d’apartheid.
Ces rapports vont profondément marquer le plaidoyer d’associations de défense des droits des Palestiniens qui s’appuient sur cette terminologie pour demander aux autorités de leur pays de reconnaître son effectivité et ses effets. Le rapport d’Amnesty International documente notamment la mise en place par Israël, à travers des lois et des politiques discriminatoires, d’un système d’oppression et de domination institutionnalisé à l’encontre du peuple palestinien.
Système institutionnalisé
Une définition en écho avec la Convention internationale sur la suppression et la répression du crime d’apartheid qui qualifie d’« apartheid » les actes inhumains commis pour instituer ou maintenir la domination d’un groupe racial sur tout autre groupe racial afin de l’opprimer systématiquement (art. 2 de la Convention sur l’apartheid). Selon la même convention, un crime d’apartheid est atteint lorsque trois conditions sont réunies : un système institutionnalisé d’oppression et de domination d’un groupe racial par un autre ; un ou des actes inhumains, tels que transferts forcés de populations, tortures et meurtres, commis dans le cadre de ce système institutionnalisé ; une intention de maintenir la domination d’un groupe racial sur un autre.
Pour Thomas Vescovi, enseignant et chercheur en histoire contemporaine présent aux Assises, l’apartheid en tant que système de domination permet en effet d’évoquer l’occupation, le blocus de Gaza, le sort des réfugiés et déplacés et le régime de discriminations systémiques qui touchent les Palestiniens.
Nijmeh Ali, enseignante-chercheuse en Sciences politiques et activiste témoigne d’une expérience quotidienne et sur le long terme de ce système. « Ma première rencontre directe avec l’apartheid remonte à mon installation à Jérusalem. Je suis née à Haïfa, une ville largement promue comme ville de coexistence et qui tend à paraître comme « normale ». Lors de mon arrivée à Jérusalem j’ai été confrontée aux systèmes des transports publics qui illustrent en lui-même le système : certains trames desservent des quartiers palestiniens vers d’autres quartiers palestiniens, d’autres desservent les quartiers israéliens entre eux. Nous ne sommes pas censés les utiliser, nous ne sommes donc pas censés nous rencontrer. C’était la première fois que je voyais une ségrégation claire et évidente » Cette expérience lui permet de reconnaître d’autres formes de ségrégation existant dans sa ville natale qui ne lui apparaissaient pas jusqu’à alors, notamment dans le système scolaire ou dans la répartition spatiale de la ville avec l’existence de quartiers non mixtes entre populations palestinienne et israélienne. « Nous habitons la même ville mais tout est fait pour que nous ne nous rencontrions jamais. »
Colonisation de peuplement
Cette expérience de l’apartheid n’est pas nouvelle. Mais pour Nijmeh Ali, comme pour d’autres, elle ne suffit pas à décrire la globalité de la situation et elle doit être combinée avec les notions de colonisation de peuplement et d’occupation pour refléter la réalité de la politique israélienne.
Une précision reprise par Salah Hamouri, avocat pour les droits humains des Palestiniens récemment expulsé vers la France après avoir été déchu de sa carte de résident de Jérusalem Est. Ce dernier explique : « je pense que nous ne somme pas dans un régime d’apartheid mais qu’elle est un outil de la colonisation de peuplement mis en place par Israël. Car le but d’Israël n’est pas seulement d’agir sur nos conditions de vie et d’établir une domination, il est de se débarrasser du peuple palestinien. »
De plus, les moyens de résister à un régime d’apartheid ne sont pas forcément les mêmes que les moyens de résister à un régime colonial. « La communauté internationale ne doit pas confisquer les moyens de lutte des Palestiniens en imposant des mots ou des notions pour définir ce que nous vivons à des échelles différentes », rappelle Salah Hamouri. Selon le statut des Palestiniens ou le territoire où ils résident, la réalité n’est en effet pas la même et les moyens d’actions également. Depuis 1967, les territoires palestiniens sont divisés en plusieurs zones en Cisjordanie (A, B et C chacun avec des niveaux différents de restrictions de liberté, occupation et discriminations). S’ajoutent à ces territoires la bande de Gaza et les déplacés et réfugiés palestiniens partout dans le monde.
Salah Hamouri rappelle que le colonialisme de peuplement est un projet encore en cours et continu à travers notamment l’implantation de colonies dans les territoires palestiniens et que le mot apartheid ne suffit pas à tout prendre en compte. En novembre 2022, un rapport de l’ONG palestinienne al Haq est publié afin de préciser l’utilisation de la notion de régime d’apartheid adapté au contexte palestinien pour clarifier la manière dont il peut être une ressource pour qualifier la politique israélienne.
Transferts de population
Dans ce rapport intitulé « L’apartheid israélien : instrument du colonialisme de peuplement sioniste », l’ONG de défense des droits des Palestiniens et Palestiniennes analyse l’apartheid israélien « comme un instrument du colonialisme de peuplement sioniste afin de mettre en évidence la logique d’élimination et de transfert de population du système d’apartheid israélien et son intention de déplacer et de remplacer le peuple palestinien autochtone sur la terre de Palestine. »
En utilisant le mot « instrument », l’ONG souhaite souligner l’importance pour les organisations internationales de ne pas seulement demander la fin du régime d’apartheid, mais aussi celles du processus de colonisation, de déplacements et d’élimination de la population palestinienne. Elle pousse également à la reconnaissance des pratiques coloniales israéliennes.
« Parmi les nombreuses conclusions de ce rapport, l’une des plus importantes est que toute description de la situation en Palestine comme un « conflit » ignore la réalité de la situation. La dynamique de pouvoir asymétrique, l’occupation indéfinie et prolongée, la nature exploiteuse de cette occupation et le transfert et l’expulsion constants de la population au mépris total du droit international montrent que les politiques d’Israël sont plus qu’un régime d’apartheid et s’apparentent à une politique de colonisation au XXIe siècle, avec l’intention de déraciner et d’éradiquer le peuple palestinien de sa terre natale », estime el Haq.
Pour Amnesty International, comme pour Al Haq, l’utilisation de la notion de régime d’apartheid et donc de crime d’apartheid permet cependant de faire des recommandations que ce soit auprès des Etats de la communauté internationale, d’Israël ou des Nations Unies afin de demander la fin de ce régime, des réparations, des sanctions et des poursuites pour les crimes commis.