« Animal agriculture », Selene Magnolia.
Vous faites de la recherche en écologie de la santé, une discipline dans laquelle vous étudiez le parallèle entre la santé et la biodiversité. Pourquoi est-il important de faire ce lien?
Il y a d’abord un point de vue historique, et qui est le plus diffusé aujourd’hui, qui consiste à se demander quel est l’impact de la biodiversité sur la santé humaine, et comment mieux comprendre la biodiversité pour mieux gérer les risques sanitaires pour les humains. On parle ainsi des maladies infectieuses comme le Covid, ou d’autres, qui sont des zoonoses et qui ont évolué à partir de souches circulant initialement chez la faune sauvage. On évoque également tout ce qui touche au système immunitaire, comme les allergies et les maladies auto-immunes, et qui a un lien avec le fait que les humains sont moins en contact avec la biodiversité, notamment végétale et parasitaire.
Ensuite, il y a un deuxième point de vue, que je porte, qui est global : il s’agit de dire qu’il est normal qu’il y ait des pathogènes dans la biodiversité mais que ce qui est problématique, c’est quand ces pathogènes arrivent dans des populations animales ou végétales déjà vulnérables du fait des pressions humaines. Il y a cette idée de transmission des maladies à la biodiversité.
Et puis, il y a l’aspect de l’impact de la gestion des maladies et des risques sanitaires dans la population humaine ou le bétail, sur la population sauvage. Quand on utilise des médicaments tels que des antibiotiques, ou des pesticides, qui sont des médicaments pour les plantes en fait, on impacte la biodiversité.
Quelles sont les activités humaines qui mettent en danger la santé globale ?
Le facteur principal est le changement d’utilisation des terres : les changements d’habitat, et les pressions qui y sont liées, l’urbanisation et l’agriculture intensive. Quand on parle d’agriculture intensive, on évoque à la fois les pesticides, les antibiotiques mal utilisés, la globalisation des échanges de produits animaux et végétaux vivants et morts qui font circuler aussi des pathogènes.
L’urbanisation artificialise les habitats et a pour conséquence qu’il y a de moins en moins d’habitats naturels et que l’on déconnecte les uns des autres les habitats naturels qu’il reste. Quand on parle de maladies infectieuses, les changements climatiques peuvent avoir un impact fort sur certaines choses, mais le facteur principal, ce sont les habitats.
Vous avez étudié particulièrement les dynamiques des virus des grippes aviaire dans les zones humides. Est-ce que les zones humides sont particulièrement fragiles ?
Les zones humides sont, d’une part, un réservoir de la biodiversité, donc aussi de pathogènes, et d’autre part un réservoir d’espèces vulnérables. En parallèle, les zones humides sont très exploitées pour les activités humaines. En Camargue, où j’ai fait ma thèse, il y avait déjà de la pisciculture il y a 2000 ans. Il y a de la chasse, de la pêche, du tourisme. Les deltas en particulier, et les zones humides en général, concentrent les activités humaines et cumulent donc une vulnérabilité, de la diversité de pathogènes et une forte présence humaine.
Quels sont les facteurs qui vont influencer la dynamique de ces virus de grippe aviaire dans les zones humides ?
La grippe aviaire illustre bien quelque chose qui se retrouve dans d’autres zoonoses. Le réservoir du virus, c’est la faune sauvage. Les oiseaux d’eaux sauvages sont des réservoirs des grippes aviaires et les souches faiblement pathogènes ou hautement pathogènes peuvent y circuler. Cela est devenu problématique depuis qu’il y a eu une explosion de l’élevage aviaire en Asie. On parle de centaines de milliers de tonnes, élevées chaque année. Cette densité de l’élevage, connectée à l’ensemble du monde par les échanges internationaux, fait que, un virus qui a existé depuis des milliers d’années et qui a toujours muté régulièrement chez les oiseaux, sans se maintenir pour les formes hautement pathogènes, peut désormais se maintenir.
La situation actuelle est une situation favorable au développement des grippes aviaires : il y a, à la fois, une circulation en faune sauvage, pour les formes virulentes, et une circulation en élevage. Et les élevages sont de temps en temps réapprovisionnés en virus, par un contact avec le sauvage. Pour la grippe aviaire, on évoque souvent la crainte qu’elle ne mute vers les humains, mais globalement, le problème concerne les élevages. C’est quelque chose qui a été bien mis en avant dans des rapports post-Covid : l’un des facteurs principaux de transmission des pandémies, c’est l’élevage intensif et globalisé. Ce sont des super compartiments pour le maintien et la propagation des virus et ça permet que cela se disperse en un temps record, dans le monde entier.
Vous parlez de l’Asie, mais cela pourrait se produire ailleurs ?
C’est la densité combinée des élevages, de la biodiversité et d’humains qui crée le problème. En Sibérie par exemple, il n’y a que très peu d’humains et peu de diversité de pathogènes. Dans le cas du développement d’un virus dans un élevage, il y a moins de probabilité qu’une pandémie se développe.
L’Asie est une zone où il y a une densité d’élevage énorme, avec une densité humaine énorme et c’est une zone hyper connectée au monde. En Afrique, la densité est moins forte et la région est certes connectée, mais moins. En 2005-2006, lorsque la grippe aviaire arrive au Nigeria assez rapidement, par le transfert de poussins, elle ne se propage pas à tout le continent. La zone est moins connectée au monde, comme peuvent l’être la Chine, l’Asie du Sud-est, le Cambodge, ou le Vietnam.
De quelle manière citoyen et sociétés civiles peuvent-ils aider à la prise en compte de cette dimension de « santé globale » ?
Il est important d’être sensibilisé au fait que quand on parle de santé globale, ce n’est pas que notre santé à nous, les humains. Ça ne fonctionne pas que dans un sens. Ce n’est pas que la faune sauvage qui nous donne des maladies. En France, dans le monde agricole, l’idée selon laquelle, la question de la santé c’est le fait de protéger les élevages et les cultures du monde sauvage, reste encore assez dominante. Les pathogènes, les vecteurs, font partie de la biodiversité. Il est normal qu’ils circulent. Ils ne sont pas problématiques en eux-mêmes. C’est le contexte qui fait qu’ils sont problématiques. Pour le Covid par exemple, c’est le contexte d’une nouvelle maladie qui survient, en lien avec quelque chose qui circulait dans le sauvage, avant, et qui va arriver sans qu’on n’y soit préparé, sans que la population ne possède d’immunité.
Mais par exemple, face à la grippe qui circule encore en France, c’est bien de vacciner les populations vulnérables ou les praticiens de soins, qui peuvent propager. Cependant, il est normal que le virus circule dans la population, et c’est comme ça qu’on est protégés sur le long terme. Il ne faut pas que l’on se protège de tout. C’est la même chose pour l’élevage : si on a des races rustiques, de la diversité, des densités pas trop fortes, du bien-être animal, il y a un certain nombre de maladies qui peuvent passer sans que ce soit un problème.
Les citoyens peuvent-ils agir directement ?
Notre consommation a un impact direct sur notre santé. Par exemple, consommer bio et local a un effet. Aujourd’hui, il y a des études qui montrent que manger bio réduit un certain nombre de cancers, mais ça réduit aussi l’impact sur l’environnement. Consommer local peut avoir un impact non seulement sur l’environnement, mais aussi sur notre santé, en évitant, tous ces échanges globalisés.
Il est aussi important d’avoir conscience de l’importance de l’aspect préventif : oui, je vais prendre un antibiotique parce que je suis malade, mais si j’étais en meilleur bien-être, je serai moins malade. Si je suis dans ma ville, que je ne sors jamais, que je me désinfecte les mains et que je porte mon masque, oui, je vais éviter d’être exposé à certaines choses, mais je ne vais pas être prêt à être exposé à quoi que ce soit. Et dès que je vais être exposé à quoi que ce soit, ça va être problématique, et si je suis stressé, ça va être beaucoup plus problématique.