Les évènements en Catalogne interrogent notre sentiment d’appartenance à un territoire, une identité, à une culture… Marseille, dans la conscience collective de la population française, est toujours considérée comme une ville à part. Sa population bigarrée, issue de vagues successives d’immigration, son âme méditerranéenne, carrefour d’un métissage d’histoire d’ici et d’ailleurs.
Mais que vient faire le régionalisme dans cette histoire me direz-vous ? C’est la question que nous soumettons à nos différents interlocuteurs du jour. Nous voici partis sur la route d’une parole indépendante mélangeant les cultures aussi diverses que corse, marseillaise, kurde, provençale, que sais-je ?
Déambulant dans les rues du Panier à la recherche de l’expert de rue du régionalisme, mon colistier Simon m’indique que dans l’artère principale du Panier se trouve un repère gastronomique de culture corse. Arrivés à bon port, notre vision de l’assiette de charcuterie que partageait Mr M et ses acolytes nous installe de fait dans un mouvement régionaliste.
De prime abord, Mr M n’est pas très enclin à nous livrer son avis sur le régionalisme corse. Mais après quelques amabilités de son assistance adepte du jambon corse, il se décide à s’épancher sur le cas de l’île de beauté.
Pour Mr M au sujet de la Corse, la question de l’indépendance n’est plus d’actualité au sens politique du terme. Selon son expérience, l’identité corse n’est pas politique mais réside dans la pratique de la transmission de la langue ou de la culture corse. C’est ce qu’il fait avec ses enfants et ses petits enfants. Il souligne, par ailleurs, que la Corse étant une île, il serait donc difficile pour sa population de prétendre sérieusement à l’indépendance. Ainsi, l’exemple Catalan ne peut selon lui rentrer en résonance avec la situation de l’île de beauté.
Ne souhaitant apparemment pas s’appesantir sur la question corse, une lichette de vin plus tard, son propos glisse peu à peu sur la problématique migratoire. Dans le Panier, nous dit-il, « nous étions de différentes origines, corse, maghrébine, chinoise, italienne, comorienne et j’en passe… ce qui nous liait, c’était la langue française ». Il avait d’ailleurs de très bonnes relations avec un imam comorien et son fils « qui aujourd’hui m’appelle « Papa » car lorsqu’il faisait des conneries je le sermonnais pour qu’il revienne dans le droit chemin ». En Corse nous dit-il, « il y a aussi des problèmes avec quelques Maghrébins », mais il souligne « qu’à l’école les enfants corses et les enfants maghrébins se fréquentaient sans problème, nous les invitions à la maison. »
Son problème à lui, c’est « Belka machin » c’est à dire Najat Vallaud-Belkacem, car elle voudrait imposer la langue algérienne à l’école. Pour Mr M, c’est inconcevable d’apprendre l’algérien en France. « Apprendre le corse, le breton pourquoi pas, mais pourquoi l’algérien nous sommes en France ici pas en Algérie ». Nous éloignant de la question régionaliste, nous décidons d’un regard circonspect de laisser Mr M et ses affidés finir de trancher, sur le cas du jambon corse, la tête des Maures.
Cinq cents mètres plus loin, nous nous présentons à Madame A, une Corse d’origine sicilienne. Sans aucun doute pensons-nous que son regard sur le régionalisme à travers le prisme catalan nous serait très instructif. Madame J est dans son restaurant en pause gustative elle est accompagnée de Madame C, la cogérante qui elle, s’adonne à la nicotine de façon débonnaire. « C’est mardi et les clients ne sont pas au rendez-vous », nous disent-elles.
Madame A qui brûle les planches depuis peu, nous invite avec une théâtralité toute provençale à prendre place pour discuter le bout de gras régional. D’entrée de jeu, à la question de l’exemple catalan, sa réponse migre sur le souvenir du mur de Berlin, « avant on séparait les peuples et aujourd’hui ce sont les peuples qui veulent se séparer ». Pour Madame A, les Catalans sont Espagnols, et elle ne comprend pas pourquoi des Espagnols voudraient se séparer d’autres Espagnols. Mais le problème le plus grave qui, selon Madame A favorise cette entreprise séparatiste, c’est l’imposition d’une culture étrangère.
Elle ne comprend pas que les enfants ne mangent plus de cochon à la cantine sous prétexte que des gens d’une autre culture, « les musulmans », ne seraient pas très enclins à l’ingestion de la viande porcine. « Nous étions là avant » poursuit-elle, soulignant qu’elle est pour le mélange ethnique, « mais il ne faut pas que cela dépasse les bornes ». Les bornes fixées par qui ? Nous allons bientôt le savoir.
Voici l’indépendantisme régionaliste qui rentre en écho avec les mécaniques séparatistes des peuples. Le voile et la culture de l’autre devenant le problème, non pas le territoire. Dans le cas de Madame A, les derniers arrivés sont toujours la cause du repli identitaire opéré par les vrais habitants, ici les Français.
Le « eux et nous » suggère qu’il y aurait des gardiens d’une bonne culture, des bonnes mœurs, qui formeraient une communauté homogène de gens partageant les mêmes valeurs. Les « autres », ceux qui n’ont pas intégré ou assimilé cette culture de souche doivent se plier à la culture de souche pour que tout le monde soit pareil. « Nous sommes tous méditerranéens » nous dit Madame A, reste à savoir qui donne le certificat du bon méditerranéen ?
Nous quittons Madame A et les ruelles du Panier pour promener notre caméra sous le soleil du Vieux Port à la recherche d’autres voix régionales. Alors que nous traversons des nuées de touristes venant lézarder, nous apercevons deux jeunes adolescentes au bord de l’eau. Nous les invitons à enrichir de leur réponse notre questionnement sur le régionalisme. C’est une population qui mérite notre sérieux car leur réponse est bien souvent dénuée d’aprioris, les jeunes ne sont-ils pas des interlocuteurs idéaux pour cette difficile question d’indépendance ?
Appréhender la problématique de l’indépendance d’un territoire avec des adolescents nous permet d’interroger leur capacité d’intégration au territoire et à son essence culturelle. Ici leur mobilité est réduite, nous ne sommes plus dans le régionalisme mais plutôt dans le « localisme ».
A la suite de notre entretien avec les deux adolescentes en pause casse-croûte, nous poursuivons notre entreprise de questionnement du régionalisme, que nous ouvrons bien volontiers au nationalisme ou autre indépendantisme. Ayant la question catalane comme ligne directrice, il nous fallait trouver un Marseillais habité par le questionnement sur l’indépendance. Le Marseillais étant un peuple bigarré qui de mieux qu’un Kurde trempé dans la bouillabaisse pour nous répondre sur le sujet.
Heureux de l’intérêt que nous portons à son indépendance, il nous gratifie d’un thé à la menthe fait de main de maître. Le micro de notre zoom étant opérationnel, il ne nous reste plus qu’à lancer la conversation avec Monsieur Shapur, le Kurdo-marseillais de Belsunce.
Pour réclamer une indépendance, il faut plusieurs ingrédients. Les Kurdes, selon Shapur, sont en situation de répression constante alors qu’ils ont joué le jeu démocratique en Turquie. Mais ils ne reçoivent aucun bénéfice à ce jeu car pour lui la démocratie n’est plus a l’œuvre en Turquie depuis l’avènement du président Recep Tayyip Erdogan.
Les Kurdes sont morcelés sur quatre territoires ; Turquie, Irak, Syrie, Iran. Chaque communauté a des réalités différentes et des rapports particuliers avec son pouvoir central respectif. Dans ce cadre, il est très compliqué de définir une ligne politique commune entre Kurdes, Shapur reconnait que c’est un problème.
Pour Shapur, la reconnaissance du Kurdistan en tant que pays est un rêve, il ne croit plus en la logique de frontières mais plutôt à la reconnaissance d’un peuple, d’une culture, d’une langue. Malgré les dissensions entre les différentes factions kurdes, il serait heureux que le Kurdistan irakien soit reconnu comme pays, ce serait selon lui le début du commencement du rêve, une base pour les autres entités kurdes.
Cette déambulation interrogative sur la notion d’indépendance sous le prisme catalan nous renseigne sur notre rapport à l’appartenance à une culture, une langue, une histoire, un territoire. Nous constatons aussi que cette réflexion, avant d’être collective, est surtout une relation personnelle répond à une question : Comment nous pensons-nous par rapport à celui que l’on désigne comme l’étranger ?
Un peuple peut-il s’autodéterminer ? Si oui, par rapport à qui et pourquoi ? Dans nos discussions, nous retrouvons toujours cette relation entre le territoire de notre sociabilisation direct, en d’autres termes le local, et le pouvoir central.
Cela nous interroge sur la construction identitaire ; sommes-nous Français avant d’être Marseillais, Kurde avant d’être Marseillais ? Les Catalans sont-ils seulement Catalans ou également Espagnols, comment trancher ? Un référendum peut-il suffire à régler cette question épineuse ?
Constatons néanmoins que si ces questions ne sont pas faciles à résoudre ici en Europe, leur expression est du moins possible et ce questionnement ne peut être réprimé. Shapur, dans son intervention, souligne cette différence majeure par rapport au désir des peuples à l’autodétermination. Car pour pouvoir le faire, il faut un cadre démocratique.En effet si les peuples qui réclament leur indépendance se trouvent sous la férule d’un Etat autoritaire voire dictatorial, l’autodétermination entraine bien souvent de la violence voir des guerres.
La question Catalane, même si elle s’inscrit dans un rapport démocratique, nous interroge sur notre appartenance et sur l’espace de socialisation dans lequel nous voulons l’exprimer. A l’heure où le nationalisme se réveille en Europe, cette question est de plus en plus d’actualité.