« La mer est ma nation » pièce de Hala Moughanie
Le mari : J’aime pas quand tu pleures ça m’irrite les pleurs de femme.
Sa femme : Mais je pleure en silence.
Le mari : Je vois tes larmes.
Sa femme : Pourtant c’est la nuit que je pleure.
Le mari : Oui je sais c’est terrible terrible les pleurs nocturnes tu sais dans le calme de la nuit quelques fois je me réveille et je te vois le visage tourné vers le plafond grisonnant je te vois de profil c’est mieux que de face tu me diras y’a la lumière du réverbère qui vient de dehors quelques fois quand il y a de l’électricité ça éclaire ton visage et je vois tes larmes qui jaillissent doucement de ton œil le droit je vois moi parce que t’es allongée à ma gauche comme toujours comme depuis qu’on se couche l’un près de l’autre je veux dire je vois les larmes qui montent je ne les vois pas une à une puisque tu es à l’horizontale je vois de l’eau qui remplit ton œil qui s’accumule dans l’espace entre tes deux paupières puis ça déborde et l’eau coule doucement sur ta tempe pas en gouttes comme on pourrait s’y attendre non en filet fin ça coule droit tout droit ah c’est joli à voir cette droitesse qui finit toujours dans ton oreille à chaque fois je m’étonne de ton silence quand tu pleures pas un son pas un soupir pas un mouvement alors que ça ne doit pas être plaisant d’avoir de l’eau dans l’oreille mais non pas un geste rien juste cette eau fine qui coule sans rien changer à ta respiration sans un battement de cil en surplus sans que tu ne lèves la main pour t’essuyer le visage rien comme si tu murmurais de la pointe de l’œil on pourrait penser que c’est de la discrétion mais le fait est que je te vois et chaque fois je m’interroge de savoir si tu te rends compte d’à quel point c’est terrible de me réveiller au milieu du silence et de voir que la femme couchée à mon côté pleure alors oui je suis bien content de pouvoir fréquenter d’autres personnes qui ne pleureront pas la nuit à mes côtés. »