Situé en plein cœur des tours d’Aubervilliers et de Pantin, le jardin des vertus, bientôt centenaire est menacé. Ses jardiniers sont en lutte depuis plusieurs mois maintenant contre un projet de construction initié par Grand Paris Aménagement afin de construire une piscine d’entrainement pour les sportifs des JO 2024. Environ 6000 mètres carrés de jardin seront détruits par ce projet.
« Une oasis parmi les cités »
En sortant du métro, il est presque impossible de ne pas les remarquer, ces jardins qui sont au croisement des villes d’Aubervilliers, de Pantin et de Bobigny. Ils s’étendent sur 22 474 mètres carrés et existent depuis plus de cent ans ; l’association qui les représente : « la société des jardins ouvriers des vertus », est née en 1935. Pour beaucoup de jardiniers qui y travaillent, c’est une fierté de pouvoir faire pousser leurs fruits et légumes dans un tel cadre. Car oui, le cadre semble idyllique pour ces amoureux de la nature. Ils sont nombreux à considérer ces jardins comme un lieu très reposant, entre nature et bitume. D’après l’un d’entre eux c’est « une oasis parmi les cités ».
Ces terres sont pourtant aujourd’hui menacées de disparaitre. La mairie de Paris et celle d’Aubervilliers souhaitent construire une piscine olympique pour les JO 2024 ainsi qu’un solarium qui détruiraient des parcelles entières de jardin. C’est en 2017, lorsque le projet du grand Paris express était évoqué pour la première fois, que les jardiniers ont vu la menace de perdre leurs terres. Aujourd’hui, le projet de piscine et de solarium est mis à exécution. Des engins de chantier ont déjà fait leur apparition entre deux parcelles, les marquages à la bombe de peinture sont visibles sur les jardins destinés à être détruits. Les jardiniers qui travaillaient sur ces terres ont déserté les lieux, comme un aveu d’impuissance quant à la destruction de leurs morceaux de terre, devenus fantômes, en friche.
Mobilisation et colère
Les jardiniers et l’association des jardins des vertus ne comptent pas en rester là. Même si certains sont pessimistes quant à l’avenir du lieu, la majorité des jardiniers pensent qu’ils peuvent encore changer la donne. Ils organisent donc des manifestations, dont la dernière a eu lieu le 17 avril 2021, le cortège parti de la mairie d’Aubervilliers est allé jusqu’aux jardins. Des centaines de personnes étaient rassemblées pour protester contre les projets qui vont selon eux à l’encontre des enjeux environnementaux et sociétaux. Et même si toutes les parcelles des jardins ne sont pas menacées, beaucoup de jardiniers ont fait le déplacement par solidarité. Dans ce contexte de lutte pour les jardins, l’entraide est importante. De nombreuses associations étaient également présentes comme le collectif Saccage 2024 ou encore Youth for Climate. Des partis politiques étaient aussi présents, à l’image d’Europe Écologie les Verts. Leur but est le même : préserver les jardins et encourager la mise en place de terrains plus verts. Certains jardiniers ne sont pourtant pas contre, l’un d’eux nous affirme : « le projet de mettre une piscine n’est pas en soi mauvais, c’est ce qui en découle comme la destruction de parcelles qui dérange ».
Éliane, est l’une des plus anciennes jardinières sur ce terrain. A 86 ans, elle a voulu absolument être présente lors de la manifestation prévue devant les jardins. Même si sa parcelle n’est pas impactée, elle pense nécessaire de venir pour montrer que tout le monde se sent concerné. Nous l’avons retrouvée devant les grillages qui coupent les jardins du reste du monde. Elle a son jardin à Aubervilliers depuis 48 ans, autant dire que c’est la doyenne du lieu qu’elle connait par cœur. Elle s’occupe seule de sa parcelle de jardin depuis des années. Alors, lorsqu’elle a entendu pour la première fois l’annonce du projet, elle s’est dite très contrariée, même en colère. D’après cette jardinière chevronnée, « 19 parcelles ont déjà été marquées par les agents du chantier, alors, je ne peux plus passer de ce côté-là des jardins. L’émotion est forte et ça fait mal au cœur. J’ai vu ce lieu grandir et évoluer avec le temps, les jardins sont devenus une source d’entraide entre particuliers qui ont des terres, un endroit où l’entente est familiale, conviviale et forte ». Son jardin, Éliane y tient. Avec le sourire, elle nous l’affirme : « toutes ses heures passées entre ces légumes sont pour moi une thérapie et me font du bien tant pour mon moral que pour ma santé ».
« On se croyait protégés »
Marie est elle aussi jardinière sur le terrain Des jardins des vertus. Elle a obtenu sa parcelle il y a 6 ans et y passe la majorité de son temps depuis sa retraite il y a deux ans. « Avoir un jardin, c’était pour moi le moyen de contourner l’ennui de la retraite » nous explique cette femme de 73 ans. Elle nous raconte comment elle a découvert les jardins : « c’est lors d’une journée porte ouverte pour les journées du patrimoine que j’ai trouvé ce lieu. Je suis tout de suite tombée sous le charme de ces parcelles, de plus elles sont situées à 500m de chez moi, ce qui m’a confortée dans ma décision ». Alors, lorsqu’elle a appris qu’elle pouvait faire une demande par courrier, « je n’ai pas hésité » confie-t-elle. De nature très active, rester chez elle lui aurait été insupportable. « Ces jardins sont pour moi un moyen de m’évader du quotidien et de ressentir différentes émotions. Je me sens vraiment dans la nature avec tous ces arbres fruitiers, les jardiniers qui travaillent, les différentes odeurs… ». Son jardin lui permet aussi de ne plus acheter des fruits et légumes puisqu’elle les produit elle-même, elle avoue d’ailleurs avoir une préférence pour les haricots. En parallèle, ces jardins lui rappellent son enfance en République Tchèque : « ma mère avait un grand jardin il y a 50-60 ans. J’ai gardé depuis petite, le goût pour tout ce qui touche à la terre ».
Heureusement, son jardin n’est pas directement impacté par le projet de construction. Mais elle se sent « plus que concernée » par ce qui touche les autres jardiniers : « Évidemment ça me fait mal au cœur et je soutiens les autres. Même si je ne suis pas menacée, je me mets à leur place, je ressens la même chose qu’eux. Surtout que leurs jardins sont les plus diversifiés ». Il reste aujourd’hui 86 parcelles dans le jardin des vertus, et Marie était persuadée qu’avec tout ce qui avait déjà été détruit depuis des années, notamment avec la construction d’un parking, ils échapperaient à une nouvelle menace. « Quelque part on se croyait protégés, et qu’on ne toucherait plus à ce qu’il reste de ces jardins qui sont là depuis bientôt un siècle ». De plus, elle pensait que la mémoire des jardiniers qui sont passés par ces terres serait plus forte que les projets de constructions : « combien de personnes sont passées par ces jardins ? Ils ont cultivé ici avant moi et c’est ça qui est beau ». Marie se dit peut-être naïve, mais elle croit en un avenir où la cohabitation est possible : « Tout ça devrait pouvoir coexister, il y a une biodiversité, un écosystème qu’on ne doit pas oublier. Il faut se battre pour les sauvegarder ».
Les jardiniers espèrent encore un retournement de situation quant au projet. Contactée, la mairie n’a pas donnée suite à nos sollicitations. Marie, elle, reste réaliste : « ils ne peuvent plus reculer, le contrat a été signé. Si la mairie annule, ils devront payer des dédommagements au constructeur ». De plus, le terrain sur lequel ont pris place les jardins d’Aubervilliers appartient à GPA (anciennement agence foncière et technique de la région parisienne) depuis 1973 après les avoir acquis au ministère de l’intérieur. Le 29 janvier 2021, Grand Paris Aménagement a décidé de récupérer l’emprise foncière dont l’association du jardin des vertus avait le contrôle jusqu’ici. Après un accord commun, les travaux ont pu débuter et les occupants des parcelles concernées avaient jusqu’au 30 avril 2021 pour libérer les jardins destinés à être détruits. GPA compte également construire une nouvelle gare du réseau grand paris express d’ici 2030. Elle fera office de prolongement de la future ligne de métro 15 et touchera encore un peu plus les jardins (environ 2000 mètres carrés). A ce jour, les travaux prévus pour la piscine olympique sont arrêtés pour un mois. L’association du jardin a dénoncé la mauvaise manipulation d’amiante présente dans les cabanes qui seront détruites. Un inspecteur du travail a donc arrêté le chantier pour cette courte durée afin de faire la lumière sur les produits présents dans ces cabanes. Un court répit qui ne fait que retarder l’inévitable.