Cette exposition est le résultat d’un long travail de recherche. Comment est née l’idée de travailler sur les « retours » ?
L’exposition démarre d’un expérience que j’ai faite il y a 20 ans, au moment où j’accompagnais une personne qui rentrait en Algérie après 25 ans d’absence, retrouver ses soeurs, sa terre natale et les espaces de son enfance. Pour la première fois, je me suis rendue compte de la saillance et de la complexité de ce qu’est un « retour ». J’ai décidé d’en faire un sujet de recherche à part entière, en étudiant les expériences, les pratiques, les poétiques, de retour des gens qui investissent l’Algérie comme un pays d’origine. À partir de cette recherche anthropologique, nous avons décidé, avec Camille Faucourt, d’organiser une exposition à échelle méditerranéenne pour interroger le « revenir » sur une géographie plus large et dans une temporalité plus large qui est celle du XXe siècle à de nos jours.
Qu’avez-vous voulu faire en interrogeant le « retour » ?
Cette exposition part d’un constat : revenir n’est pas nécessairement un retour en arrière, un retour au point de départ. C’est une expérience qui se décline de manières différentes et qui donne à voir et à ressentir qu’est ce qu’habiter un pays lorsqu’on l’a quitté, lorsqu’on l’a perdu, lorsque ce pays n’existe plus ou lorsque vous êtes interdit de retour dans ce pays. Mais également comment on peut le transmettre, et comment on peut le recevoir en héritage et en faire quelque chose de signifiant dans sa propre vie.
On s’est rendu compte que si « revenir » est un désir, c’est aussi une présence, une manière d’être présent en espace du familier. C’est peut être plutôt un « devenir » : quelque chose qui engage un horizon d’attente et qui permet de ne pas renfermer le passé dans un tiroir mais de faire de ce pays de récit, quelque chose qui continue à vivre, à signifier au présent et au futur.
Dans cette exposition vous proposez plusieurs espaces parce que vous différenciez différentes typologies de retours. Lesquelles ?
Ce que l’on voulait faire c’est comment on pouvait habiter le retour. Quelle relation on a avec « chez soi », avec le sol et avec le groupe. Pour comprendre cela, nous avons voulu montrer 4 expériences. Elles ne sont pas cloisonnées. On peut vivre dans une vie différentes types d’expérience de retour. La première est l’expérience la plus classique pour l’émigration économique des années 50-60-70 , celle des aller-retour : qui se traduit par les vacances au pays, la ré-installation, la bi-résidentialité, mais également l’inhumation.
La deuxième expérience est celle de celles et ceux qui ne peuvent plus physiquement habiter le pays d’origine, parce que la patrie et la terre d’appartenance ne correspondent plus, suite à des événements historiques, à des guerres de décolonisation pour la plupart. Ce sont des retours mémoriels, il existe une économie des racines.
La troisième section évoquent celles et ceux qui ne peuvent pas se rendre dans le pays soit parce que la frontière est fermée, soit parce que les pays sont des pays autoritaires et qu’il serait trop dangereux d’y revenir, soit parce que le pays n’existe plus ou qu’il est occupé, comme c’est le cas pour la Palestine par exemple.
La dernière section montre qu’il y a quand même des possibilités de détour envisageables et même lorsque le pays, tel qu’on l’a connu n’existe pas, d’autres formes de retour sont possibles en occupant différemment l’espace et la terre, et c’est notamment l’expérience des habitants de deux villages de Haute Galilée historique, aujourd’hui en Israël.
Que permet cette exposition pour les publics qui ont un lien personnel à un pays de la Méditerranée ?
Cette exposition raconte des expériences dans lesquelles on peut se reconnaître : le désir d’investir un pays que l’on n’habite pas, le désir de transmettre de génération en génération un lien qui reste présent. Non seulement un lien mémoriel, si on pense la mémoire comme quelque chose du passé, mais également un lien d’appartenance, qui nous construit au jour le jour. C’est un peu l’expérience de la Méditerranée elle-même, une expérience de migrations et d’exils. Cette exposition montre l’expérience du « devenir » au quotidien de celles et ceux qui, en Méditerranée, ont plusieurs ports d’attache et plusieurs espaces dans lesquels ils ou elles se reconnaissent.
Giulia Fabbiano est maîtresse de conférences en anthropologie à Aix-Marseille Université, membre de l’IDEAS UMR 7307. Elle a soutenu une thèse sur les narrations identitaires et mémorielles postcoloniales en France, publiée sous le titre Hériter 1962. Harkis et immigrés à l’épreuve des appartenances nationales (Presses universitaires de Paris Nanterre, 2016). Depuis, ses recherches se concentrent sur les usages du passé dans les pratiques de mobilité dans l’espace méditerranéen ainsi que dans les expériences ordinaires en Algérie. Elle a participé à l’écriture collective de L’Esprit de la révolte. Archives et actualité des révolutions arabes (Éditions du Seuil, 2020) et récemment codirigé Cheminements révolutionnaires. Un an de mobilisations en Algérie 2019-2020 (Éditions du CNRS, 2021) et Algérie coloniale. Traces, mémoires et transmissions (Cavalier Bleu, 2022).
Infos pratiques :
« Revenir »
Fort Saint Jean, Mucem.
18 octobre 2024 – 16 mars 2025
Ouvert tous les jours, sauf le mardi. 10h-18h.
Billets : 7,50/11 euros
Plus d’infos
Revenir.Expériences du retour en Méditerranée
(Catalogue de l’exposition)
Dirigé par Giulia Fabbiano et Camille Faucourt
Coédition Anamosa / éditions du Mucem
144 pages. 28 euros
Je le commande en ligne