En Algérie, les médecins résidents se sont mobilisés en 2018 pour demander de meilleures conditions de travail. Leïla Beratto.
Comment expliquer que, malgré la précarité et les difficultés auxquelles sont confrontés les médecins à diplôme étranger en France, le nombre de candidats aux épreuves de validations des connaissances (première étape, dans le parcours pour obtenir le droit d’exercer la médecine en France pour les soignants qui ont obtenu leur diplôme à l’extérieur de l’Union européenne) augmente en permanence ?
S’il y a une augmentation du nombre de candidats, c’est parce qu’il y a des décrets qui limitent l’exercice de la profession médicale par les personnes diplômées à l’étranger. L’application de ces décrets est reportée mais les PADHUE (praticien à diplôme hors Union-européenne) sont voués à disparaître. C’est une volonté politique. Le seul moyen pour ces médecins qui exercent déjà dans les hôpitaux français de pouvoir continuer à exercer, c’est de passer cette épreuve et donc être inscrit à l’Ordre des médecins.
Cette augmentation ne traduit pas seulement l’arrivée de nouveaux médecins, mais c’est le fait que petit à petit on les empêche d’exercer. Ils sont donc obligés de passer cette épreuve qu’ils ne peuvent passer que quatre fois dans leur carrière pour pouvoir continuer à travailler. S’ils échouent quatre fois, il n’y a rien à faire. Jusqu’en 2012, par exemple, les médecins diplômés hors Union-européenne pouvaient être embauchés comme infirmiers dans les hôpitaux. Depuis 2012, ce n’est plus possible. Cela les pousse à demander cette reconnaissance du diplôme.
Est ce que la procédure Stock (procédure, lancée fin 2022, d’autorisation d’exercice des médecins ayant travaillé en France, sans passer par l’examen de vérification des connaissances) est la contrepartie de cette interdiction d’exercer qui se profile ?
Il y a une volonté depuis des années, et malgré la pénurie, de limiter la présence de ces médecins en provenance du continent africain, pour faciliter l’arrivée de médecins à diplômes européens, dont la reconnaissance des diplômes est automatique.
Aujourd’hui, politiquement, on demande à faire venir ces médecins de manière temporaire. Le syndicat qui représente ces médecins, le SNAPADHUE, est inquiet de cette nouvelle carte de séjour pour les métiers en tension (proposée dans le projet de loi Immigration, ndlr). Ils se demandent ce que les procédures de régularisation et d’autorisation d’exercice vont devenir.
Malgré ce durcissement statutaire en France, les départs depuis les pays du Maghreb ne réduisent pas. Comment est-ce que les soignants que vous avez interrogés dans vos recherches expliquent cette volonté continue de venir travailler en France ?
Les conditions de travail qu’ils quittent dans leurs pays d’origine sont encore moins favorables. Ils décrivent une carrière hospitalière compliquée, parce qu’il faut du piston. Pour les femmes, c’est encore plus difficile. Les jeunes médecins ne sont pas très bien rémunérés, pas très bien pris en considération par des médecins plus âgés. Il y a donc des systèmes de santé déjà en crise dans des pays d’origine et qui poussent les médecins à s’installer en France. Parce que malgré la précarité, ils ont des conditions financières favorables et des conditions de vie meilleures.
Ce discours est valable pour les médecins européens comme pour les non-européens. La crise de 2008 a provoqué une précarisation des carrières dans les pays européens du sud ; l’Espagne, la Grèce, l’Italie, le Portugal, où des médecins sont désormais embauchés avec des contrats à durée déterminée. Ils quittent leur pays d’origine pour trouver de meilleures conditions. Les médecins à diplôme hors Union-européenne décrivent des conditions de travail dans les pays d’origine très compliquées et des difficultés de faire carrière.
Cette difficulté de faire carrière les pousse à s’installer en France. La difficulté qu’ils peuvent y rencontrer est relative. Ils peuvent travailler, ont un salaire, même s’il est moins important qu’un collègue français ou européen. Ils ne se comparent jamais à ces derniers. Ils se comparent tout le temps avec les collègues qu’ils ont laissés dans leur pays d’origine. Et c’est ça qui fait qu’ils essayent de rester.
Ce qui crée des crises sanitaires par manque de soignants dans les pays de départ, ce n’est pas seulement le départ de professionnels. Ce sont aussi les conditions des hôpitaux et des systèmes de santé dans les pays d’origine. Si vous ne pouvez pas trouver un travail qui vous permette de faire vivre votre famille, vous êtes en droit, pour moi, d’aller chercher ailleurs. Cet ailleurs peut être en France ou dans d’autres pays. Ce droit d’arriver à obtenir des conditions de travail satisfaisantes, a-t-on le droit, nous, Européens, de l’entraver ? Moi-même, je suis italienne. J’ai quitté un système qui m’empêchait de faire carrière rapidement. Dans le système de santé, il se passe la même chose. Les médecins n’arrivent pas à obtenir des postes avant 45-50 ans.
Comment les administrations hospitalières perçoivent-elles cette dualité entre la volonté de soignants à diplôme non français de venir travailler, et, en parallèle, cette restriction institutionnelle à pouvoir les embaucher ?
Je pense que les institutions ne se posent pas cette question-là. Elles ont des besoins urgents qu’elles tentent de satisfaire. Elles ne se posent pas la question de « pourquoi ces personnes viennent ». L’hôpital essaye de faire cadrer un bilan financier avec les besoins des services, c’est une entreprise. A mon sens, l’administration ne réfléchit pas dans des termes d’éthique, de stabilisation du personnel.
Par ailleurs, les chiffres que vous voyez circuler sur l’autorisation d’exercice des personnels soignants à diplôme étranger ne rendent pas compte de la réalité. Chaque service peut décider d’embaucher quelqu’un. Les personnes arrivent avec un CV qu’elles ont parfois envoyé avant même d’arriver. Elles savent qu’il y a un besoin : elles ont des collègues qui sont sur place et qui les renseignent.
Ces médecins présentent leur CV, et sont embauchés. Il y a des contrats à durée déterminée et des positions professionnelles qui ont été créées ad hoc pour ces médecins, qui n’ont pas encore passé les épreuves de validation des connaissances. Ça peut durer 6 mois. Depuis la pandémie, il y a même une catégorie administrative qui a été créée, celle de Collaborateur occasionnel du service public (COSP) qui permet d’embaucher et de licencier un employé. Ces médecins étrangers qui viennent pour 3 mois, peuvent venir, remplir le contrat et repartir, ou chercher un autre contrat.
La question de « vider le pays d’origine de ses médecins » se pose-t-elle indifféremment aux soignants européens et aux soignants non-européens ?
Il y a un double discours porté par des médecins en France ou l’Ordre des médecins à propos de ces soignants à diplôme étranger : d’abord, ils ne seraient pas qualifiés, donc il faut « faire attention ». Puis, en les embauchant, on viderait les pays d’origine de leurs compétences. Ce double discours est à remettre dans un contexte historique de volonté de fermeture de la profession de médecins aux étrangers, qui ne change pas.
La France a un système où on limite l’accès à la profession de médecin via le numerus clausus. Il s’agit d’une volonté de ce corps professionnel d’avoir un bon niveau de vie et de ne pas démocratiser la profession. Historiquement, médecin est une profession fermée. Jusqu’en 1930, hormis la nationalité du diplôme, il fallait avoir la nationalité française pour exercer ce métier.
Si ces médecins partent, c’est parce que les conditions de travail dans les pays d’origine ne leur permettent pas de bien vivre, ce n’est pas parce qu’il y a une pénurie en France. La pénurie est mondiale. Il n’y a pas un seul pays où il n’y a pas de pénurie de professionnels de santé. C’est une problématique globale. Actuellement, il y a un flux migratoire d’infirmières françaises vers le Québec, où elles espèrent trouver des meilleurs conditions de travail.
Les soignants ont-ils réfléchi à cette question de « fuite des cerveaux » de la même manière ?
Non. Ils sont d’abord médecins, et après Tunisien, Algérien ou Italien. Un médecin pense : comment je vais opérer ? Ils ont un intérêt pour les techniques, les pratiques, les outils. Ils réfléchissent en termes de lieux où ils peuvent continuer à se former, apprendre de nouvelles techniques, expérimenter, faire de la recherche. Ce n’est pas une question politique ou le fait de penser à leur pays d’origine.