Face au changement climatique, les activités humaines rendent nos cadres de vie plus vulnérables

Mis à jour le 30/01/2023 | Publié le 16/01/2023
De la Grèce, touchée par des incendies d’une rare violence depuis 2018, à l’Espagne où les plages disparaissent, le réchauffement du climat crée déjà des dégâts importants, qui seront encore plus graves d’ici la fin du siècle selon les experts du GIEC. Aujourd’hui, ces phénomènes environnementaux mettent en lumière la difficulté pour les sociétés méditerranéennes de repenser l’urbanisme ou le tourisme.

« Il y a avait des nourrissons et des mères brulées, ça dépassait l’entendement ». Début décembre 2022, Evanthia Sideri témoigne devant la cour plénière d’Athènes. Elle raconte le cauchemar qu’elle a vécu en essayant de fuir l’incendie de Mati, dans lequel elle a perdu sa mère et son mari.

Le 23 Juillet 2018, cette cité balnéaire à 30 km d’Athènes a été ravagée par les flammes. Des vents d’une rare violence ont propagé l’incendie vers la ville, plus vite que les prévisions. Les habitants n’ont pas été évacués à temps. Le bilan est très lourd : 87 personnes sont mortes dans les flammes, 17 ont succombé plus tard des suites de leurs brûlures.

Aujourd’hui, vingt et une personnes, responsables civils et politiques, se retrouvent sur le banc des accusés. Douze d’entre elles sont jugées pour homicides involontaires. Comme Evanthia, des dizaines de témoins sont entendus quotidiennement. Si les blessures physiques se sont partiellement estompées, la tragédie les a marqués psychologiquement. Pour certains d’entre eux, les problèmes respiratoires persistent.

« Si les premiers effets sur la santé sont immédiats, l’inhalation de la fumée par tous ceux qui se trouvent à proximité crée des problèmes respiratoires plus ou moins sévères selon la quantité de fumée et la santé de ceux qui l’inhalent, explique Dimitri Vassalos, pneumologue et professeur à l’Université d’Athènes. Les enfants, les personnes âgées et les femmes enceintes sont les plus vulnérables. Cela est dû surtout au monoxyde de carbone. Dans les zones touchées (par les incendies, ndlr), on constate une hausse de diverses maladies respiratoires (asthme, bronchite, emphysème, etc.) pendant 5 ans ».

 Grands incendies à répétition

À l’été 2021, l’île Eubée, la deuxième île de Grèce située à moins de 100 kilomètres d’Athènes, comme toute la Grèce continentale, sort à peine d’une canicule hors-normes pendant laquelle des pics inhabituels de température ont dépassé 45 degrés. Les forêts et toute la nature sont alors beaucoup plus sèches que d’habitude. Le matin du 3 août, un petit feu de forêt démarre. Une semaine plus tard, plus de 45 000 hectares de forêt ont été détruits. Deux personnes sont décédées. Une dizaine de communes avec les maisons qui s’y trouvaient ont été entièrement rayées de la carte. Des dizaines de villages ont dû être évacués, des milliers d’habitants déplacés, dont un grand nombre ne retourneront jamais chez eux. En pleine saison touristique, l’incendie a provoqué un manque à gagner important pour l’île, qui vit en grande partie de cette activité.

Les incendies de Eubée, en Grèce, 2021. Pavlos Kapantais.


Un an plus tard, la forêt de Dadia, poumon de biodiversité au nord du pays, classée « Natura 2000 » par l’Unesco, a été en partie réduite en cendres par un incendie de 7 jours qui a détruit plus de 40 000 hectares de forêt. Cette forêt est l’unique endroit dans les Balkans où trouver des urubus noirs (vautour, espèce protégée). Cette semaine-là, plus de 80 incendies avaient lieu simultanément à travers le pays, dont un incendie majeur sur l’île de Lesbos.

Facteur climatique

« Ce qui a changé ces dernières années et qui est lié au changement climatique, c’est que les conditions météorologiques rendent les conditions plus favorables aux incendies. Lorsque de nombreux incendies se déclarent en même temps, un pourcentage significatif d’entre eux deviennent importants et très difficiles à maîtriser», explique Thodoris Giannaros, chercheur à l’observatoire d’Athènes. « La Grèce, comme le reste des pays méditerranéens, doit faire face à un mélange explosif de conditions climatiques conduisant à des incendies de forêt de plus en plus agressifs, avec des conséquences graves pour l’environnement naturel», souligne par ailleurs une étude récente du think tank Dianoesis.

D’ici 2100, les surface incendiées en Méditerranée pourrait doubler, selon les experts du climat pour la Méditerranée (MedECC). Ces derniers soulignent que «  l’urbanisation des zones rurales dans la seconde moitié du XXème siècle » aggrave les risques liés aux incendies du fait de « l’augmentation des sources de départ de feu dans ces zones » et de « l’augmentation de l’exposition des activités humaines aux effets du feu ». « Au cours des dernières décennies, l’augmentation de l’urbanisation des interfaces entre la nature et la ville a conduit à une augmentation du nombre de victimes », ajoutent-ils dans le rapport Climat et changement environnement dans le bassin méditerranéen – Situation actuelle et risques pour le futur, publié en 2020.

Face à cette menace grandissante, la Grèce cumule plusieurs faiblesses qui accentuent le danger. L’austérité budgétaire imposée au pays par ses créanciers de 2010 à 2018 à cause de la crise économique sans précédent est en grande partie responsable de tout cela. Si en 2018, la Grèce consacrait 0,6% de son budget annuel pour la lutte contre les incendies, soit plus que la moyenne européenne, les équipements restent cependant vétustes et l’organisation insuffisante.

Activités humaines

Les autorités ont également montré leur manque de volonté de faire de la protection des forêts une priorité. A Mati, la majeure partie des habitations a été construite sans permis et sans plan de ville. La fermeture anarchique des accès à la mer a créé des pièges pour les habitants qui tentaient de fuir les flammes. La plupart des habitations brûlées sont des immeubles qui n’avaient jamais défriché leurs cours. Sur l’avenue principale de la ville, le seul bâtiment qui n’a pas été atteint par les flammes est l’immense hôtel 5 étoiles Ramada, où tout avait été défriché.

À Dadia, des habitants et des ONG attiraient l’attention depuis plusieurs années sur les besoins de défrichage et la nécessité de créer des chemins d’accès pour faire face à d’éventuels incendies. Quand la nationale proche de Mati a été fermée à cause du feu, la police, croyant bien faire, a envoyé un nombre de voitures à l’intérieur de la ville où nombre d’automobilistes se sont retrouvés piégés et ont péri. Le procès doit déterminer les responsabilités.

À Eubée, les rescapés témoignent du nombre insuffisant de pompiers. Pendant trois semaines, les habitants utilisaient les mêmes mots : « On a dû se battre tout seuls contre les flammes ». Face au manque de moyens de l’Etat grec, une vingtaine de pays, dont la France, les Etats-Unis, le Qatar ou la Roumanie, ont envoyé des hélicoptères, des véhicules et des pompiers pour combattre les flammes.

Dépendance à l’activité touristique

Dans son rapport sur la Méditerranée, le GIEC souligne que les coûts liés à la lutte contre les incendies augmenteront. Cette augmentation des coûts pour les Etats est à mettre en relation avec une diminution des revenus à venir. En effet, la région méditerranéenne accueille un tiers du tourisme mondial et en 2015, les activités touristiques fournissaient 15% des emplois dans les pays méditerranéens. « L’industrie touristique est vulnérable au changement climatique, particulièrement dans les pays à faible revenu. Le tourisme côtier dans la région génère 300 milliards de dollars chaque année, suivi par le tourisme maritime (110 milliards de dollars) », rappellent les experts du GIEC.

En Espagne, le tourisme représente 12% du PIB du pays et 14 % des emplois directs, un pourcentage qui atteint 70% dans certaines villes du littoral. Or les plages sont aujourd’hui particulièrement touchées par l’érosion. À Montgat, à 14 km au nord de Barcelone, la plupart des plages ont disparu. Il n’en reste plus qu’une sur les sept que comptait la ville il y a encore trois ans, soit à peine 500 mètres contre 2 kilomètres auparavant. Des escaliers rouillés qui menaient alors au sable fin s’arrêtent désormais à quelques centimètres de l’eau.

« Il y a deux problèmes : la sur-construction des côtes qui empêchent la dynamique naturelle de la zone sableuse à laquelle s’ajoutent les impacts du changement climatique qui nous amènent des tempêtes de plus en plus violentes et répétées », détaille Puri Canals, biologiste et directrice de MedPan, le réseau Méditerranéen des espaces marins protégés.

Une plage sur dix menacée

Fin 2021, l’experte a co-réalisé un rapport commandé par la région catalane intitulé « Le littoral atteint ses limites » qui rend compte d’une situation « critique » : 60% de la côte est construite dans ses 100 premiers mètres et une plage sur dix pourrait disparaître d’ici 15 ans. Pour elle, « c’est le résultat de 40 ans de politiques où l’intérêt écologique était nul tandis que le développement économique était énorme ».

Selon les conclusions des Experts pour le changement climatique et environnemental en Méditerranée (MedECC), les principaux niveaux de la mer Méditerranée devraient en effet « monter de 21 à 27 centimètres d’ici 2050 ». D’ici la fin du siècle, le principal niveau de la mer devrait se situer entre 20 et 110 centimètres au-dessus du niveau de 1980-1999, en fonction des émissions de gaz à effet de serre. Le danger est réel, soulignent les experts, qui alertent sur l’augmentation des fréquences des événements météorologiques extrêmes : « Ce que l’on qualifie aujourd’hui d’événement du siècle devrait se produire tous les 10 ans d’ici 2050 et au moins chaque année d’ici la fin du siècle. Tous ces changements devraient exposer les sociétés méditerranéennes à des niveaux jamais atteints d’inondations côtières et de pertes ».

Compte tenu de l’importance des activités humaines à proximité immédiate des littoraux méditerranéens, les experts estiment que « sans prendre en considération le développement économique, les dommages annuels devraient être multipliés par 6 à 8 d’ici 2050 et par 25 d’ici la fin du siècle, si aucune mesure d’investissement dans la protection de la côte n’est prise ».

Les escaliers qui menaient à la plage de Montgat, près de Barcelone en Espagne, mènent désormais dans la mer. Elise Gazengel.

Digues artificielles

Mais en Espagne, la dépendance économique au tourisme pousse les maires à s’accrocher à leurs plages. « Les dernières années, on avait un système de dragage qui réinjectait du sable à 100m de la côte mais ce n’était pas suffisant. Alors cette année on amènera du sable sec directement sur la plage », explique Andreu Absil, conseiller municipal chargé de l’environnement de Montgat. Une pratique courante au début des années 2000 – qui a coûté 170 millions d’euros au pays, entre 2004 et 2010 – pourtant abandonnée officiellement par le gouvernement espagnol.

L’édile jure que cet apport de sable en camion devrait être le dernier. « Le Ministère de la Transition Écologique a attribué fin décembre le projet de protection des plages de Montgat à un ingénieur qui doit le rédiger dans les prochaines mois et nous dire quel type de digues – flottantes ou en ligne – seront adéquates pour qu’on ne perde plus notre sable à chaque tempête », se réjouit-il.

Des solutions critiquées par les experts et défenseurs de l’environnement. « Tu ne peux pas consolider la côte, c’est de la connerie de politiciens ! Il faut surtout repenser le littoral et déplacer les structures en première ligne pour les amener vers l’intérieur, pas seulement pour la récupération de l’écosystème mais aussi par sécurité », s’indigne la biologiste.

Voie ferroviaire côtière

En mars dernier, la ligne de train R1 qui transporte 115.000 personnes par jour et longe la côte nord de Barcelone a dû être arrêtée à plusieurs endroits à cause de l’effondrement de la digue qui soutient ses chemins de fer. Une voie ferrée vouée à la disparition, selon Puri Canals, mais pour laquelle Adif, la société publique chargée du réseau ferroviaire, a dépensé 116 millions d’euros depuis 2018 en réparation et consolidation.

« Je respecte les écologistes et experts mais selon leurs théories les Pays-Bas n’existeraient pas ! Et puis le transfert du train vers l’intérieur du territoire c’est 10.000 fois plus cher que ce que l’on fera pour consolider la plage qui, finalement, est celle qui protège la voie ferrée », argumente le conseiller municipal, convaincu que le nouveau projet de protection de ses plages sera la solution. En attendant, la biologiste redoute qu’une prochaine tempête frappe les côtes. En 2020, après Gloria, l’État avait dû débourser 75 millions d’euros pour réparer son littoral.

Cette difficulté à prendre des mesures de protection est d’ores et déjà étudiée par les experts du GIEC : « L’adaptation à la montée des eaux est essentiellement limitée par des obstacles sociaux le long des côtes urbaines dans la Méditerranée nord-ouest, tandis que le dilemme de l’adaptation impliquant des obstacles économiques et financiers est plus important dans les zones péri-urbaines, rurales et naturelles, ainsi que dans le sud et l’est de la Méditerranée », écrivent-ils.