Des ronronnements résonnent au milieu de la nuit. Dans Alger, le bruit des pompes à eau est devenu un son de plus dans la ville, au même titre que les sirènes de police, les klaxons ou les cris des mouettes. Raccordées à une citerne, ces pompes permettent aux habitants d’avoir de l’eau toute la journée. Car depuis 2021, elle n’est plus disponible 24h/24. Samia, 39 ans, habite un appartement d’un immeuble haussmannien dans le centre-ville d’Alger avec son mari. Elle a placé une citerne en plastique bleu nuit dans la salle de bain. Dans la cuisine, il y en a désormais deux de plus. « Au départ, nous en avions une seule. Mais dès que nous recevons des amis ou de la famille, il n’y a plus assez d’eau pour cuisiner et faire la vaisselle ». Dans cette partie de la capitale algérienne, l’eau coule du robinet tous les jours de 5h à 13h, selon le plan de distribution de SEAAL, la société des eaux et de l’assainissement d’Alger, responsable de la distribution de l’eau dans la préfecture d’Alger et celle voisine de Tipaza. « Ces coupures d’eau obligent à tout anticiper. Y compris le moment de ta journée où tu peux aller aux toilettes, déplore Abdelghani, qui vit dans un quartier où l’eau est distribuée de 8h à 15h. Mais je ne me plains pas. Dans notre quartier, l’eau revient le lendemain. Ce n’est pas le cas de tout le monde ».
A l’ouest d’Alger, le quartier de Mahelma, principalement constitué d’immeubles de logements sociaux, reçoit de l’eau de 6h à 14h, un jour sur deux seulement. L’achat d’une citerne est indispensable. « On ne se rendait pas compte de l’eau qu’on utilisait au quotidien. Si je remplis un seau pour le ménage, une marmite pour le déjeuner, trois cafetières dans la journée et une douche pour toute la famille, la citerne est vide. Si j’ai besoin d’eau dans la soirée, on est obligé d’acheter de l’eau minérale. Et si ce n’est pas assez, c’est la crise dans la maison, raconte Amina, 31 ans, mère de deux enfants. On passe notre temps à faire attention. C’est épuisant ».
Barrages à sec
Pourtant, les habitants d’Alger pensaient ces années de pénurie derrière eux. Au début des années 2010, les responsables du ministère des Ressources en eau présentaient à la presse l’expérience d’Alger comme une référence mondiale, financée à hauteur de plusieurs centaines de milliards de dinars (soit plus de 700 millions d’euros), en partenariat avec l’entreprise française Suez. La capitale algérienne disposait, sur la quasi-totalité de la préfecture, d’un accès à l’eau potable 7 jours sur 7, 24h/24. Une révolution par rapport aux années 1990, où les coupures d’eau étaient régulières.
Mais fin 2020, SEAAL voit la crise arriver. L’entreprise affirme alors que le déficit de pluie menace « la moitié des ressources en eau d’Alger ». Par manque de précipitations, deux barrages sont presque à sec. Environ 10% de l’approvisionnement en eau est impacté, l’entreprise appelle alors à couper l’eau la nuit et un jour sur deux dans certains quartiers de la capitale. Ces appels ne semblent pas suivis d’effet. Pendant l’été 2021, alors que des feux de forêt font au moins 90 morts dans le pays, et qu’une nouvelle vague de contamination au Covid-19 touche la population, les habitants de la capitale subissent de longues coupures d’eau de plusieurs jours.
Dessalement d’eau de mer
Aujourd’hui, si la situation est stabilisée à Alger, elle reste très problématique dans les régions voisines. A Tipaza, l’eau arrive parfois un jour sur 4 d’après l’agence de presse algérienne. Selon la presse, dans la région montagneuse de Bouira, l’eau n’arrive qu’un jour sur sept, voire parfois un jour sur dix. Les autorités algériennes misent désormais sur le dessalement d’eau de mer. A Alger, deux stations de dessalement ont été construites depuis la crise de l’été 2021, une 3ème devrait entrer en service dans l’année. Leur production quotidienne est estimée à 150 000 m3. Au niveau national, le gouvernement envisage désormais de produire 60% de l’eau potable grâce au dessalement d’eau de mer et de construire des usines de dessalement dans toutes les régions côtières.
L’Algérie est déjà considérée comme un pays en situation de « stress hydrique ». Elle est même en « pénurie d’eau », c’est-à dire qu’elle dispose de moins de 1000 m3 d’eau par an et par habitant. La région Méditerranée est l’une des plus concernée au monde par le stress hydrique. Et les changements climatiques en cours font dire aux experts du climat de la région que ce stress hydrique « ira en s’accroissant ». Les scientifiques du GIEC estiment pour leur part que la baisse des précipitations pourrait atteindre 4 à 22% d’ici la fin du siècle.
Nappes phréatiques sous les normales
Au nord de la Méditerranée, la France aussi connaît une sécheresse préoccupante. Selon Météo France, tous les mois sont déficitaires en pluie depuis août 2021 à l’exception des mois de décembre 2021, juin et septembre 2022. L’année 2022 est l’année la plus chaude jamais enregistrée depuis 1900, avec une température moyenne annuelle de 14,61°C, ainsi que la deuxième année la plus sèche depuis 1959 avec un déficit pluviométrique moyen de 25%. Entre le 21 janvier et le 22 février 2023, aucune pluie n’est tombée sur le pays, soit un nouveau record de 32 jours.
Malgré un retour des précipitations au printemps, l’eau de pluie reste en surface, puisée par la végétation. En mai, la situation demeure “peu satisfaisante” pour le Bureau de Recherche Géologiques et Minières (BRGM) : 68% des nappes restent sous les normales mensuelles d’avril. Selon Joël Guiot, chercheur au CEREGE et coprésident du GREC-SUD, la France subira les épisodes de sécheresse les plus violents de son histoire “d’ici 5 ans”.
Au début du mois de mai, 20 départements sont concernés par des arrêtés, soit 12 de plus que l’année précédente à la même période en 2022. Selon le site Propluvia répertoriant les arrêtés sécheresse, 28 départements sont actuellement au moins en alerte, dont 5 en crise sécheresse. Les arrêtés se divisent en trois niveaux. Les niveaux « alerte » et « alerte renforcée » limitent les prélèvements pour les usages agricoles et domestiques, cependant certains prélèvements domestiques peuvent être interdits. Le niveau « crise » interdit les prélèvements à des fins non prioritaires.
Solidarité entre villages
Plusieurs communes ont connu des coupures d’eau dès le début de cette année. Le village d’Arlanc (centre de la France) a vu son eau courante coupée pendant 8 jours en février. À cause du manque de précipitation cet hiver, le débit des sources qui alimentaient le village était trop faible pour permettre de remplir le château d’eau. La réserve a dû être alimentée en eau par camion citerne. Le camion assurait cinq rotations par jour, amenant l’eau depuis les villages voisins en capacité de la partager. Si le débit des sources est revenu à la normale en mai, Jean Savinel, le maire d’Arlanc contacté par 15-38 Méditerranée0, craint “une pénurie en eau généralisée dans la région” cet été qui « ne permettra pas une telle solidarité ».
Face à cela, les décisions politiques ne répondent pas à la hauteur de l’enjeu. Alors que la quantité d’eau disponible dans le pays a baissé de presque 14 % en 20 ans, en mars 2023, le Président Emmanuel Macron annonce un « Plan eau ». En 2019, les Assises de l’eau avait conduit à une série de propositions dont celle de réduire les prélèvements d’eau de 25% d’ici 2034. En ce jour de mars, Emmanuel Macron annonce, face aux caméras, que son objectif est de 10% de réduction, et s’attire les foudres des associations environnementales. Deux mois plus tard, la région de Marseille organise des « États régionaux de l’eau ». A l’issue des rencontres, des objectifs de sensibilisation du public, de récupération des eaux de pluie, mais surtout, un appel à limiter l’application des arrêtés sécheresse.