La même préoccupation surgit dans des médias français, espagnols ou grecs. Le prix de l’huile d’olive a augmenté. Plus de 80% d’augmentation en Espagne, au moins 50% en France, un prix qui double en Grèce. Si les prix flambent, c’est d’abord parce que le premier producteur mondial d’huile d’olive, l’Espagne, a vu sa production s’effondrer. Seules 620 000 tonnes d’huile d’olive ont pu être produites pour la récolte de 2022-2023, contre 1,5 millions de tonnes lors de la récolte précédente. Les agriculteurs espagnols évoquent la « pire du siècle ».
L’Espagne fait face depuis deux ans à une sécheresse inédite depuis que les autorités mesurent les données météorologiques. Parallèlement, les températures battent également des records : l’année 2022 a été la plus chaude enregistrée, et le printemps 2023, le printemps le plus chaud. L’olivier est un arbre qui s’adapte à la baisse de la pluviométrie, notamment en adaptant la taille de ses feuilles, mais l’absence d’eau combinée à des températures élevées peuvent arrêter la croissance des olives.
En France, Olivier est un cultivateur amateur en terres ardéchoises (sud-est du pays). Il choisit les espèces avec soin et observe les effets du changement climatique sur ses plantations depuis plusieurs années. Le moment le plus risqué pour lui est celui de la floraison. « La sécheresse et la hausse des températures touchent bien sûr les cultures en plein cœur de l’été. Mais ce qui peut être fatal, ce sont les épisodes de sécheresse printanière au moment de la période floraison-pollinisation-fructification. Elles peuvent couper dans leur élan les fleurs d’olives. Il est important de penser à faire des réserves d’eau pour passer cette période compliquée ». Sa parcelle ne représente qu’une goutte des 5 000 tonnes d’huile produite en France en moyenne chaque année mais elle est un laboratoire des enjeux actuels de la production de la région méditerranéenne.
Hotpost du changement climatique
En Italie, Espagne, Grèce, Liban ou en Syrie, le bassin méditerranéen abrite 90% des terres agricoles dédiées à l’olivier. Il est aussi ce que les spécialistes du climat appellent un hotspot du changement climatique. Ce qui a un impact particulier sur les cultures tout au long de l’année : hiver de plus en plus doux, étés de plus en plus chauds, gelées printanières et pics de chaleur estivaux, pluviométrie instable, sont autant de facteurs qui affaiblissent les oliviers.
Dans le chapitre qu’ils consacrent à la région Méditerranée, les experts du GIEC soulignent l’impact du réchauffement climatique sur la production d’olives et évoquent plusieurs scénarios. « La hausse des températures et l’augmentation de la fréquence des vagues de chaleur pendant la période de floraison auront certainement un impact sur la vie des végétaux », écrivent-ils. Alors que cela va permettre que les zones favorables à la cultures des olives s’étendent vers le nord de la région et à de plus hautes altitudes, « des conséquences négatives sont attendues pour plusieurs pays, dont le sud de l’Espagne et la Tunisie » dans le cadre d’un scénario de réchauffement global sous les 2°.
Or, en l’état actuel du réchauffement et du type de mesures adoptées par les États, limiter le réchauffement global à 2° semble difficile pour les experts du climat. L’impact pourrait donc être encore plus important. « Dans le cas d’un réchauffement global de 1,5-2°, la surface des champs d’olivier du nord de la Méditerranée pourrait diminuer de 21%, précise le rapport du GIEC. Dans le cas d’un réchauffement global de 3°, la production d’olive des cultures pluviales en Algérie pourrait diminuer de 15 à 64% ».
Incendies et sécheresse
En Algérie, même si la production est largement destinée au marché interne, les conséquences climatiques sont visibles. Dans la région montagneuse de Tizi Ouzou (Kabylie), la production d’huile d’olive de la saison 2022-2023 n’a atteint que 5 millions de litres, soit moins de 50% de celle de l’année précédente. Entre ces deux périodes, il y a eu les violents incendies d’août 2021 qui ont détruit plus de 19 000 hectares d’oliviers. Mais les agriculteurs locaux mettent aussi en cause « la sécheresse durant la période de gonflement des olives », qui a donc réduit leur taille, et la quantité d’huile produite.
En France, pour faire face au changement climatique et à ses répercussions sur la culture de l’olivier, certains agriculteurs ont déjà commencé à s’adapter. En Ardèche, un voisin d’Olivier, instituteur à la retraite, défend les espèces locales. Son objectif est de sauvegarder les variétés anciennes spécifiques à l’Ardèche (négrette, rougette), mais beaucoup d’oléiculteurs de la région préfèrent encore des variétés provenant de pays du sud, beaucoup plus productives (variétés d’Espagne par exemple).
Avec ses 7500 parcelles d’oliviers répertoriées, l’Ardèche n’est pas le département français qui produit le plus d’oliviers. Pourtant, il est riche d’une diversité d’espèces : en 2021, Jérémy Martel, ingénieur agronome, en a décompté 34 dans un mémoire de recherche en agronomie. Une variété d’espèces qui permet d’observer les différences d’adaptation ou les faiblesses de certaines espèces face au changement climatique.
En Espagne, le CIHEAM de Saragosse propose depuis plusieurs années des cours à destination des experts pour mieux comprendre l’impact des changements climatiques sur la production des oliviers. « Le plus important, c’est d’avoir des variétés résilientes aux changements climatiques. La gestion de l’eau est également une notion clé. Enfin, l’agriculture biologique et l’agro écologie sont des approches qui peuvent améliorer la culture de l’olivier, notamment en améliorant le réservoir de CO2 dans le sol et la plante », résume Ramzi Belkhodja, coordinateur de l’unité de formation « Production de plantes, santé et élevage » du CIHEAM.
Vers la migration des oliveraies
Il estime qu’il est nécessaire de développer la recherche et le développement dans le domaine agronomique, ainsi que la collaboration internationale. « On peut également faire de l’adaptation et de la mitigation en même temps, ajoute-t-il. L’adaptation, c’est trouver une variété plus résistante. La mitigation, c’est par exemple le fait d’utiliser des énergies renouvelables ou de gérer les déchets de la production d’huile d’olive. Ce sont des pratiques durables qui sont peu chères. »
Dans son étude dans Nature Plants, David Kaniewski, maitre de conférences à l’Université Toulouse III, parle lui de “migration” des oliviers suite à l’élévation des températures dans la région : « Il faudra probablement utiliser des cultivars différents, plus adaptés à la sécheresse, mais qui n’auront potentiellement pas les mêmes rendements ou la même qualité gustative au niveau de la production d’huile, explique le chercheur. Il y aura donc un avant et un après. Et celui-ci sera forcément différent. On ne pourra pas remplacer l’huile d’olive, donc il faudra malheureusement déplacer l’oléiculture vers de nouveaux territoires. On va donc probablement assister à une “migration” des oliveraies. »