Plus de 19 000 Israéliens travaillent dans des call centers. Une industrie florissante présentée comme la planche de salut des nouveaux migrants et des minorités. Mais les conditions de travail y sont souvent très difficiles.
Depuis son essor dans les années 90, l’industrie des call centers a beaucoup évolué. De nombreux centres d’appels basés au départ dans les pays occidentaux ont été délocalisés vers les pays en développement, par exemple en Inde. Mais en Israël, le secteur reste florissant. Selon le bureau central des statistiques israélien, 19 000 personnes travaillaient dans cette branche en 2016, contre 6 250 en 2002.
Cette forte croissance s’explique par deux facteurs. Contrairement aux entreprises basées en Europe ou aux États-Unis, les compagnies israéliennes ne peuvent pas externaliser leurs centres d’appels car elles ont besoin d’offrir un service en hébreu à leurs clients qui ne parlent souvent que cette langue. D’autre part, plusieurs entreprises étrangères ont délocalisé leurs centres d’appels en Israël. Elles y trouvent de nouveaux migrants qui ont l’avantage de parler le Français, l’Américain ou encore le Russe et d’être prêts à accepter des jobs mal payés. Dans les call centers israéliens, le salaire moyen ne dépasse pas les 5 700 shekels par mois, soit environ 1 330 euros. Un maigre revenu quand on sait que l’État hébreu est l’un des pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) où le coût de la vie est le plus cher.
« En Israël, les call centers sont présentés comme une opportunité pour tous les gens qui cherchent du travail et n’ont pas d’aptitudes particulières. Cela inclut les nouveaux migrants mais aussi les jeunes qui sortent tout juste de l’armée, les femmes qui n’ont pas de diplômes ou reviennent de congé maternité, ou encore les Arabes qui ont appris l’hébreu », précise Anat Rafaeli, chercheuse spécialisée dans le comportement organisationnel et professeure à l’institut Technion de Haïfa. Depuis quelques années, de plus en plus de femmes juives ultra-orthodoxes, désireuses de travailler, ont aussi rallié les rangs de cette industrie.
« Mon manager me disait que si je n’avais pas assez vendu, je serai virée »
Pour les employés, heureux d’avoir été engagés en un clin d’œil, la désillusion est pourtant bien souvent au rendez-vous. « L’environnement de travail est extrêmement stressant. Les managers attendent des employés qu’ils prennent un maximum d’appels. Ce qui les oblige à répondre successivement à de nombreuses interactions personnelles. Chacune a sa complexité et apporte son lot d’émotions », explique Anat Rafaeli. Selon la chercheuse, l’importance du « turn over » est « un indicateur » de cette souffrance au travail. « Les gens quittent leur emploi car ils sont épuisés par ce qu’ils font ».
Employée dans plusieurs centre d’appels israéliens ces deux dernières années, Marylin, une française de 58 ans, confirme avoir souffert de cette cadence infernale. « Les managers comptent nos appels. Ils vérifient le temps qu’on passe par appel. Ils nous enregistrent et ils nous disent ce que nous avons fait de mal. Il y a une pression permanente », raconte-t-elle. Le stress est encore exacerbé quand le travail ne consiste pas seulement à répondre à des clients mais aussi à leur faire acheter des produits… voire même à les arnaquer, comme l’a révélé une grande enquête du Times of Israël sur les compagnies spécialisées dans le Forex (marché sur lequel les devises dites convertibles sont échangées l’une contre l’autre à des taux de change qui varient en permanence). « Dans une entreprise, je devais vendre des mutuelles et il y avait une demande de résultat immédiat. Il fallait au moins conclure trois ou quatre contrats par jour. Mon manager me disait que si je n’avais pas assez vendu, je serai virée à la fin du mois », déplore Marylin. La Française a aussi travaillé un temps dans une entreprise qui lui demandait de pousser des clients à investir dans le Bitcoin (une monnaie émise de pair à pair, sans nécessité de banque centrale, utilisable au moyen d’un réseau informatique décentralisé). « Là, c’est moi qui suis partie. Je sentais que ce n’était pas net, qu’on mentait aux gens en leur promettant des profits », confie-t-elle.
Le stress, un mal sous-estimé par la médecine du travail
Preuve que le sujet est tabou, l’un des plus grand centre d’appels israélien installé à Jérusalem ainsi qu’une entreprise qui se présente comme « le 1er call center francophone en Israël », ont respectivement ignoré et décliné nos demandes de reportages.
L’Institut national israélien de la médecine et de l’hygiène au travail n’a pas non plus donné suite à nos sollicitations. « La médecine du travail se concentre surtout sur les accidents du travail, sur les problèmes physiques et non psychologiques. De leur point de vue, les call centers offrent un environnement de travail très bon pour les employés, car les open spaces sont souvent climatisés, bien organisés », commente Anat Rafaeli. La chercheuse tient à préciser que la difficulté des conditions de travail dans les call centers n’a rien d’une spécificité israélienne et qu’elle se retrouve partout à travers le monde. Même remarque concernant la médecine du travail. « Dans tous les pays occidentaux, le stress est encore sous-estimé par la médecine du travail ».
En dépit des plaintes des employés, la souffrance au travail, que ce soit dans les call centers ou non, est loin d’être une préoccupation publique en Israël. Si certains candidats déclarés à la succession du Premier ministre Benyamin Netanyahou, à l’image de l’actuel ministre de l’Economie, Moshe Kahlon, mettent l’accent sur la façon d’augmenter le pouvoir d’achat des Israéliens, les questions du stress lié au travail restent inexistantes dans le débat politique.