En France, Wendy : Gilet Jaune un jour, Gilet Jaune toujours !

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Publié le 23/04/2022
À partir de novembre 2018, et pendant près d'un an, les Gilets Jaunes occupent les ronds-points de France et manifestent toutes les semaines. Que reste-t-il aujourd'hui de ce mouvement qui a interrogé le corps social français par son ampleur, sa durée et la répression dont a fait preuve le pouvoir pour éteindre le mouvement ?

Wendy est une Gilet Jaune assidue dans la lutte contre ce qu’elle décrit comme une oppression économique, sociale et politique. Aujourd’hui, elle ne manifeste plus. Mais cette période de sa vie, où elle a arpenté les rues de Marseille tous les samedis, a été pour elle une sorte de délivrance. 

Wendy : « Pour moi, le Gilet Jaune est celui ou celle qui ne se contentait plus de l’illusion de liberté et le manifestait haut et fort au milieu de la rue. Une occasion rare et délicieuse de rencontrer les autres, se voir, se parler, se redéfinir, se projeter ». 

Suis-je la seule à ne pas accepter la marche du monde, suis-je la seule à rejeter l’exercice d’un pouvoir que j’estime autoritaire, suis-je la seule à pâtir des décisions politiques et économiques des dirigeants politiques français et mondiaux ?

Autant de questionnements qui infusent aujourd’hui dans la société. Eu égard à la crise du Covid-19, des nouvelles catégories socio-économiques sont confrontées à l’impact du dérèglement économique, écologique et social. Le mouvement des Gilets Jaunes représente en ce sens la pointe avancée des nombreuses revendications actuelles de la société française. Dans ce cadre, il parait intéressant de parler d’une mutation des revendications et des nouvelles formes de mobilisations sociales à venir, plutôt que de «l’après-Gilets Jaunes».

Wendy : « Je me sens toujours Gilet Jaune et le serai probablement toujours, bien que je n’aie plus de contacts avec les groupes. Pendant le mouvement, j’ai eu soif de connaissance de notre situation réelle : qui décide de nos conditions d’existence, comment, pourquoi…».

Wendy se trouve alors dans une souffrance solitaire. Elle se pose des questions sur le pouvoir étatique et son mode de fonctionnement mais aussi sur une partie de la population qui souffre comme elle dans le silence de sa condition précaire économique et politique. Pourquoi alors voter pour un système qui, selon votre expérience, ne vous représente pas, qui ne prend pas en compte votre mal-être, qui minore et supprime les services publics, qui augmente les prix des matières premières, cruciales dans le cadre de vos activités professionnelles ?

Wendy éprouve le besoin d’en parler et de se reconnaître dans l’altérité d’un corps social, voyant son espace économique et social en pleine mutation. Que faire à part la grève du vote? Que faire à part prendre la rue pour dénoncer ce qu’elle considère comme une entreprise de destruction d’une partie de la population ? Les samedis de manifestations sont pour elle, comme tant d’autres, l’occasion de visibiliser son existence dans l’espace commun que constitue la rue. 

Wendy : « Les lois sont de plus en plus liberticides et infâmes jusqu’à pénétrer la sphère de l’intime. Tout est impacté : notre façon de travailler, de se soigner, de manger, d’éduquer nos enfants, de se comporter au sein de nos foyers. Un enfer grandissant. Il est évident que nous servons, à notre détriment, un système qui nous chosifie». 

Le mouvement des Gilets Jaunes s’est structuré par régions, départements, villes pour mettre en place des plateformes de réflexion permettant d’émettre des propositions politiques, économiques et sociales en direction des décideurs politiques. Ce qui pour les non-participants du mouvement des Gilets Jaunes apparaît comme une expression chaotique et sans objectif concret, est pour les Gilets Jaunes un lieu de recomposition sociopolitique afin de proposer une nouvelle forme d’organisation de la société. Émanent de ce mouvement des propositions telles que le RIC, Référendum d’initiative citoyenne.

Wendy : « Je me dis souvent que quelques poignées d’individus dans le monde ont le pouvoir sur la vie de tous les autres. Et le phénomène s’accentue au fil du temps. Ils possèdent déjà une partie de tout ce qui nous entoure à un niveau terrifiant. L’étau se resserre sur nous et chaque jour la pression se fait sentir ».  

«Ils nous tiennent pour beaucoup par la nécessité de gagner de l’argent. Cette simple constatation est à la base de toute ma réflexion et de ma volonté d’émancipation. Comment survivre et assurer nos besoins élémentaires en ayant moins besoin d’argent ?  »

Wendy

Derrière la réflexion de Wendy, se noue la relation distendue entre les lois émanant du Parlement français et les citoyens. Toute la société cherche la formule pour sortir de la grève civique en cours en France face aux taux d’abstention lors des récentes élections. Devons-nous changer de Constitution pour renouveler le contrat social entre les Français et leurs représentants ? Cette phase de recomposition démocratique sera-t-elle pacifique ou violente ? Ces questions restent en suspens après le mouvement des Gilets Jaunes qui choisissent alors de créer de nouvelles voies. 

Wendy : « Ils nous tiennent pour beaucoup par la nécessité de gagner de l’argent. Cette simple constatation est à la base de toute ma réflexion et de ma volonté d’émancipation. Comment survivre et assurer nos besoins élémentaires en ayant moins besoin d’argent ? Nous avons décidé avec mon mari de prendre un nouveau départ à la campagne au milieu des plantes et des animaux. Cultiver ses légumes, faire de l’élevage, donner un sens à nos vies en pleine nature et finalement tendre vers plus d’autonomie et donc de liberté. Nous sommes au tout début de notre projet qui se concrétisera dans un an et demi environ. Ce projet nous unit dans l’espoir de vivre mieux et offrir à la descendance un mode de survie plus sain que celui de la dépendance totale dans laquelle nous sommes aujourd’hui. Le chemin de la liberté va être long mais le plus important est de se lancer ».

La complexité du mouvement et la singularité des personnes y ayant participé questionnent la nécessité de trouver des solutions face à l’expression de ces revendications, au risque que la crise des Gilets Jaunes ne devienne le visage de la séparation consommée entre les représentants de l’Etat et les citoyens. Depuis le début du mouvement et jusqu’à ce jour, les modes de manifestation choisis infusent dans les formes revendicatives. 

Du mouvement « anti-pass », au mouvement de rejet du pouvoir dans les DOM-TOM, de la désaffection du personnel hospitalier, à la montée de la parole radicale ou des actions extrémistes visant l’espace politique médiatique, économique, policier, ces formes de rejet sont aujourd’hui au cœur du questionnement démocratique en France. La prochaine élection présidentielle servira peut-être de révélateur pour comprendre l’impact du mouvement des Gilets Jaunes sur la refondation politique en cours. Wendy, quant à elle, ne sait pas encore si elle ira voter.