Le chapitre du rapport du GIEC sur la Méditerranée évoque des conséquences négatives des réchauffements climatiques sur la production des olives dans la région. Quelles sont ces conséquences ?
Ramzi Belkhodja : La sécheresse peut générer une diminution de la disponibilité en eau qui est cruciale pour la croissance des oliviers. Un stress hydrique prolongé dans le temps peut affecter la qualité et la quantité du rendement, ce qui met en péril la qualité de l’huile d’olive. Les événements climatiques violents comme les tempêtes ou les inondations peuvent provoquer des problèmes importants : branches arrachées, attaques des racines, etc.
La température impacte la physiologie de l’olivier. Si les températures douces font par exemple avancer la floraison de 15 jours, et que des gelées tardives ont lieu plus tard, cela affecte les fleurs et on peut perdre la totalité de la récolte. La précocité, ajoutée au réchauffement général, peut avoir des conséquences terribles sur le rendement et la qualité des oliviers.
S’il y a une augmentation des températures, mais qu’on peut ajouter de l’eau, les conséquences seront moins graves. Mais s’il n’y a pas d’eau, il y a un stress et donc une fermeture des stomates (pores à la surface des feuilles, ndlr) : la plante ne respire pas, il n’y a plus de photosynthèse, l’arbre ne fonctionne plus et ne produit rien. Un olivier a une production bi-annuelle : si cela l’affecte une année de production pleine, l’impact peut être dramatique. Si cela arrive lors d’une année de repos, les conséquences sont moins graves.
Raúl Compès : En Espagne, ce que l’on voit, c’est une aggravation des mauvaises conditions : augmentation des températures, baisse de la pluviométrie, pluies concentrées sur de courtes périodes. Les dernières récoltes des cultures ligneuses (oliviers, vignes, etc, ndlr) sont exceptionnellement mauvaises de ce point de vue. Cela crée un fort sentiment de démoralisation au sein de la corporation des producteurs, et cela a des conséquences politiques et sociales.
L’impact est-il le même pour des grandes exploitations et pour les petites structures de type familiale ?
Ramzi Belkhodja : L’impact des changements climatiques est différent selon les systèmes de culture. Dans une production super-intensive, les arbres ont besoin d’irrigation. Sans irrigation, il n’y a pas de production. Dans une production traditionnelle, comme les arbres ont des racines plus étendues, ces dernières peuvent aller chercher de l’eau, et il y a plus de résistance. On a remarqué dans le Chaâl (région de Sfax) en Tunisie, qu’avec une pluviométrie de 150mm, dans une culture traditionnelle, les arbres résistent et produisent malgré tout. Dans une culture intensive où il y aurait moins d’un mètre entre les arbres, il n’y a pas de résistance aux mêmes conditions climatiques.
Raúl Compès : Dans le monde de la vigne espagnole, il y a eu un grand changement variétal guidé par des intérêts commerciaux : on a choisi des plants qui étaient « à la mode » chez les consommateurs. Les producteurs, d’une façon un peu automatique et aveugle, ont choisi ces plants, qui sont fragiles face aux augmentations de températures.
Dans l’oléiculture, ce changement n’a pas eu lieu avec la même intensité. Mais les cultures intensives font face à un problème critique : dans ces systèmes, l’une des stratégies d’adaptation est l’irrigation. Lorsque les températures montent, on donne plus d’eau à la plante pour qu’elle résiste mieux. Vous dépendez donc de l’eau. Mais depuis deux ans, la Confédération hydrologique du Guadalquivir (structure responsable de la gestion de l’eau dans le sud de l’Espagne, ndlr) a réduit le volume d’eau attribué aux exploitation agricoles : il y a moins d’eau disponible et une partie de cette eau est attribuée à la consommation d’eau potable pour les habitants. Par conséquent, il y a eu un effondrement de cette production intensive. Par contre, les oliviers qui ont un siècle et plus ont pu résister à cette sécheresse.
L’adaptation est-elle possible ? Ou une partie de la Méditerranée devra-t-elle envisager de consommer moins d’olives ?
Raúl Compès : Dans l’Espagne méridionale, nous constatons une perte d’idonéité, c’est- à-dire d’aptitude, des cultures ligneuses. On mesure cela avec trois indicateurs : la sécheresse, la température et la luminosité. Cela veut dire que l’on pourra continuer à cultiver en Espagne avec des espèces résistantes, mais la qualité et la quantité de production seront si touchées que peut être que la culture ne sera plus soutenable d’un point de vue économique ou social.
Ramzi Belkhodja : L’une des méthodes d’adaptation est la bonne utilisation de l’eau, à partir des nouvelles technologies, pour détecter le point de stress de la plante, et le moment où un apport est nécessaire. Pour les grandes exploitations, la solution est dans la bonne utilisation de l’eau. Pour les petites exploitations, on conseille aujourd’hui aux agriculteurs de choisir des variétés d’arbres anciennes et résistantes. L’agriculture traditionnelle utilise déjà des variétés plus résistantes.
Parallèlement, les gouvernants doivent investir dans la recherche et le développement. Et enfin, il est nécessaire de développer l’éducation et la sensibilisation. C’est ce que nous faisons ici à Saragosse, en présentant les solutions sur lesquelles il y a des consensus scientifiques.
Raúl Compès : En Espagne, la très grande difficulté du secteur oléicole vient notamment du changement de modèle de production. Le changement vers un modèle intensif s’est passé dans les vingt dernières années de façon très rapide. Cette transformation cherchait à augmenter la productivité, la rentabilité. Le changement de modèle a été poussé par le désir de réduire le besoin de main d’œuvre, donc automatiser et mécaniser la culture. L’élément « eau » n’a pas été pris en compte de la manière dont il aurait fallu. Pour les cultures ligneuses, il faut raisonner à très long terme : les oliviers sont des arbres qui arrivent à maturité 30 ans, 50 ans plus tard.
La production espagnole s’est effondrée lors de la saison dernière, les perspectives météorologiques de cette année ne sont pas non plus très encourageantes. Comment réagissent les producteurs d’olive ?
Ramzi Belkhodja : Les agriculteurs sont conscients de la nécessité de rationaliser l’irrigation : il y a un coût pour l’eau et un pour l’énergie pour apporter l’eau. L’irrigation-inondation est interdite en Espagne, nous faisons du goutte à goutte. Une ferme qui rationalise peut être aidée dans ses investissements. La plupart des agriculteurs font le choix de ne pas gaspiller l’eau.
Raúl Compès : Dans la partie la plus vulnérable de l’Espagne, il y a un état d’alerte au sein des agriculteurs. Ils se sont rendu compte ces deux dernières années. Que lors d’une sécheresse, la première mesure adoptée par les autorités, c’est de réduire la dotation de l’eau pour l’agriculture. (voir notre reportage sur les fleuves et la guerre de l’eau dans le sud de l’Europe).
C’est pour ça qu’il y a un paradoxe. Les deux derniers étés, tout le monde parlait de sécheresse. Mais le citoyen moyen et urbain, qui peut être très conscient de l’importance du changement climatique, n’est pas vraiment touché directement : il ouvre le robinet, il a de l’eau.
De l’autre côté, les agriculteurs sont les premiers à être affectés. Il est vrai que parfois ils ne pensent pas à long terme. Ils se disent qu’ils ont fait des investissements et donc ils veulent de l’eau sinon ils perdent tous leurs investissements. Ils ne se demandent pas ce qui va se passer dans 4 ans, parce que s’ils n’ont pas de l’eau maintenant, ils perdent tout.