En 2014, les autorités ont décidé de détruire les bidonvilles d’Alger et de reloger les familles. Une politique saluée par les Nations unies qui a cependant des limites.
Le logement est politique. Abdelaziz Bouteflika, le président algérien en poste depuis 1999, en a fait un argument de campagne et un point essentiel de son bilan. Mais en 2014, les autorités algériennes décident d’aller plus loin : Alger veut devenir la première capitale algérienne sans bidonvilles.
En 2007, le recensement officiel dénombre 569 sites de bidonvilles occupés par 58 468 familles. Selon les autorités, en 2014, 72 000 familles vivent dans des habitats précaires. En quatre ans, les autorités démantèlent plus de 316 bidonvilles et relogent plus de 44 000 familles. Pour l’Etat, il s’agit aussi de récupérer des terrains constructibles et de démarrer la construction d’infrastructures comme la Grande mosquée, l’aménagement du fleuve El Harrach, des programmes de logement ou des cités universitaires : 460 hectares ont ainsi été récupérés en 4 ans, selon les autorités.
Extrait de la revue El Djazair, Hors série Habitat, mars 2016
L’opération, qui bénéficie d’une immense communication officielle, est présentée par le wali (préfet) d’Alger, Abdelkader Zoukh, devant l’Organisation des nations unies à New-York, en octobre 2016, lors de la conférence « Le nouvel agenda urbain et l’avenir des villes ».
Une problématique ancienne
L’Algérie hérite de bidonvilles lorsqu’elle devient indépendante en 1962. Ces quartiers de constructions précaires étaient par exemple la continuité des camps de regroupement installés par l’armée française lors de la guerre. Après 1962, les populations qui reviennent de leur exode aux frontières marocaines et tunisiennes, s’installent elles aussi dans des bidonvilles.
La capitale n’est pas épargnée. En 1972, lors du grand recensement, Alger compte 98 bidonvilles qui regroupent 39 472 personnes. Les situations sont très diverses. Ainsi, si 53 % des habitants de ces bidonvilles affirment à l’époque qu’ils s’y sont installés avant l’indépendance (c’est notamment le cas pour la majorité des habitants des bidonvilles de la Casbah), plus de 27 % y arrivent après 1967. A cette époque, alors que Houari Boumédiène est au pouvoir, les bidonvilles de El Harrach, Bouzareah et Bir Mourad Rais se remplissent.
Dans « Bétonvilles contre bidonvilles, Cent ans de bidonvilles à Alger » ( Apic, 2016), le sociologue et urbaniste Rachid Sidi Boumédine explique que les bidonvilles post-indépendance se sont construits sur une économie de la pauvreté. Ainsi, pour construire les complexes industriels, fleurons de l’économie, on a fait appel à de la main d’oeuvre faiblement qualifiée. C’est ainsi que les travailleurs de l’agriculture sont venus travailler « en ville ». A Annaba, la construction du complexe sidérurgique El Hadjar va de paire avec une extension de l’habitat précaire.
Par ailleurs, dans sa politique de construction d’infrastructures, l’Etat algérien s’est basé sur le nombre d’habitants. Il faut atteindre un certain nombre d’habitants pour construire une école ou une salle de soins. Rachid Sidi Boumédine souligne qu’alors, dans un souci d’amélioration des conditions de vie de leurs familles, des habitants des campagnes migrent vers les villes pour avoir accès aux équipements, mais aussi aux services publics et aux emplois. Ceci contribue à peupler les bidonvilles, alors même que les dirigeants algériens répètent que les bidonvilles sont un fléau à éradiquer.
#Algeria #alger #bidonville #eradique ,en octobre 2015. #remli @WilayaAlger, vue du ciel ©zinedine Zebar pic.twitter.com/JHZbbRo6A1
— Zinedine Zebar (@zebarzinou) November 1, 2018
La politique de logement d’Abdelaziz Bouteflika
Si, les gouvernants algériens ont affirmé que les bidonvilles devaient être éradiqués, dès le Programme de Tripoli en 1962, la construction de logements prend une autre dimension lors de l’élection d’Abdelaziz Bouteflika en 1999. En 10 ans, la construction de 1 376 221 logements est programmée. 77 000 sont livrés, soit trois fois plus que lors de la décennie précédente. Selon les autorités, en 2016, 2,8 millions de logements ont été livrés, dont environ 1 million entre 2014 et 2016.
Abdelaziz Bouteflika reste au pouvoir, le logement reste une priorité et une politique du chiffre se met en place : il faut construire vite et beaucoup. Les programmes sont alors confiés à des entreprises étrangères, et pour rentabiliser les coûts, la taille des programmes de logement augmente. A Sidi Abdellah, à la limite ouest de la wilaya d’Alger, la nouvelle ville comptera, à terme, 50 000 logements.
La nouvelle ville de Sidi Abdellah qui doit contenir à terme plus de 50 000 logements. @Leïla Beratto
Zones éloignées et sous-équipées
Dans la capitale, des centaines de logements sont construits puis attribués dans des zones éloignées, sous-équipées, avec peu de transports. A Sidi Abdellah, on inaugure une station de train qui permet de rallier le centre de la capitale, mais pour entrer en voiture, il n’y a que deux routes, dont une, presque impraticable par temps de pluie. « Le transport est un vrai problème. Pour pouvoir aller travailler, je dors dans mon ancien appartement pendant la semaine. Ma grand-mère y vit toujours. Je viens à Sidi Abdellah le week-end », raconte Hichem, 28 ans, qui est employé dans un magasin de téléphonie dans le centre de la capitale. Les urbanistes s’alarment de ce qu’ils considèrent être une « absence de réflexion sur la vie en ville ». Ils prévoient une augmentation importante des phénomènes de bandes urbaines et de trafic de stupéfiants. « Dans 20 ans, dans ces quartiers, ce sera comme le Mexique », s’alarme un architecte, qui demande à rester anonyme.
« Les familles s’appuient sur leur tissu social ancien, familial ou tribal, ou celui qu’elles ont constitué au cours de leur vie dans la ville. Le relogement a une facette de délogement qui entraîne (…) des mutilations ou des démembrements de ces réseaux et de ces grappes familiales », analyse Rachid Sidi Boumédine. L’urbaniste affirme qu’à terme, Alger se divisera entre les quartiers centraux habités par les plus riches et où se situeront les commerces de luxe, et de l’autre les plaines et les faubourgs industriels qui deviendraient des « Medina Djedida » (nouvelles villes) et leurs souks (marchés) spécialisés » : « Le capitalisme algérien aura ainsi réussi, sous une forme non dite, avec un autre standing mais avec le même résultat global, à reconstituer à la fois une ville formelle et une « ville arabe » où les habitants des bidonvilles habiteraient ».
Pour aller plus loin : « Bétonvilles contre bidonvilles, cent ans de bidonvilles à Alger », Rachid Sidi Boumedine, Apic, 2016.