Depuis le mois de juin, principalement à Alger, les autorités algériennes ont arrêté des dizaines de manifestants, accusés «d’atteinte à l’intégrité nationale».
C’est une pièce au plafond assez bas. Sur les murs, des affiches et des photos de militants assassinés, certains pendant la décennie noire, ces dix années de violence où l’armée et les groupes terroristes s’affrontaient. Dans ce local d’un parti politique, dans le centre d’Alger, deux hommes fument à la fenêtre, d’autres parlent au téléphone, Djalila ouvre son cahier et demande à ce que l’on commence. Ici, chaque semaine, des militants, des journalistes, des membres de petits partis politiques d’opposition, et des familles de détenus se réunissent pour faire le point sur les arrestations de la semaine. « On a du mal à avoir les chiffres précis, certaines situations nous échappent, explique Zoheir. Une avocate a dit qu’il y avait 40 personnes au tribunal, alors qu’une autre a dit 24 ». Depuis le 21 juin, des manifestants sont arrêtés pour avoir porté un drapeau berbère. Le délit n’existe pas dans la loi, la langue berbère est la deuxième langue officielle du pays, et la culture est reconnue par les autorités, mais les manifestants sont inculpés d’atteinte à l’intégrité du territoire. D’autres sont arrêtés pour des pancartes avec des slogans critiques envers l’armée ou le chef d’état major, Ahmed Gaid, Salah, devenu l’homme fort du pays depuis la démission d’Abdelaziz Bouteflika. A Alger principalement, mais aussi dans d’autres villes du pays.
Les militants connus sont ceux dont l’arrestation est rapportée le plus rapidement. D’autres restent invisibles pendant plusieurs semaines. « Le pire dans tout ça, c’est que la classe intellectuelle ne dit rien. Où sont les doctorants, les profs d’université, les philosophes, les cinéastes, les écrivains? », s’interroge Raouf, 31 ans, en cette semaine de septembre. Les jours précédents, Karim Tabbou, ancien premier secrétaire du Front des Forces Socialistes (FFS, le parti historique d’opposition au FLN, le parti au pouvoir), a été arrêté pour atteinte au moral de l’armée. Deux autres acteurs politiques, Samir Benlarbi et Fodil Boumala ont été placés en détention provisoire pour «diffusion de tract susceptibles d’atteindre à l’unité nationale» et «atteinte à l’unité nationale». Une vingtaine de manifestants, arrêtés notamment pour des banderoles, ont été envoyés à la prison de El Harrach. Ils rejoignent ceux arrêtés fin juin, qui n’avaient, cette semaine là, toujours pas été entendu par le tribunal. Yani, étudiant du Comité autonome des étudiants de la faculté d’Alger 2, confirme une rumeur que certains avaient entendu : « Hier, une étudiante de 22 ans a été arrêtée dans la manifestation des étudiants. Elle est à la fac de droit. Elle a été placée sous mandat de dépôt ».
Fin octobre, huit mois après le début du mouvement de protestation, la situation ne semble pas s’apaiser. Le portrait de la jeune étudiante, Nesrine Dahmani, a été imprimé sur des pancartes, brandies dans les différentes manifestations. Elle est toujours en prison et «va très mal» selon les avocats. A la fin du mois, dans le hall du tribunal de Sidi M’hamed, à Alger, les familles se sont réunies pour la date des premiers verdicts : six jeunes hommes accusés « d’atteinte à l’intégrité nationale », dont certains ont été arrêtés dans des cafés. « On a un tout petit espoir qu’aujourd’hui ça soit fini », explique Souad Leftissi, étudiante en architecture, dont le frère est en prison depuis le 21 juin. Mais la grève des magistrats, qui protestent contre un grand mouvement de mutations, douchera ces espoirs là. Les verdicts ne seront pas rendus. Et les familles doivent patienter encore. Pour la première fois, les proches de détenus avaient contacté les partis politiques d’opposition. « On a besoin de soutien et de chaleur », explique Omar Abed, l’un des représentants du Collectif des parents de détenus. «N ous sommes là pour aider à instaurer un rapport de force », affirme Fethi Garès, porte parole du Mouvement démocratique et social (MDS). Lors de la manifestation du 1er novembre, Raouf, le trentenaire qui s’emportait contre le silence intellectuels, a été arrêté puis placé en détention provisoire pour avoir porter du drapeau berbère. D’autres manifestants arrêtés le même jour, pour les mêmes faits, ont été mis en liberté provisoire. Le groupe de militants qui se réunissent chaque semaine publie désormais des tableaux avec les noms des personnes arrêtées et les décisions de justice.