Régulièrement visée par des attaques, l’Église copte orthodoxe panse les douleurs des familles, en faisant des victimes du terrorisme des élus de Dieu.
C’est en silence que l’on entre dans cet espace lugubre aménagé comme un immense autel des morts. « Enlevez vos chaussures, et rangez votre appareil photo », annonce à voix basse une jeune femme. Dans cette pièce sans charme qui fut probablement autrefois une banale salle de réunion avec moquette cramoisie et néons blancs, les visages des défunts vous scrutent. Lieu dédié au souvenir des victimes coptes tuées dans les récentes attaques terroristes en Égypte et en Libye, ce « mémorial des martyres » est perché au sixième étage du centre culturel de l’Église copte, dans le prolongement du musée consacré à l’ancien Pape Shenouda. Ici, pas de souvenirs de vies heureuses mais une glorification des derniers instants de ceux qui sont morts dans des attentats ou lors d’exécutions sommaires. « Ils sont les martyrs des temps modernes », prévient la responsable des relations avec le public, Irine Roshdi.
Au centre de la pièce : les débris du mobilier d’une église soufflée par une explosion, un banc tâché de sang, une croix brisée, exposés comme des reliques sacrées. En fond de salle : les images de 21 hommes agenouillés sur une plage en combinaisons orange sont affichées. Les photographies, extraites de la vidéo de propagande de l’organisation État islamique sont classées par ordre chronologique, de leur arrivée avec leurs bourreaux jusqu’à l’instant où les lames sont placées sur les gorges avant d’être tranchées.
Longuement, la guide parcourt des yeux les dizaines de visages. Au total, 48 martyrs sont honorés dans cet espace. Elle connaît les histoires personnelles de tous sans exception. Des hommes, des femmes et des enfants dont les noms ont été gravés sur des plaques dorées, fixées sur des structures en bois lourd, sur lesquelles reposent des boîtes transparentes. A l’intérieur de ces cassettes, les effets personnels de chaque mort et ce qu’ils portaient le jour de leur décès. Une chemisette maculée de sang, un sac à main déchiqueté, des lunettes aux verres éclatés… Mais aussi des petits mots et des photos, glissés dans l’urne par la famille et les visiteurs. « Les prochaines sont en préparation », indique Irine en pointant une seconde salle. Il faut désormais ajouter 81 noms, 81 photos, 81 boîtes. Peut-être même davantage.
Lors de l’inauguration du mémorial en janvier 2017, quelques semaines après l’explosion qui avait soufflé l’aile réservée aux femmes de l’église Saint-Paul et Saint-Pierre du Caire, personne n’imaginait que cet évènement tragique se reproduirait à de maintes reprises les mois suivants, emportant dans ses déflagrations près d’une centaine d’autres vies. Le mois de mars suivant, des attentats ciblés dans le Nord-Sinaï ont fait au moins neuf victimes et obligé des centaines de familles chrétiennes à fuir la région. En avril, 44 fidèles ont été tués en pleine cérémonie des Rameaux lors d’un double attentat suicide, dans une église de Tanta et aux abords du patriarcat d’Alexandrie. Un mois plus tard, c’est un groupe d’hommes en armes qui s’attaquait à un bus de pèlerins et fusillait 27 personnes à bout portant.
Vitrine cultuelle
L’Église copte ne ménage pas ses efforts pour faire de ces victimes des symboles pour la communauté. Le clergé a conscience que la martyrisation est un élément rassembleur et renforce le sentiment d’appartenance de cette minorité, convaincue de mourir « au nom du Christ ». « Quand mon fils est mort, le Pape est venu, il m’a pris dans ses bras et il m’a dit « Luke a été martyrisé au nom du Christ. Ses derniers mots ont été « Seigneur Jésus, Seigneur Jésus », jusqu’au moment où il s’est fait trancher la gorge », raconte ému, le père de l’un des ouvriers exécutés en Libye. « Il a été martyrisé en son nom. On remercie Dieu pour ça. » « Ton martyr nous rend fiers, il nous rend digne devant le monde entier », ajoute aussi la mère, « merci mon cher, merci pour cette belle martyrisation que tu méritais. Félicitations mon fils. Nous remercions Dieu de t’avoir choisi, de nous donner ce beau témoignage. »
Une antienne répétée à l’envi et fortement encouragée par les hauts responsables religieux, comme seul mécanisme de défense face à l’incompréhensible. Car le martyr se porte en fierté même si l’acception du terme s’éloigne de plus en plus de sa définition première – « se laisser tuer en témoignage de sa foi ». Il est si fortement implanté dans l’imaginaire copte qu’il est devenu une vitrine de la foi chrétienne.
Des reliques comme celles exposées au mémorial sont visibles dans de nombreux lieux saints du pays, les rites funéraires dédiés aux martyrs sont les seuls reprenant à l’identique ceux effectués lors de la mise en bière de Jésus dans le Nouveau Testament. Les martyrs sont régulièrement portés en saints et il est courant de venir prier auprès d’eux pour demander de l’aide.
Certaines églises sont aussi construites pour leur rendre hommage et leurs noms sont ajoutés au Synaxarium, des répertoires hagiographiques lus lors des offices comme ultime reconnaissance d’un statut supérieur pour les martyrs. Il n’est pas rare non plus de voir fleurir, dès l’annonce du décès, des portraits des morts, photoshopés sur fond céleste auprès de Jésus. Des œuvres déclinées en poster XXL et disséminées dans les lieux que le défunt fréquentait de son vivant. Certaines histoires ont même été rassemblées et imprimées dans des anthologies, d’autres transformées en films produits par l’Église dès la fin des années 1970. Une tradition, un culte presque, qui a permis à la foi chrétienne de survivre en Égypte en réhabilitant l’histoire des opprimés, malgré des siècles de persécution. Le 15 février, jour du massacre des coptes égyptiens en Libye, est désormais un jour férié pour l’une des plus vieilles églises de la chrétienté.