Dessins publiés pour illustrer quatre dossiers de 15-38 depuis 2017 signés, de gauche à droite et de haut en bas : Yakana, dessinateurs de Kafranbel en Syrie (photo de Marie Kostrz et Hélène Bourgon), Saad et Willis from Tunis.
Quelles sont les valeurs défendues par Cartooning for Peace depuis sa création en 2005 ?
Elles peuvent être résumées par la Déclaration universelle des droits de l’homme. L’association est née d’une rencontre entre Plantu (dessinateur français longtemps publié en Une du quotidien Le Monde) et Kofi Annan, alors secrétaire général de l’ONU. C’était en 2005, après ma publication des caricatures de Mahomet qui ont été au cœur de beaucoup d’incompréhensions.
L’objectif était de faciliter le dialogue et le vivre ensemble et de défendre la liberté d’expression à travers des expositions, des livres, des ateliers dans des écoles, des lieux de détention, et de protéger tout confrère menacé par son gouvernement ou le public dans son travail.
Vivre ensemble nécessite d’avoir des références communes sur les droits, les valeurs, etc. Plantu s’est donc tourné vers la Déclaration Universelle des Droits de l’homme, document le plus abouti et le plus consensuel pour en parler, même si certains voudraient qu’il ne soit pas si universel.
Comment ont évolué les missions de l’association depuis sa création ?
Les missions de l’association n’ont pas évolué dans leurs définitions. Nous sommes restés fixés sur nos trois grandes missions ; promouvoir, montrer et expliciter le dessin de presse, l’utiliser comme outil pédagogique pour parler des droits de l’homme, du vivre ensemble et de la liberté expression, et accompagner les dessinateurs menacés dans le monde.
Ce qui évolue c’est le temps de travail d’une mission à une autre, en fonction d’un moment de l’année et l’ampleur de la tâche. Aujourd’hui, l’association compte 10 personnes salariées (contre deux à sa création) et gère un budget 900 000 euros. Elle réunit également 300 membres dans le monde. Et ce n’est pas lié à une volonté interne d’expansion mais plutôt à une demande en augmentation. Comme d’autres associations, Cartooning for Peace travaille pour ne plus exister, pour ne plus avoir à se battre pour cette liberté et qu’elle soit acquise partout. Mais dans les faits, c’est l’inverse qui se produit.
Sur quels aspects l’association est-elle de plus en plus sollicitée ?
Nous n’avons pas eu besoin de plus promouvoir le dessin de presse car, pour des raisons négatives, il y a eu un zoom sur cette profession notamment avec les attentats de Charlie Hebdo en 2015 ou l’assassinat de Samuel Paty en 2020. C’est la partie pédagogique qui fait l’objet de plus de demandes avec un double phénomène dans le monde occidental. On assiste à une montée de l’individualisme depuis les années 1980 avec le développement de la société de consommation et l’apparition du numérique qui permet de tout paramétrer selon ses goûts, etc. Quand vous travaillez sur le vivre ensemble, cela peut entrer en collision. Cette situation nous amène à travailler sur le rôle des institutions, les compromis pour vivre avec des gens qui ne pensent pas comme nous. Internet propose le savoir universel à portée de clic et la liberté d’expression pour tous à l’échelle de la planète mais ce pouvoir a aussi sa face noire, qui est dûe au fonctionnement des algorithmes et qui vous fait entrer en relation avec des personnes qui pensent comme vous. Cela finit par donner l’impression que c’est vous qui avez raison et cela cloisonne les individus.
D’autre part, le dessin de presse demeure pour certains un symbole du blasphème. Cela nous emmène à travailler des valeurs qui nous semblaient acquises ; comme l’égalité des genres par exemple. Enfin, le plaidoyer prend de plus en plus de place dans notre travail. Cela est lié au fait que le nombre de régimes durs n’a pas diminué ; la Chine comme la Russie n’ont pas facilité la liberté d’expression. Ce sont joints à ces régimes des pays dans lesquels la liberté d’expression est vraiment attaquée comme en Inde ou dans le Brésil de Bolsonaro, ou encore au États-Unis, avec de plus en plus de sujets tabous qu’on ne peut plus aborder.
En Europe, la Hongrie et la Pologne sont les pays où nous sommes les plus vigilants avec des autorités qui s’en prennent directement aux dessinateurs qui ne vont pas dans leur sens. Autour du bassin méditerranéen, Israël et la Palestine ont toujours été un point de vigilance. En Tunisie, après l’espoir, nous sommes de nouveau en état de vigilance. En Méditerranée orientale, la Turquie d’Erdogan menace la presse également. La demande est en augmentation et le nombre de signalements de dessinateurs menacé par leurs autorités a augmenté.
Quelles sont vos moyens d’action en cas de signalement ?
Il n’y a pas de règles générales. Nous agissons souvent collectivement avec d’autres associations mobilisées autour de ces droits comme RSF ou le CRNI, une structure pour les droits des dessinateurs de presse. Il nous arrive aussi d’être en relation avec des représentations diplomatiques de différents pays s’il faut faire changer un dessinateur ou une dessinatrice de pays. Parfois il s’agit seulement de conseils, notamment sur le plan juridique, parfois on passe par une campagne de communication pour faire du bruit autour d’une affaire, parfois c’est l’inverse. Les stratégies sont multiples.