Au Village sans prétention, on fait de grandes choses depuis trente ans

Publié le 14/12/2024
Comment parle-t-on de la précarité dans les médias ? On est allés poser la question aux salariés et personnes accueillis par l’association Le Village qui depuis plus de trente ans, lie solidarité, écologie et culture.

Il y a trente ans, un petit groupe de rêveurs posait la première pierre du Village, sur la route d’Avignon, en bordure de Cavaillon. À l’époque, le fondateur gère un projet de réinsertion dans le centre de la ville. Connue pour le maraîchage – les fameux melons, la ville est sinistrée depuis l’arrivée de l’autoroute A7 et de l’import international. Une concurrence imbattable pour les vieux rails et légumes cavaillonnais. Dans le champ de la réinsertion, les travailleur·ses sociaux·les réalisent vite que faire travailler des personnes qui n’ont pas de logement équivaut à prendre le problème à l’envers. Ils créent le Village en 1993 et trente ans plus tard, le concept reste le même : des petites maisons construites en éco-matériaux à loyers bas, hébergent pour une durée indéterminée des personnes sans logement, en rupture sociale et financière. Les maisons sont placées en demi-cercle autour d’un lieu de vie collectif où les 23 “accueilli·es” participent aux activités et aux repas chaque midi. 

Social, écologie, et culture : un cercle vertueux

L’association embauche aujourd’hui 110 personnes, en insertion ou non. Elle possède des champs, qui alimentent la cuisine et des paniers vendus à des clients alentour. De l’autre côté du terrain, une fabrique de briques compressées permet de construire les maisons sur place, mais aussi de répondre à des commandes externes dans l’éco-construction. Lier solidarité, écologie et culture, tel est le pari réussi de l’association. Quand elle parle du Village, Jeannine, accueillie depuis dix ans, est vite émue. « Ici on est bien entouré·es, c’est convivial. Par exemple, j’ai été pendant dix ans dans l’orchestre du village, ça m’a beaucoup apporté », explique celle dont la retraite ne permet plus de vivre dans un logement classique. Elle fait volontiers du bénévolat dans les ateliers ou le jardin, car elle estime qu’il « faut tendre la main, donner de sa personne » et aider les plus démuni·es qu’elle.

Jeannine ne porte pas les journalistes dans son cœur. Elle se souvient d’un article d’il y a une bonne dizaine d’années dans un journal local Ils avaient titré ‘un lieu d’accueil pour les bras cassé’. Ça m’a dégouté. Ils viennent faire leur travail sur notre dos et nous mettent plus bas que terre. On est des humains, comme tout le monde ! » s’exclame-t-elle. Martial, travailleur social au Village depuis presque 20 ans, est aussi sur la réserve : « Les journalistes ne font que relater. Et dans les reportages sur la pauvreté, on ne met que le prénom des personnes interrogées, comme s’ils n’avaient plus vraiment d’identité … » À la Caravane des médias, on a choisi de ne mettre que le prénom de tout le monde, pour préserver la vie privée des personnes interrogées. Mais est-ce le bon choix ?

« Les politiques n’en ont rien à foutre »

Martial souhaiterait que l’on parle plus des travailleur·ses sociaux·les dans la presse : « On parle des gens qu’on dit “invisibles”, mais nous les travailleurs sociaux, on l’est tout autant», Il a plein de casquettes :  assistant social, menuisier, maraîcher, ou encore comptable mais veillent à être à sa place : « Chaque jour, je viens travailler, mais je considère que ce sont eux qui m’accueillent chez eux ». Et comme c’est l’heure du repas, il passe au service. Tous les accueilli·es et les salariés se dirigent vers la cantine pour un repas copieux : le cuistot est un accueilli, ancien cuisinier et aujourd’hui c’est poulet basquaise. Vincent, directeur de la structure, se joint à notre table : « On parle souvent de précarité dans la presse, mais pas des fragilités » regrette-t-il. Avec Martial, ils estiment qu’on ne montre pas la diversité et la complexité des profils en difficulté. Il y aurait d’un côté, le pauvre idéal, un clochard blanc et français, et dans l’ombre, une multitude de profils : les retraités qui n’arrivent pas à boucler les fins de mois, les étrangers, les anciens déténus, les personnes touchées par des problèmes d’addiction, etc. 

Aujourd’hui, le Village peine à mobiliser les financements de la ville de Cavaillon et de la Région. Ces structures diminuent années après années les financements, et demandent aux associations d’être de plus en plus rentables, quand elles ne leur mettent pas carrément « des bâtons dans les roues », selon Martial. Alors, ils et elles s’adaptent, créent des composts en bois à vendre aux collectivités, ou encore des ballots de paille pour la construction de maisons écolos. « Mais à chaque innovation, nos idées sont reprises à échelle industrielles », souffle Martial. Pour Jeannine, l’équation est simple : « Ils pensent qu’on est des branleurs, alors que ça peut être une histoire de handicap, ou d’addiction… Les politiques me dégoûtent de plus en plus. Ils n’en ont rien à foutre des gens. »

Sophie Bourlet, Timothée Vinchon, Martin Gallone