À Lourmarin, la fracture numérique inversée

Mis à jour le 14/12/2024 | Publié le 10/12/2024
Alors qu'on s'apprêtait à se lancer dans un atelier sur la fracture numérique, nous avons été surpris : des aînés hyperconnectés et informés, face à des trentenaires plus distants des réseaux. Ensemble, ils ont repensé les façons de mieux s’informer.

À la Fruitière Numérique de Lourmarin, un espace dédié à l’innovation et au partage de savoirs, la Caravane des Médias avait imaginé un atelier sur la fracture numérique. On avait imaginé rapprocher les générations autour de problématiques d’accès à l’information et aux outils digitaux. Mais la réalité rencontrée sur place a pris tout le monde de court : les aîné·es présent·es, souvent perçus comme « décroché·es » des nouvelles technologies ou de l’info se sont révélé·es être les plus connecté·es et au fait de l’actualité. On a donc improvisé un autre atelier, sur comment mieux s’informer.

Quand les aîné·es sont les plus connectés

Alfred, 50 ans, ancien journaliste à La Provence et désormais auteur prolifique et auto-édité, est hyperconnecté : actif sur BlueSky depuis que Twitter est devenu “un nid à fake news et discours d’extrême droite avec cet idiot de Elon Musk”, passionné notamment par la vulgarisation sur YouTube dont il peut citer des douzaines de comptes. Michel, 77 ans, ancien diplomate, est devenu influenceur avec plus de 25 000 abonnés sur sa page Facebook “j’ai dû ouvrir une page quand j’ai dépassé les 5000 amis”. Il y cause notamment d’Europe et de fédéralisme. Sa femme Catherine, est ingénieure agronome à la retraite devenue écrivaine une fois à la retraite. Elle suit autant l’actualité régionale  même si elle trouve que la Provence est très déconnectée des événements locaux, qu’internationale. La chute de Bachar El-Assad l’a marquée : “L’actualité internationale est fascinante en ce moment. Partout Le bouleversement du monde et un vent de liberté qui souffle.” Michel renchérit : « Reste à savoir dans quel sens il va nous emmener.”

Face aux aînés, plusieurs trentenaires, souvent plus éloignés des réseaux, ont partagé leurs pratiques médiatiques et réflexions critiques. L’équipe de la compagnie d’arts de rue L’agonie du palmier, est en résidence à la Fruitière pour préparer une future création mêlant Pizzagate, souterrains, mystères et fantasmes. Une œuvre qui leur sert de prétexte pour explorer l’information et les fake news. Laetitia, 42 ans, avoue son faible usage des réseaux sociaux. Elle considère Facebook comme “désuet” et peine à comprendre les codes d’Instagram, qu’elle trouve trop rapide. Evelyne, 38 ans, habitante de Marseille, se décrit comme “dans la fracture”. “Je n’utilise pas les réseaux sociaux, je ne comprends pas comment on lit si vite des choses”, confie-t-elle. Elle apprécie toutefois lire l’info locale en consultant les journaux dans les cafés, et via son abonnement à Marsactu. Elle y suit d’ailleurs quotidiennement le live du procès de l’effondrement des immeubles de la rue d’Aubagne. Vladimir, animateur et producteur radio de 37 ans, est plus connecté. Habitué à animer des ateliers de podcast avec des jeunes, il consomme des vidéos YouTube depuis qu’il est devenu père au foyer. Fan de Jean Massiet et Clément Viktorovitch, il explore aussi les contenus de figures de la complosphère comme Papacito, le Raptor Dissident, Didier Raoult ou Dieudonné. “Je ne peux pas me positionner contre des personnes dont je ne sais rien”, explique-t-il, tout en restant vigilant à l’impact de ces contenus sur sa santé mentale.

Des recommandations pour mieux s’informer

Tous ensemble, nous avons réfléchi à pourquoi il est de plus en plus difficile de s’informer et aux solutions qu’on a ou qu’on imagine qu’on pourrait mettre en place 

Du côté des difficultés repérées : 

  • Trop d’informations et trop de sources : L’excès d’informations rend difficile de distinguer l’essentiel du superflu et d’identifier des sources fiables.
  • On est tous sujets aux biais cognitifs : Nos préjugés personnels influencent la manière dont nous interprétons ou recherchons des informations. 
  • Confiance et algorithmes : Les algorithmes des plateformes filtrent l’information selon nos comportements passés et peuvent biaiser notre perception
  • Subvention et financement des médias : La dépendance financière des médias, souvent liée à des intérêts économiques ou politiques, peut affecter leur indépendance et leur qualité éditoriale.
  • Concentration des médias : La domination de grands groupes industriels sur les médias réduit la pluralité des voix et pose la question de la collusion.
  • Le sensationnalisme : La recherche de clics et de buzz favorise des contenus de moins bonne qualité.
  • La confusion entre communication et information : La communication, souvent orientée et marketing, se confond avec l’information journalistique.
  • L’IA va permettre de créer des contenus de désinformation encore plus difficiles à repérer. 

Les préconisations des participant·es pour tenter de mieux s’informer : 

Éteindre les chaînes d’information en continu :

  • Limiter son temps d’information à une fois par jour ou par semaine.
  • Dans les cafés, ne pas hésiter à demander une autre chaîne d’information
  • Utiliser des outils comme TV-B-Gone, un dispositif pour éteindre les écrans à distance.

S’abonner à des médias indépendants :

  • Devenir ambassadeur de son journal en tant qu’abonné, demander et distribuer des exemplaires supplémentaires.
  • Soutenir des structures favorisant l’indépendance, comme les SCOP ou associations.
  • Favoriser les médias dans lesquels il y a de la transparence et de l’horizontalité.

Sensibiliser à la fabrication de l’information :

Créer un “nutriscore” de l’information, qui donnerait le “taux de bollorisation” et le “niveau de bullshitomètre” d’un média

Visionner des vidéos éducatives sur l’esprit critique et les biais cognitifs : 

Sophie Bourlet, Timothée Vinchon et Martin Gallone