De la tisane bio, du jus de poire « hyper bon », mais aussi des fruits et légumes frais. Voici un peu du butin qu’Annie, 62 ans, sort de ses placards. Ces produits, elle les a achetés à la coopérative paysanne de Cadenet, la Bardane, qui regroupe plus de 40 producteur·ices locaux·les. Assise dans le salon du petit appartement dans lequel elle vient d’emménager à Mérindol, elle confesse : « Si je n’avais pas la sécurité sociale alimentaire (SSA), je n’aurais jamais mis les pieds ici, c’est beaucoup trop cher. »
Ce dispositif permet depuis cette année à 33 habitant·es tiré·es au sort à Cadenet et alentours de bénéficier d’un remboursement de 150 € par mois auprès de certains producteur·ices, « conventionnés » par des critères comme la localisation, la taille de l’exploitation, ou encore les conditions de travail. Le conventionnement est établi collectivement lors de réunions ouvertes de la Caisse Locale de l’Alimentation de Cadenet (CLAC), la structure qui gère ce projet.
« Ça nous donne de la visibilité vis-à-vis des personnes qui n’auraient pas forcément le réflexe de venir au marché ou qui ont déjà du mal à finir les fins de mois », raconte Alexis, 38 ans, producteur de légumes bio et d’œufs. Sur le marché de Cadenet, quelques jours plus tôt, il répondait à nos questions tout en remballant son stand dans le froid de décembre, sur la petite place provençale. À 11h, il avait fini de vendre tous ses œufs.
Se rassembler pour réfléchir sa consommation
Selon lui, il faudrait mettre plus en valeur ce genre d’initiatives dans les médias. « Au lieu de tirer les gens vers le haut, on installe une négativité ambiante avec les mauvaises nouvelles. On les laisse chacun de leur côté à se dire que tout va mal alors que les choses vont plutôt bien quand on en parle. » D’ailleurs son voisin, Didier, vendeur de paella, n’était pas au courant de l’initiative de la SSA.
Au-delà d’une incitation financière, le projet est surtout une manière de se rassembler autour du sujet et de réfléchir à son alimentation. « Ça m’a permis de mieux manger, raconte Annie, J’ai découvert le tofu par exemple. » Mais pour elle, le vrai atout est le lien que les réunions ont créé : « On habitait dans le même village, mais on ne se connaissait pas. Ça nous a rassemblés. » Créer du lien par l’assiette, Thomas, l’un des créateurs du projet, est totalement convaincu du projet. Il participe à deux réunions hebdomadaires depuis le début du projet : « On va discuter ensemble, on fait les réunions chez les un·es et les autres, pour discuter de ce qu’on rembourse ou non et des suites du projet. »
Un projet de société
Direction le Café Villageois où Thomas travaille, un café géré par l’association Au Maquis en bas de Lauris, qui déploie des actions autour de l’alimentation, mais aussi sociales dans les quartiers populaires de Cavaillon. Eric est un autre des fondateurs du projet de SSA. Au delà d’une initiative locale, c’est selon lui un projet de société plus large, concernant l’agriculture : « Si on socialisait l’outil de production alimentaire, comme on l’a fait avec les hôpitaux universitaires, chaque paysan·e pourrait bénéficier d’infrastructures sans s’endetter auprès de la banque, et on sortirait du cycle de surendettement qui pèse sur le prix final des produits. »
Si le projet est aujourd’hui financé par la Fondation de France, il est conscient que le répliquer au national sera complexe : « Fournir 150 euros d’alimentation par mois à tou·tes les habitant·es d’un village exige des moyens colossaux, à la hauteur du budget global de la commune. » Mais pas impossible, avec de la volonté, mais surtout, « transpartisane. » Il craint que l’engouement médiatique ne conduise à une reprise politique du concept, même si pour l’instant, le sujet est surtout couvert par les médias « alliés », Basta ou France Inter, raconte-til. « La proposition de sécurité sociale de l’alimentation, c’est clairement la seule proposition réellement emballante et transformatrice d’aujourd’hui. On pourrait l’appliquer à tous les domaines, comme le transport ou le logement. En fait, c’est quelque chose de sacrément révolutionnaire ! » s’enthousiasme Eric, convaincu de la puissance du collectif. Au Maquis, après la pause du midi autour d’un bon repas, tout le monde repart en courant vers les mille et une activités transformatrices de l’association.
Martin Gallone, Timothée Vinchon, Sophie Bourlet