En octobre 2013, l’Italie lance l’opération Mare Nostrum suite au naufrage survenu à quelques kilomètres de l’île de Lampedusa en Sicile, où 366 personnes ont perdu la vie. Elle débloque alors des moyens matériels (hélicoptères, bateaux, garde-côtes, aide humanitaire) et des fonds considérables (environ 9 millions d’euros par mois) pour éviter de nouveaux naufrages et contrôler les migrants arrivant au sud de l’Italie.
Au sein de l’Union Européenne, les États votent la résolution Eurosur, qui met en place un système européen de surveillance des frontières qui sera assuré par l’agence Frontex. Frontex est chargée d’assister techniquement les pays pour protéger leurs frontières extérieures et former leurs garde-côtes. En 2018, son siège à Varsovie lui a accordé un budget de 320 millions d’euros. Elle dispose à ce jour (en février 2019) de 976 agents, 17 bateaux, 4 avions, 2 hélicoptères et 59 voitures de patrouille, des moyens qui seront accrus d’ici 2020 avec la formation d’un corps permanent de 10 000 agents et un pouvoir d’exécution renforcé et souhaité par la Commission européenne d’ici 2027.
Dans le cadre de leur mission de surveillance de la mer, les agents de Frontex interceptent les embarcations d’exilés, contrôlent les rescapés et les remettent aux autorités du pays où ils sont débarqués. Les bateaux Frontex sillonnent ainsi les eaux internationales du Maroc à l’Albanie. Les ONG humanitaires l’accusent de vouloir repousser les migrants dans leurs pays d’origine et de transit comme le prévoient les États de l’Union Européenne.
Octobre 2014, l’opération Mare Nostrum qui a pourtant permis de sauver 150 000 personnes en un an et d’arrêter 351 passeurs, est stoppée par l’Italie qui investit 9 millions d’euros par mois et ne veut plus porter cette responsabilité seule. L’agence européenne Frontex via l’opération Triton est chargée de reprendre le flambeau avec des pays membres. Mais elle se contente alors de surveiller uniquement les eaux territoriales européennes là où Mare Nostrum allait jusqu’aux côtes libyennes pour effectuer des sauvetages. La recherche et le sauvetage ne sont plus assurés, faisant de ce passage migratoire le plus mortel au monde. L’Italie qui est alors pointée du doigt par des États membres car elle n’assure plus sa mission de sauvetage, de recherche et de prise en charge au large de ses côtes est dans le même temps accusée par les mêmes d’inciter les traversées « sécurisées » en venant en aide aux exilés et de provoquer un appel d’air. Une accusation démentie très rapidement par le nombre de départs qui est resté le même après l’arrêt de l’opération Mare Nostrum.
L’Italie qui avait déployé un arsenal impressionnant pour le sauvetage durant cette période n’avait pas pour autant assuré la prise en charge, ni procédé à l’enregistrement des dizaines de milliers d’exilés arrivant sur son sol, comme le prévoit l’accord de Dublin (prise d’empreintes et demande d’asile dans le premier pays d’accueil). Le nombre de demandes d’asile enregistrées fut bien supérieur en France, en Allemagne et en Suède à cette même période.
2015 marque un tournant des politiques migratoires européennes. Le corps du petit Syrien, Aylan Kurdi retrouvé sans vie sur une plage turque le 2 septembre 2015, a ému la communauté européenne seulement quelques semaines, rattrapée ensuite par la peur de ne pas pouvoir gérer une crise humanitaire imminente. « Elle n’a jusqu’ici pas trouvé de réponse politique et collective à l’exil », analysent les chercheurs. Les pays membres de l’Union européenne ont opté jusqu’à ce jour pour des politiques d’endiguement des populations de migrants dans leurs pays d’origine ou de transit comme en Turquie, en Libye ou au Maroc, plutôt que pour des politiques d’intégration.
Seule l’Allemagne en 2015 avait opté pour une politique d’accueil et de traitement des demandes d’asile sans les conditions imposées par l’accord de Dublin qui oblige les réfugiés à faire une demande dans le premier pays d’accueil. La chancelière allemande avait permis à un million de personnes de venir en Allemagne et d’entamer une demande d’asile. « Elle démontrait qu’on peut être humaniste tout en légalisant le passage des frontières que l’Europe juge généralement indésirable. Elle a aussi montré que c’est un faux-semblant pour les gouvernements de brandir la menace des extrêmes droites xénophobes et qu’il est bien au contraire possible d’y répondre par des actes d’hospitalité et des paroles », décrit Michel Agier dans son livre « Les migrants et nous ».
En mars 2016, la Turquie et l’Union européenne signent un accord qui prévoit le renvoi des migrants arrivant en Grèce et considérés comme non éligibles à l’asile en Turquie. La Turquie a reçu 3 milliards d’euros d’aide afin de garder sur son territoire les candidats pour l’Europe. A ce jour, des réseaux de passeurs entre la Turquie et la Grèce (5 kilomètres de navigation) sévissent toujours et des milliers de personnes arrivent chaque jour sur les îles grecques où elles sont, comme à Lesbos, retenues dans des camps insalubres où l’attente de la demande d’asile est interminable.
En 2017, l’Office international des migrations (OIM) remarque une baisse des arrivées de réfugiés sur le continent européen. Cette baisse est liée à plusieurs facteurs qui vont à l’encontre des conventions des droits des réfugiés, à savoir le renforcement des contrôles et interceptions en mer par l’agence Frontex, le refus de l’Europe d’accueillir les rescapés secourus en mer et surtout, la remise entre les mains des garde-côtes libyens de la mise en place des coordinations de sauvetages, encouragés et financés par l’UE afin de ramener les personnes migrantes en Libye. Cette baisse ne signifie pas qu’il y a moins de personnes migrantes qui quittent leur pays, arrivent en Libye et quittent ensuite la Libye : 13 185 personnes ont été ainsi interceptées par les Libyens en Méditerranée en 2018, des centaines ont été secourues par les ONG et plus de 2 250 seraient mortes, sans compter celles dont les embarcations n’ont pas été repérées et ont disparu en mer.
En avril 2018, le président Macron suggérait un pacte pour les réfugiés, afin de réformer le système de relocalisation des migrants en proposant un programme européen qui soutienne directement financièrement les collectivités locales qui accueillent et intègrent des réfugiés : « Nous devons obtenir des résultats tangibles en débloquant le débat empoisonné sur le règlement de Dublin et les relocalisations », déclarait-il. Mais les pourparlers qui ont suivi n’ont pas fait caisse de résonance et l’Europe accueille toujours au compte-gouttes.
La Pologne et la Hongrie refusent alors l’idée de répartition obligatoire, et le Premier ministre hongrois
Victor Orban déclare : « Ils forcent ce plan pour faire de l’Europe un continent mixte, seulement nous, nous résistons encore ».
Le 28 juin 2018, lors d’un sommet européen, les 28 tentent de s’accorder sur les migrations afin de répartir les personnes réfugiées arrivant en Italie et en Grèce dans les autres pays de l’Union européenne. Mais au terme de ce sommet, de nombreuses questions restent en suspend, et les ONG sont consternées. La politique migratoire se durcit.
Juillet 2018, le ministre de l’Intérieur italien Matteo Salvini fraîchement élu annonce, en totale violation du droit maritime, la fermeture des ports italiens où étaient débarquées les personnes rescapées par différentes entités transitant en Méditerranée, dont les ONG humanitaires comme SOS Méditerranée et son bateau l’Aquarius. Les bateaux de huit ONG se retrouvent sans port d’accueil alors que le droit maritime prévoit que « toute personne se trouvant en danger en mer doit être secourue par les bateaux les plus proches et être débarquée dans un port sûr où assistance, logement, hygiène et sécurité sont assurés ». Malgré la condition posée par l’Italie de ré-ouvrir ses ports si les autres États européens prennent en charge une part des migrants arrivant sur son sol, aucun d’entre eux ne s’est manifesté. Ils font aujourd’hui attendre plusieurs jours, voire plusieurs semaines, les bateaux d’ONG ayant à leur bord des dizaines de rescapés avant de se décider enfin à en accueillir quelques uns.
Les 28 proposent des zones de débarquement hors Europe, dans des pays comme la Libye, la Turquie, le Maroc, le Niger où seraient mis en place des centres fermés ou ouverts dans lesquels serait établie la différence entre les migrants irréguliers à expulser et les demandeurs d’asile légitimes à répartir en Europe, avec le risque que nombre d’entre eux restent en réalité bloqués dans ces pays. Des pays où les droits de l’Homme et le droit à la sécurité des migrants en situation de vulnérabilité, droits protégés en principe par les conventions dont les Européens sont signataires, risquent de ne pas être respectés. Des représentants du Maroc, de la Tunisie et de l’Albanie, pays également évoqués par les Européens ont déjà fait savoir qu’ils ne sont pas favorables à une telle décision.
Malgré les rapports des ONG Médecins sans frontières, Oxfam, LDH, Amnesty International et les rappels à l’ordre des Nations Unies sur les conditions de vie inhumaines subies par les exilés retenus en Grèce, en Libye, au Niger, les pays de l’Union européenne ne bougent pas d’un millimètre et campent sur la fermeture des frontières, avec des hommes politiques attachés à l’opinion publique qui suit dangereusement le jeu xénophobe de la Hongrie et de la Pologne, chefs de file et principaux instigateurs de la peur de l’étranger.
Réticences européennes contre mobilisations citoyennes :
Malgré les positions strictes de l’Europe, les citoyens partout en Europe poursuivent leurs actions, leurs soutiens et leurs solidarités envers les ONG. SOS Méditerranée active en France, en Allemagne, en Italie, et en Suisse est à la recherche d’une nouveau bateau et armateur. Les bateaux des ONG Sea Watch et Sea Eye tentent leur retour en mer, des pilotes solidaires originaires de Chamonix proposent un soutien d’observation aérienne. La ligne de l’association Alarm Phone gérée par des bénévoles continue de recevoir des appels de détresse venant de la Méditerranée, ils sont ensuite transmis aux bateaux présents sur zone. Partout en Europe, des citoyens organisent la solidarité et des espaces de sécurité pour les exilés en mal d’humanité.
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