Près de trois mois après le drame de la rue d’Aubagne où 8 personnes sont mortes, à Marseille, les citoyens ne lâchent rien. « Il y a eu des morts, il y aura un après Noailles ». La vie des habitants est en jeu et l’avenir de certaines familles aujourd’hui non relogées aussi.
Rassemblés dans la salle de concert du Molotov situé en haut de la rue d’Aubagne, personnes délogées, représentants d’associations, propriétaires et locataires délogés font le point sur leurs situations. « Il est question de responsabilité de l’État, de sûreté publique, de dignité humaine, et là nous sommes tous concernés », remarque une femme qui emprunte tous les matins avec ses enfants la rue où les immeubles se sont effondrés. « Si les immeubles étaient tombés une heure avant, cela aurait été un carnage pour les écoliers en route vers l’école qui se situe un peu plus haut », poursuit-elle avec la conviction qu’il est aujourd’hui primordial de porter plainte collectivement pour mise en danger de la vie d’autrui face à l’abandon du maire de son devoir de protéger les habitants. L’assistance écoute et apporte des réponses.
Ce jour-là, les représentants de l’Assemblée des délogés commencent par exposer les principales préoccupations concernant les locataires délogés suite à la mise en péril de leur immeuble ou en attente d’expertise. Les personnes dont le logement a été frappé par un arrêté de péril ne pourront pas réintégrer leur appartement. Le propriétaire doit assurer le relogement des occupants, et en cas de défaillance le maire prend le relais aux frais du propriétaire. Mais les témoignages attestent que les propriétaires n’assurent pas ce rôle et que la mairie se retrouve en charge du relogement des personnes évacuées. Ces dernières ont le choix entre deux propositions de relogement. Si les propositions ne leur conviennent pas, elles doivent souvent se débrouiller seules. Dans la salle, les témoignages dénoncent des propositions parfois inadaptées aux besoins. Certains finissent parfois par accepter des logements qu’ils n’ont pas eu l’occasion de visiter, faute de mieux. Les propositions de relogement concernent également des arrondissements mal desservis par les transports en commun. Situés loin des quartiers des écoles où sont scolarisés les enfants, cette situation contraint des parents à un casse-tête quotidien pour atteindre les établissements scolaires.
Réquisition d’immeubles vides
Pour les personnes délogées des quartiers centraux, l’association Un centre-ville pour tous et le Collectif du 5 novembre ont proposé la réquisition d’immeubles inoccupés sur l’avenue de la République. Un quartier déserté, suite à un plan de rénovation du centre-ville avec de nombreux logements vacants. La proposition a été récemment reprise par l’État ; le ministre du Logement Julien Denormandie a annoncé la location par l’État de 75 appartements vides dans cette rue. Il s’agit de studettes et de T2. « La municipalité s’honorerait en amplifiant le geste de l’État et en mettant en œuvre la réquisition des immeubles vides contenant des logements familiaux, afin de permettre aux familles de vivre dans un logement décent. Il est aujourd’hui certain que des dizaines, voire des centaines de familles vont devoir attendre de longs travaux avant de réintégrer leurs logements. Il y a urgence ! », s’indigne l’association Un centre-ville pour tous. (Voir encadré ci-dessous). La réquisition d’immeubles en bon état et disponibles à Marseille proposée par les citoyens ne semble pas être une option retenue par la préfecture et l’État, qui via son ministre a fait savoir qu’il n’y aurait pas « de système d’intermédiation locative massif, et que tout se ferait au cas par cas ». Ce manque de vision et de planification pour régler cette situation de crise exaspère les personnes concernées.
Mépris de l’administration face à la détresse humaine
« Le fait de ne pas avoir décrété de situation d’urgence a généré un manque d’organisation total autour de questions cruciales et humaines. Avoir près de 2 000 délogés et vouloir les régler au cas par cas en se prévalant du droit commun, ne peut pas fonctionner », déclare Nasséra Benmarina, l’une des porte-parole des délogés de Marseille dans une interview à Zibeline. « Dire au personnel municipal de venir faire du bénévolat pour accueillir les familles, des personnes dans une situation de détresse sociale, mentale, psychologique lourde, n’était pas une réponse suffisante, ni adaptée et pas à la hauteur du drame, d’autant plus qu’ils n’ont pas de réponse face aux questions juridiques des personnes touchées », ajoute-t-elle. Actuellement, la mairie se félicite de prendre en charge les nuitées d’hôtel proposées aux délogés et d’offrir des repas collectifs gratuitement chaque jour dans un immeuble du centre-ville. Elle a dans le même temps supprimé la délivrance d’une carte de 10 voyages en transport en commun et avait tenté de supprimer le petit déjeuner servi à l’hôtel.
« Les familles et les personnes seules logées à l’hôtel engagent beaucoup de frais en transport, en nourriture, en laverie. Éloignées du centre-ville, certaines familles ne peuvent pas profiter des repas servis par la mairie et doivent assumer des repas hors de l’hôtel. Elles continuent parfois à payer le loyer de leurs appartements. Suspendre les paiements équivaut dans certains cas à une rupture de bail. Elles ne pourront donc plus bénéficier des aides que le propriétaire doit mettre en place pour le relogement », constate Nasséra Benmarina. « Ces dépenses supplémentaires ne leur seront pas remboursées. C’est pourquoi nous avons mis en place une commission juridique afin de détecter les préjudices moraux et financiers qu’ils subissent depuis deux mois et demi d’errance, et qui pourront un jour être pris en charge », précise-t-elle. Suspendus à l’attente des documents administratifs qui attestent du renouvellement ou pas de la prise en charge par la mairie, de la mise ou non en péril de leur immeuble qui peut prendre deux mois et des expertises qui tardent, les délogés se trouvent dans un état de pression intense.
L’aspect psychologique est un sujet de préoccupation au cœur des témoignages lors des assemblées. Enfants traumatisés et personnes âgées isolées dans leur chambre d’hôtel s’inquiètent de ne pas être soutenus par le conseil départemental qui ne met pas en œuvre suffisamment de moyens pour subvenir à ces détresses humaines dont elle a la charge. Là encore, les citoyens mobilisés viennent suppléer les tournées effectuées par Médecins du monde dans les différents hôtels. Ils organisent parfois des temps de loisirs pour les enfants, comme cela a été le cas durant la période de Noël. « L’aide psychologique mise en place par la mairie suite au drame de la rue d’Aubagne était inadaptée. Nous avons donc décidé de mettre à disposition des consultations dans différents lieux pour les personnes du quartier », confie une psychologue bénévole présente aux assemblées des délogés. Un guide de survie a été conçu par le collectif.
Une charte pour accompagner le relogement
Devant le silence des représentants politiques marseillais, devant un État très peu concerné par les questions du mal logement, comment mettre en avant le travail des citoyens et associations réalisé depuis des années, faire entendre les solutions trouvées et faire respecter le droit au logement digne ? Quels recours les citoyens ont-ils ? Autant de questions que se posent les délogés et auxquelles le Collectif du 5 novembre répond : « Revendiquer le droit à habiter ». Pour l’instant, les collectifs et les associations mobilisés ont rencontré le préfet, le maire et récemment le 22 janvier, le ministre du Logement, Julien Denormandie. Mais d’après le Collectif du 5 novembre, ni la municipalité, ni l’État n’ont travaillé sur une stratégie réelle à la hauteur des enjeux humains que révèlent les situations de l’habitat indigne. « Les prises en charge et les droits ne sont pas suffisants », a indiqué le collectif sur son site internet. Il demande ainsi « un cadre juridique exceptionnel co-construit avec les citoyens qui travaillent sur le sujet ».
Le ministre du Logement a lui-même déclaré qu’un cadre juridique n’était pas nécessaire. Pourtant, depuis des années, des citoyens travaillent sur ces questions partout en France. A Marseille, le Collectif du 5 novembre présente aujourd’hui une charte qui s’appuie sur les principes de relogement existants, sur les lois et sur les compétences de la métropole, de la préfecture et de la mairie qui leur accordent jusqu’à aujourd’hui peu de crédit. La mobilisation a tout de même permis la création d’ici un an d’une nouvelle société publique d’aménagement dotée d’un budget conséquent. Elle garantirait la transparence des marchés. Cette institution pourrait être placée sous le contrôle de l’État en ce qui concerne la nomination du directeur et de l’équipe de travail, et sous le contrôle de la Cour des comptes, ce qui mettrait un terme au monopole exercé depuis des années par la Société locale d’équipement et d’aménagement, la SOLEAM, propriétaire de nombreux immeubles. Une société aujourd’hui largement pointée du doigt pour avoir entretenu l’habitat indigne à Marseille ces dernières années. 40 000 logements sont concernés à Marseille, leur rénovation pourrait s’accompagner d’un programme prévoyant 4 000 logements rénovés par an d’après la Fondation Abbé Pierre. Mais pour l’heure, le plus urgent reste l’insalubrité. Une enquête publique à laquelle les habitants sont invités à participer est actuellement en cours jusqu’au 2 mars afin de faire peser leurs réflexions dans le nouveau projet de Plan local d’urbanisme intercommunal (PLUI). Un plan prévu par la ville de Marseille et qui ne prenait pas en considération jusqu’ici la question du droit à l’habitat digne.
Communiqué de l’association « Un centre-ville pour tous » à la suite de la décision de l’Etat de louer des logements rue de la République à Marseille.
« Cette annonce, conforte notre revendication depuis novembre de réquisition au titre de l’Ordonnance de 1945 des centaines de logements vides détenus rue de la République par des fonds d’investissement immobiliers selon les résultats de nos enquêtes citoyennes. La Municipalité dirigée par J.C. Gaudin a une responsabilité particulière pour avoir facilité l’acquisition en 2004 de cette rue par deux fonds spéculatifs, qui ont chassé des centaines de locataires réguliers et détruit le tissu culturel et commercial comme nous l’avons démontré dans notre enquête de 2015. La ténacité de la résistance des habitants pour le droit à la ville, que nous avons accompagnés depuis 2004, a abouti à ce que près de 500 logements sociaux, pratiquement tous occupés, ont été produits dans le quartier. Mais sur la partie conservée par les foncières et les fonds de pension, selon la recherche-action menée entre 2015-2017 par Un centre-ville pour tous, Aix-Marseille Université et les ENSA, plusieurs centaines de logements ont été subdivisés, transformés en studios meublés pour étudiants et sont inoccupés, du fait des prix élevés que réclament ces fonds. C’est ceux-ci qui devraient être réquisitionnés. La Municipalité s’honorerait en amplifiant le geste de l’État et en mettant en œuvre la réquisition des immeubles vides contenant des logements familiaux, afin de permettre aux familles de vivre dans un logement décent. Il est aujourd’hui certain que des dizaines, voire des centaines de familles vont devoir attendre de longs travaux avant de réintégrer leurs logements. Il y a urgence ! » déplore l’association.
5 mois après le drame de la rue d’Aubagne au centre-ville de Marseille, où 8 personnes sont mortes, les évacuations se multiplient partout dans la ville. Sur les 2 500 personnes délogées au mois de novembre 2018 suite à une mise en péril de leur immeuble, la moitié a réintégré un logement après plusieurs mois passés à l’hôtel.
Cependant, un grand nombre de familles ont dû réintégrer leur appartement toujours insalubre. Une minorité a été relogée dans un autre logement. Le reste des personnes est toujours à l’hôtel, avec des familles vivant dans des conditions difficiles et coûteuses car les repas ne sont plus proposés par la mairie.
La levée de mise en péril émise par la mairie oblige bon nombre d’habitants à réintégrer leur appartement même s’ils jugent qu’il est toujours insalubre et expriment la peur de retrouver des conditions de vie inhumaines. Dans ces cas observés et suivis par la rédaction, suite à quelques travaux réalisés par le propriétaire, le syndic mandate une société qui détermine si les travaux signifiés dans la mise en péril ont été effectués. Dans les cas observés et à retrouver bientôt sur 15-38, les travaux ont été effectués mais ne résolvent pas les problèmes à la source des effondrements de cages d’escalier ou d’étages, d’où la peur des habitants de réintégrer leur appartement. Le propriétaire doit alors par la suite faire vérifier par un expert toute la structure de l’immeuble, mais ce n’est pas toujours le cas. Les familles doivent se battre, engager un avocat pour obliger le propriétaire à tenir compte de la loi.
L’insalubrité est donc peu à peu portée au grand jour. Des familles, des personnes seules, des personnes âgées sortent de l’ombre mais aussi des propriétaires occupants, eux aussi lésés dans cette affaire que notre rédaction suit à différents niveaux.
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