Différence de moyens alloués, privatisation du système, ces facteurs pèsent sur la qualité de l’enseignement et l’égalité d’accès à l’école autour de la Méditerranée.
«Chère école, je t’écris des rives de la Méditerranée. Je suis un écolier, je suis Espagnol, Libanais, Marocain. Cette année, j’ai fait mon entrée à l’école, mais malheureusement, mes chances de réussir ne sont pas les mêmes selon mon origine géographique ou ma classe sociale. J’apprends à dire « ils, nous, vous ». « Je » deviens multiple. Les raisons de ces inégalités, je vais te les compter ».
Le financement de l’école publique est l’un des éléments du système qui doit permettre une égalité d’accès à l’école sans conditions de ressources, de lieux et d’origines. Les expériences libanaises, marocaines et espagnoles nous montrent qu’autour de la Méditerranée, la privatisation de l’école progresse au fil des années, ce qui n’est pas sans conséquences sur l’accès à l’éducation et le niveau des élèves. Dans le même temps, les budgets alloués à l’éducation sont parfois fortement amputés. « L’efficacité d’un système éducatif est liée à celle du système économique et politique dans lequel il s’inscrit», explique le sociologue espagnol Mariano Fernandez. Une efficacité aujourd’hui remise en cause.
Au Maroc, une privatisation galopante
Sur le fronton d’une école perdue dans la campagne marocaine à quelques kilomètres de Tanger, une citation attire le regard : « Quand les enfants ne vont pas à l’école c’est tout un peuple qui ne grandit pas ». L’intention est louable, l’école est en travaux, de nouvelles salles de classes seront bientôt prêtes. Les enfants issus des familles pauvres de la région en uniformes bleus et roses bénéficient du système public dans ce qu’il a de meilleur a offrir. Malheureusement, le royaume semble suivre une dynamique inversée. Au Maroc, la privatisation gagne du terrain, et l’écart entre zones urbaines et rurales tend à s’accentuer. Les conséquences sur les résultats scolaires sont visibles.
Selon un rapport publié par un collectif d’organisations marocaines et internationales, pour la première fois en 2013, il y a avait moins d’élèves inscrits dans l’enseignement public qu’en 2000, au moment de l’introduction de la Charte Nationale pour l’Education.
En 2006, 33% des enfants parmi le groupe le moins avancé (les ménages pauvres en zone rurale) ont atteint un standard minimum de lecture, alors que 75% du groupe le plus avancé (ménages riches en zones urbaines) avaient atteint un niveau international minimum de lecture. Dans la même période, l’écart entre les enfants des ménages urbains riches et les enfants de ménages ruraux riches qui était insignifiant en 2006, a augmenté de 340%.
Derrière ces chiffres, les parents font face à un véritable casse-tête s’agissant de la scolarisation de leurs enfants. Meryem est maman d’un garçon de six ans. Cette année, elle a décidé de déménager dans la ville de Saleh. Son beau-frère lui a parlé d’une école publique de qualité avec un personnel impliqué et des effectifs réduits : « Une denrée rare aujourd’hui. Si on envisage de donner une éducation de qualité, on se trouve vite face à un mur ». Un mur d’abord financier. Jusqu’à présent, elle déboursait 500 dirhams par mois (50 euros) sans compter les frais de transport, de cantines, ou les livres scolaires. Au total, ce sont près de 1 000 dirhams par mois qu’elle va pouvoir économiser. Une somme importante quand on sait que le salaire moyen marocain avoisine les 500 euros. Elle témoigne de la détérioration du système scolaire depuis son enfance : « J’étais scolarisée dans une école publique, et je n’avais pas besoin de prendre des cours de soutien pour rester au niveau ». Pour elle, comme pour ses amis, quand on fait des enfants aujourd’hui au Maroc, on réfléchit d’abord aux coûts que cela va engendrer : « Certaines de mes amies se sont endettées. Moi je le savais, c’est d’ailleurs en partie pour cela qu’aujourd’hui je ne souhaite pas de deuxième enfant ». Un luxe qu’elle ne peut pas se permettre, avoue-t-elle à regret.
Face à ces inégalités, le rapport présenté devant les Nations Unies préconise par exemple de prévoir un pourcentage d’élèves les plus pauvres dans les écoles privées, comme cela peut se faire en Inde, pour réduire ces inégalités, ou encore de réexaminer la redistribution des ressources publiques vers les établissements privés.
En Espagne, la diminution des budgets de l’éducation pèse sur la qualité de l’enseignement
Entre 2008 et 2012, la crise économique a paradoxalement ramené des élèves dans le système public mais le niveau général s’est détérioré car les moyens dédiés à l’éducation ont été revus à la baisse. « Cette crise a entraîné une réduction brutale des dépenses publiques en matière d’éducation, non seulement parce que son budget était élevé mais aussi car dans ce domaine les coupes sont facilitées (notamment le salaire des enseignants, et leur nombre) », explique le sociologue espagnol Mariano Fernandez Enguita.
De plus, l’éducation n’est pas la priorité du gouvernement conservateur de Mariano Rajoy. Mais cette coupe a atteint les deux systèmes, public et privé, et les établissements soutenus par des fonds publics, appelés en Espagne écoles concertées. La rétraction des dépenses publiques a principalement eu, à court terme, l’effet de ramener les élèves de l’école privée à l’école concertée et de l’école concertée au public. A long terme c’est une autre question.
Dans le même temps, les dépenses des ménages ont augmenté. Selon l’Enquête sur le budget des ménages, depuis 2006, année de référence, les dépenses moyennes des ménages en matière d’éducation ont augmenté de 30%, tandis que les dépenses totales moyennes ont été réduites de 7%.
Les conséquences sur le système scolaire sont diverses selon Mariano Fernandez Enguita. Elles passent par la réduction drastique des programmes et initiatives compensatoires, au détriment des secteurs les plus vulnérables, mais aussi par une certaine détérioration des conditions générales dans les classes (augmentation des ratios élèves / enseignant et plus d’heures d’enseignement réelles). Les professeurs ont vu disparaitre certains de leurs privilèges (notamment le droit à la retraite anticipée) et se sentent dévalorisés. Tout cela entrainant un malaise généralisé. D’autant que la stabilité apparente des chiffres entre public et privé masque des changements majeurs dans les flux : l’enseignement public perd des élèves des classes supérieures et moyennes, et reçoit la plupart des élèves des catégories les plus pauvres.
Des inégalités renforcées par l’organisation du système espagnol puisque la gestion de l’éducation est l’une des prérogatives des dix-sept autonomies espagnoles. Des inégalités géographiques persistent. L’accès à l’école privée (sous contrat ou purement privée) augmente dans les grandes villes et au sein des familles les plus favorisées économiquement et culturellement.
Au Liban, l’hégémonie historique du système privé crée une inégalité de fait
Historiquement au Liban, les écoles privées ont été créées avant même l’apparition d’écoles publiques. D’autant que la Constitution libanaise défend un système confessionnel qui favorise le soutien à des écoles confessionnelles plutôt qu’à l’école publique libanaise, explique la sociologue Maïssam Nimer, auteure d’un article sur la situation de l’école publique.
Selon les régions et les moyens alloués, la qualité de l’école publique n’est pas la même. « Le système clientéliste favorise la nomination d’enseignants dans des zones déjà fortement dotées, au détriment de zones délaissées », souligne la sociologue. Tous les employés d’Etat ont droit à des subventions pour la scolarisation de leurs enfants. Les fonctionnaires payent donc les frais de scolarité dans le privé grâce à des subventions de l’Etat. Certaines institutions privées font la même chose.
A Beyrouth, Bachir et Philippine ont dû faire un choix pour scolariser leur fille. Pour Philippine, il était nécessaire de trouver un équilibre entre le coût et la qualité de l’établissement : « Je voulais que l’établissement soit laïc. Une notion encore plus importante à mon sens au Liban. Je voulais aussi pouvoir m’entendre avec les parents d’élèves. Ici, il y a vraiment deux manières de vivre sa « parentalité ». Certains parents sont plus dans une logique consumériste. Les anniversaires par exemple sont hors de prix dès le plus jeune âge. Je ne me reconnais pas trop dans cette tendance ». La part de l’éducation représente 1/8ème de leur budget familial : « La première année m’a coûté plus de 10 000 dollars, tous comptes faits, alors que ma fille était en petite section et que l’école se termine à 13h45. Il faut donc trouver, et financer, une ou plusieurs activités pour « couvrir » les cinq après-midi de la semaine », détaille Bachir. Des frais en nette augmentation. Lui aussi scolarisé dans le même établissement de Beyrouth devait débourser de 3 000 à 3 500 dollars. En une dizaine d’année, les frais ont littéralement doublé.
Ces dernières années, on assiste même à une accentuation de la privatisation. Car si l’école publique gagne des élèves, c’est parce qu’elle scolarise les enfants syriens depuis le début de la guerre en Syrie. Le nombre de Libanais scolarisés dans l’école publique continue lui de baisser, avec 30 000 élèves libanais en moins entre 2015 et 2016.
Dans ce contexte, les stratégies mises en place par les familles mènent à l’endettement. Afin de donner de « bonnes bases » à leurs enfants, les familles s’endettent parfois pour inscrire leurs enfants dans des écoles privées. « Certaines choisissent de ne scolariser qu’un seul de leurs enfants, le plus souvent le garçon », complète Maïssam Nimer.
Et le dilemme ne s’arrête pas après le primaire. Si l’université est encore loin, Bachir refuse pour le moment d’envisager de scolariser sa fille dans la même université que lui, pour des raisons financières mais pas seulement : « Le niveau éducatif et culturel, celui des étudiants et des enseignants, a vraiment reculé au cours de la dernière décennie et risque de reculer encore plus ». Journaliste et observateur attentif de la société libanaise, il reste pessimiste sur l’évolution du système public : « Les écoles au Liban, c’est comme les plages, elles se privatisent et se privatiseront encore plus, tant qu’il n’y a pas d’autorité centrale forte et de notion du public et de l’intérêt commun au sein de la société ».
LIBAN
Les frais d’inscriptions dans le secteur privé sont extrêmement variables tellement ce secteur est diversifié. Les écoles les plus abordables sont les écoles privées subventionnées (600-700 dollars américains de frais de scolarité par année). Les plus chères, comme les écoles américaines ; International College ou American College School demandent des frais de scolarité qui peuvent s’élever jusqu’à 19 000 dollars par an pour l’année 2017-2018. Les prix varient selon les écoles et les régions. Au nord du pays, à la frontière avec la Syrie, certaines écoles privées coûtent 2 700 dollars par an, quand d’autres dans cette même région ou dans la Bekaa et dans le Sud demandent moins de 1 000 dollars par an dans les zones populaires/défavorisées.
À Beyrouth, le privé est, en revanche, plus cher et dont le coût a surtout beaucoup augmenté ces dernières années. Par exemple, au Grand-Lycée Franco-Libanais, principale école du réseau de la Mission Laïque Française, les frais annuels s’élèvent désormais à 6 600 dollars par an (pour tous les niveaux, y compris la petite section). Ces frais n’incluent pas la cantine (qui coûte près de 100 dollars par mois) ni les frais de transport (pour les enfants qui prennent le bus), ni les livres ou diverses activités. Il faut également compter les frais d’enregistrement durant la première année (2 600 dollars).
MAROC
Au Maroc, le coût d’une école privée varie entre 70 et 700 euros par mois. Les frais de scolarité dans une école privée internationale peuvent dépasser les 4 200 euros annuels, alors que le salaire moyen marocain avoisine les 500 euros.
ESPAGNE
L’éventail des prix en Espagne est très large. Une école strictement privée peut facturer 1 000 euros par mois pour un forfait qui comprend un ensemble de services et de ressources, mais ces écoles privées représentent à peine 6% des étudiants. Dans le système concerté, les prix peuvent aller de zéro à plusieurs centaines d’euros selon les établissements.