Si les sociétés civiles de la Méditerranée semblent prendre conscience des enjeux liés à la pollution, les pouvoirs publics ne sont pas toujours attentifs aux expertises venues des associations. Exemple, sur l’île de Djerba en Tunisie.
Chiara Loschi
Chercheuse postdoctorante CNRS auprès de l’Institut de Recherche sur le Maghreb Contemporain, Tunis, Projet EUNPACK
Le contexte de la transition politique tunisienne montre la nécessité d’une collaboration entre acteurs locaux dans la gestion vertueuse de la collecte des déchets et stockage. Dans la période chaotique qui a suivi la chute du régime tunisien en 2011, les citoyens et les travailleurs des décharges et municipalités ont entamé des actions collectives en raison des conditions de santé et de travail dans la chaine de la collecte des ordures. Au cours de la transition politique tunisienne, la question de l’environnement a montré une forme d’activisme qui a marqué une nouvelle étape dans la participation politique tant au niveau national qu’au niveau local.
Dans ce pays, les manifestations environnementales ont participé à la tension dialectique entre les institutions nationales et les administrations locales, en faisant partie des compétences municipales. En outre, la nouvelle constitution ratifiée en janvier 2014 comprend un ensemble de principes liés à la protection de l’environnement, donnant au développement durable une reconnaissance formelle sans précédent, un fait qui confirme la pertinence des soulèvements populaires et la mobilisation autour de l’environnement.
Cependant, les mobilisations ont eu un impact politique limité au moins sur l’élaboration des politiques. Les gouvernements continuent de compter sur les gouverneurs et les représentants des administrations locales. En outre, les différents ministres de l’environnement se sont engagés simplement dans des solutions à court terme pour survivre à l’instabilité gouvernementale. En comparaison aux problèmes de sécurité, aux exigences en matière de justice sociale et aux mobilisations de jeunes chômeurs, les manifestations environnementales représentaient pour les gouvernements de transition une préoccupation secondaire.
Après la révolution, la gestion des déchets est devenue irrégulière. Les protestations environnementales se sont développées à partir d’ouvertures politiques sans précédent, par lesquelles les acteurs sociaux et politiques ainsi que les citoyens ordinaires ont commencé à organiser des manifestations dans les principales villes tunisiennes. Ces formes d’activisme ont vu des phases de protestation radicalisée évoluer vers des moments pacifiques de mobilisation, même s’ils ne se sont pas développés comme un mouvement environnemental unique.
L’exemple de la décharge de Guellala à Djerba
Un cas intéressant se situe à Djerba. Ici, en 2012 est déclenchée une crise dans la gestion de déchets qui a amené à la démission générale du conseil municipal temporaire de Homt Souk en 2014. En 2012, des citoyens ont attaqué la décharge de l’île située à Guellala en raison des odeurs et des soucis de santé des citoyens, et des affrontements avec la police ont suivi. En janvier 2014, les trois conseils temporaires locaux de l’île (Homt Souk, Ajim et Midoun) avaient l’espoir de réouvrir les négociations avec les institutions nationales et trouver une solution au problème du traitement et du stockage des déchets. Sans surprise, des émeutes ont repris alors que les citoyens refusaient toute construction de décharge sur l’île. Cependant, même les membres du conseil de la ville avaient des opinions divergentes sur les raisons des manifestations. L’ancien président du conseil temporaire affirmait qu’il s’agissait d’une dictature des citoyens qui a aggravé la situation. Le porte parole, par contre, estimait nécessaire la collaboration avec les citoyens et accusait le comportement des institutions nationales et des ministères qui entravait le décollage des négociations et de l’implantation d’une nouvelle décharge moderne et à norme.
L’association Djerba, Authenticité, Patrimoine et Environnement
En même temps, d’autres initiatives, venue du bas, ont émergé. Par exemple, une association active à l’époque était appelée « Djerba, Authenticité, Patrimoine et Environnement ». Le réseau a été fondé en 2014 par des anciens amis et camarades qui, lors de la crise environnementale, ont décidé de réorganiser la collecte locale des ordures dans leurs quartiers respectifs. Ils ont cherché à sensibiliser les citoyens et les clients des hôtels, car certains d’entre eux étaient directeurs d’hôtel, dans le but d’améliorer la situation environnementale.
Ils ont inclus dans leur réseau de petits entrepreneurs qui fournissaient des conteners en acier, en tôle et en plastique à des quartiers et des hôtels, grâce à quoi l’association a introduit la collecte et le recyclage des bouteilles en plastique. Ils ont vendu les déchets plastiques au bureau local de la société nationale de gestion des déchets. Les membres ont rencontré des difficultés à organiser le recyclage des bouteilles car, d’après eux, les citoyens n’étaient pas disposés à accepter de nouvelles cages à côté des logements et des lieux d’activités économiques. Cette initiative a provoqué des évènements inquiétants : l’un des membres, un directeur d’hôtel, a également affirmé qu’il a vu ses cages incendiées pendant la nuit, acte qu’il a interprété comme « une menace parce que quelqu’un ne veut pas voir la situation changer ».
Néanmoins, l’association a poursuivi ses activités en tant qu’association de service dans la collecte des plastiques, sans aucun relation avec les autorités locales, pas même après la nomination des nouveaux conseils.
Le contexte politique tunisien montre à plein titre comment la mauvaise coordination parmi acteurs est source de mauvaise gestion du service de la collecte ayant des mauvaises conséquences pour l’environnement.
Néanmoins, l’histoire de gestion autoritaire du pouvoir dans le pays ne peut pas créer les conditions favorables pour la collaboration dans un bref délai. Cela est un travail de longue durée qui ne peut qu’arriver après l’acceptation des règles de la participation collective et de la gestion partagé du processus de décision politique.
Bio :
Chiara Loschi est chercheuse postdoctorante CNRS auprès de l’Institut de Recherche sur le Maghreb, Tunis, pour le projet éuropéen EUNPACK « Good intention mixed results – A conflict sensitive unpacking of the EU comprehensive approach to conflict and crisis mechanisms project ». La recherche porte sur les réponses locales à la gestion de crise de l’UE en Libye. Elle est titulaire d’un doctorat en sciences politiques et relations internationales (Université de Turin, Italie) qui analyse les conséquences indirectes des projets internationaux dans la gestion des déchets et des réformes du gouvernement local en Tunisie. Ses recherches portent sur la démocratisation et la promotion de la décentralisation et la gestion des conflits dans le monde arabe. Elle a mené des travaux de terrain en Libye en 2010 (Tripoli) et en Tunisie à partir de 2013. Elle a été boursière à l’Université de Yale dans le cadre du programme Gouvernance et développement local en 2015.