En Syrie et à ses portes, les enfants syriens sont vulnérables. Les trois principaux pays d’accueil, la
Turquie, le Liban et la Jordanie comptabilisent 5 millions de réfugiés dont la moitié sont des
enfants. Le Liban et la Jordanie sont loin d’avoir les ressources nécessaires et suffisantes pour les
prendre en charge. Privés de leurs droits primaires, l’accès à l’éducation reste pour eux incertain.
Au cœur de la Syrie, dans les zones de conflit, c’est parfois la peur au ventre que les enfants tentent de rejoindre des lieux cachés où ils peuvent recevoir encore un cours de maths ou d’arabe, leurs écoles ont été détruites par les bombardements syriens et russes, ou ont été transformées en dépôts militaires ou en lieux d’accueil des populations. Les écoles publiques fonctionnent toujours, dans les zones épargnées par les combats et contrôlées par l’armée syrienne comme à Damas mais les risques d’attaque venant des banlieues en guerre restent élevés. D’après les récents chiffres de l’agence onusienne pour la défense des droits des enfants, l’UNICEF, 6 millions d’enfants à l’intérieur de la Syrie ont besoin d’une aide humanitaire, ce chiffre représente presque la totalité des enfants vivant dans le pays, ils seraient 8 millions.
Sur place, les volontaires et les salariés syriens de l’UNICEF poursuivent leurs actions éducatives mais seulement là où le régime syrien les autorise. Ailleurs au milieu des ruines ou dans les localités proche des fronts, les civils, réunis au sein des comités de défense civile, s’organisent pour apporter de l’aide humanitaire, soigner les blessés et s’occuper des enfants. Déterminés à ne pas les laisser seuls face au cauchemar de la guerre, ils construisent et initient des projets là où ils peuvent.
Là s’improvisent alors des pièces de théâtre, des jeux, des temps de chants, de dessin mais aussi des cours d’arabe, de science, de maths. Tout le monde s’y met d’après un habitant d’Alep venu récemment en France témoigner.
Un peu plus à l’ouest dans la région d’Idleb, les initiateurs du projet Magic Caravan, tentent de poursuivre leurs activités dans plusieurs villes du pays. Ces transmetteurs d’espoir distribuent des sourires et sont vaillants aux épreuves de la guerre. Dans de petites maisons mobiles faites de bric et de broc mais toujours colorées et situées à l’abri des bombardements, ils invitent les enfants à venir s’y réfugier, suivre des cours, jouer, réapprendre à sourire, se reconstruire un peu. Leurs familles y sont invitées elles aussi. D’après l’un des initiateurs du projet, Khaldoun Batal, l’éducation en Syrie est un véritable rempart contre la militarisation de la jeunesse, parfois contrainte de rejoindre les rangs des multiples groupes armés présents sur le territoire syrien. (voir photos et article dans le dossier Syrie).
Ces projets éducatifs sont de petites gouttes dans l’océan mais permettent de soulager les traumatismes de guerre très présents chez toute cette génération d’enfants qui représentent la moitié de la population syrienne.
D’abord se nourrir, étudier ensuite
Loin de la situation turque et jordanienne où dès le début de l’arrivée des syriens, les États ont construit des camps formels, l’État libanais, lui, n’a pas reconnu le statut de réfugié aux syriens, laissant cette tâche à l’UNHCR (le haut commissariat aux réfugiés) chargé des les enregistrer. Il a toujours refusé d’ériger des camps. Les syriens enregistrés comme réfugiés sont 1,001,051 au Liban. Éparpillés aux quatre coins du pays, ils vivent dans des maisons, des appartements, des garages, et dans des camps informels qu’ils construisent eux-mêmes dans les campagnes. Les ONG internationales et locales ont bien du mal à localiser et à identifier les besoins et à pérenniser leurs programmes d’aide. Cette situation est de plus en plus visible en Jordanie où 80% des réfugiés vivraient désormais hors des camps pour tenter de trouver un travail. En tant que réfugiés, ils ont droit à une petite aide mensuelle du HCR qui couvre uniquement la nourriture. Les familles qui doivent s’acquitter d’un loyer, comme c’est généralement le cas hors des camps et majoritairement le cas au Liban, peinent à joindre les deux bouts, et donc choisissent parfois d’envoyer leurs nombreux enfants, travailler dans les champs au Liban ou dans les entreprises de textiles en Turquie (à destination de nos grandes marques européennes).
«Être mineur est une vulnérabilité » confie Tina Fayçal, qui travaille pour l’ONG Caritas Liban « on les reçoit dans des centres et on aide les enfants à retrouver le chemin de l’école, les situations varient, certains sont orphelins, d’autres sont obligés de travailler pour subvenir aux besoins de la famille, ou souffrent de graves troubles psychologiques et physiques, dus aux traumatismes de la guerre ». L’absence d’accès à l’éducation est un grand risque pour les enfants syriens réfugiés. Tina Fayçal poursuit « S’il n’y a pas de possibilité de scolarisation, il faut aider financièrement les familles et trouver des activités pour ces enfants sinon ils sont exploités par les employeurs, pour les filles mineures c’est le risque d’un mariage précoce, on a également détecté des cas d’abus sexuels » dans tous les cas les parents n’osent pas porter plainte. En Jordanie, les mariages de mineures syriennes avec des étrangers, union arrangée avec la famille, sont fréquents dans le camp de Zaatari. Certaines ONG ont également reporté de nombreux cas de prostitution pour subvenir aux besoins de la famille et cautionné par certains de ses membres dans les différents pays d’accueil.
Génération perdue ?
Face à cette urgence en 2014, l’Unicef a lancé la campagne « No lost generation »-pas de génération perdue- afin d’aider les pays d’accueil à scolariser les enfants syriens qui sont parfois plus nombreux dans certains villages que les locaux. Les États, libanais, turcs et jordaniens ont ouvert les portes de leurs écoles publiques depuis 2015. Les enfants syriens peuvent suivre les programmes locaux mais qui sont parfois revisités et adaptés à leur niveau. Ils sont encadrés par des professeurs notamment syriens au Liban. Mais d’après le ministère de l’éducation libanais, en 2017 seuls 194 000 enfants syriens suivent ce programme sur plus 500 000 enfants présents au Liban. La Turquie s’est félicitée d’avoir scolarisé 500 000 enfants sur les 1,2 millions qu’elle compte et le meilleur élève est la Jordanie qui a scolarisé plus de 150 000 enfants syriens sur environ 240 000. La vulnérabilité est donc étendue et prégnante pour plus d’un million d’enfants syriens dans les principaux pays d’accueil sans compter les milliers d’enfants syriens ayant trouvé refuge avec leurs familles en Irak, en Égypte ou au Maghreb. La fragilité socio-économique et parfois sécuritaire de ces pays d’accueil freine l’accès aux soins, aux besoins primaires et à l’éducation des nombreux syriens réfugiés.
Au milieu des campements de fortune il n’est cependant pas rare d’entendre des voix d’enfants en train de chanter ou de réciter des textes en arabe. C’est toute la mission des différentes associations syriennes, libanaises, turques, jordaniennes et internationales sur le terrain qui travaillent sans relâche pour poursuivre l’éducation de ces jeunes ressources privées d’école. Ils improvisent la construction de lieux, des sortes de préfabriqués ou des tentes, souvent tenus et animés par des professeur-e-s syrien-ne-s et des volontaires syrien-ne-s en formation. Au Liban ces lieux d’éducation informelle sont pour de nombreux parents bien plus rassurants que les écoles publiques libanaises parfois situées à plusieurs kilomètres de leur lieu de vie. Le coût du transport et la vulnérabilité des enfants syriens réfugiés sur les routes font renoncer les familles au pari d’une re-scolarisation de leurs enfants. Ce contexte que l’on retrouve en Jordanie et en Turquie éloigne enfants et adolescents syriens de leur objectif d’étudier un jour à l’université. L’éducation reste en effet un bon passeport pour leur intégration et pour construire leur avenir. Si certains rêvent d’aller reconstruire leur pays la Syrie, d’autres y ont renoncé avec beaucoup de peine logée dans leur cœur.