En Cisjordanie, les palestiniens luttent pour garder leurs écoles

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Mis à jour le 17/10/2020 | Publié le 28/09/2017

Menacées par la politique de démolition du gouvernement israélien, les communautés rurales de Cisjordanie tentent de préserver le droit à l’éducation de leurs enfants malgré tout.

Pendant des années, les enfants du village de Jib al-Dhib, un hameau de 162 âmes perché sur les collines du sud de la Cisjordanie, devaient traverser le terrain escarpé pour aller à l’école, faisant face à la météo changeante, aux chiens errants, et aux colons israéliens. « L’année dernière j’allais dans une autre école » à une heure de marche de là dans le village de Beit Ta’mar, raconte Abd al-Rahman, un petit garçon de neuf ans avec une coupe au bol et un sourire espiègle. « Le chemin était long et poussiéreux. » En plus du danger bien réel, de harcèlement ou de violence, s’ils croisent des israéliens vivant dans la colonie adjacente de Nokdim, d’autres enfants de Jib al-Dhib évoquent les remontrances des institutrices et les moqueries d’autres élèves s’ils arrivaient à l’école avec des vêtements salis par le trajet.

Suite à des mois d’efforts, de la part des femmes du village et des organisations internationales présentes sur le terrain, une petite école avait été construite pas loin de Jib al-Dhib pour desservir 80 jeunes enfants de cette région rurale. L’inauguration de l’école devait avoir lieu en grande fanfare le 23 août 2017, juste à temps pour le début de l’année scolaire. Mais la nuit précédente, l’armée israélienne a détruit le bâtiment, ne laissant que les toilettes et les fondations. « Venir démolir une école le jour avant la rentrée n’a pour but que de nuire le plus possible à une communauté, » s’insurge H, un activiste palestinien qui travaille sur de nombreux projets éducatifs, dont la construction de l’école de Jib al-Dhib. Quelques jours plus tôt, les forces israéliennes avaient démoli une école maternelle à Jabal al-Baba, ainsi que confisqué des panneaux solaires qui représentaient la seule source d’électricité pour une école primaire et une école maternelle à Abu Nuwar. Là vivent deux communautés bédouines, non loin de Jérusalem dans la Zone dite E1 (voir encadré ci-dessous). Dans cette zone, le gouvernement israélien veut étendre ses colonies alors que le droit international l’interdit.

Le motif de ces démolitions, comme la plupart de celles effectuées dans le territoire palestinien est principalement lié au fait que les bâtiments n’avaient pas reçu de permis de construire israéliens obligatoires pour tout projet palestinien en Zone C, sous contrôle israélien – les 62% de la Cisjordanie sont sous le contrôle total de l’armée israélienne – mais quasiment impossibles à obtenir. Ces restrictions affectent sérieusement la qualité de vie de près de 300,000 palestiniens habitant en Zone C, dans des communautés principalement rurales qui souffrent du manque d’accès à l’eau, à l’électricité et à l’éducation, et qui se plaignent de l’inaction de l’Autorité palestinienne pour améliorer leur situation.

L’accès à l’éducation pris en otage

« Cela ne nous a pas étonnés qu’ils démolissent l’école », confie Fadia al-Wahsh, qui dirige une association de femmes à Jib al-Dhib, ajoutant que, depuis des années, le village subit la pression des colons de Nokdim, où habite le ministre de la défense israélien Avigdor Lieberman. « Ceci est une politique de déplacement forcé. Que peuvent-ils vouloir d’autre lorsqu’ils nous privent de tout, d’électricité, d’eau, d’éducation, et même de routes? ». D’après une déclaration du Bureau de la Coordination des Affaires Humanitaires de l’ONU (OCHA) en septembre 2017, le droit à l’éducation d’un million d’enfants dans les territoires palestiniens occupés – en Cisjordanie, à Jérusalem Est et à Gaza – serait menacé, un chiffre presque équivalent au nombre total d’enfants palestiniens scolarisés en 2013 qui était de 1,151,702 élèves du primaire au lycée. Il s’agit du dernier chiffre donné par l’ONU en matière de scolarisation.

En Cisjordanie, l’OCHA déplore les ordres de démolition ou de suspension de travaux imposés actuellement contre au moins 56 écoles en Zone C, ajoutant que 256 violations contre des écoles ou contre des organisations éducatives palestiniennes avaient été répertoriées en 2016, augmentant le taux de décrochage scolaire. A Jib al-Dhib, un groupe d’activistes a reconstruit l’école en l’espace d’une nuit. Depuis, une soixantaine d’élèves assistent aux cours dans le local bâti à la hâte, avec la peur constante que l’école – baptisée Tahadi, « Défi » – soit à nouveau démolie. « Zohar, le gardien de sécurité de Nokdim, est toujours en train de nous surveiller du haut de la colline », raconte le petit Abd al-Rahman. « Je pense qu’ils vont venir démolir l’école, mais je ne le veux pas ».
Selon H, l’activiste palestinien, l’accès à l’éducation est utilisé par le gouvernement israélien comme un outil de pression parmi d’autres pour prendre le contrôle de certaines régions de la Cisjordanie perçues comme stratégiques, dont la Zone E1 ou la vallée du Jourdain. « Israël cible tous les aspects de la vie palestinienne, y compris les écoles », note-t-il, « L’époque où l’on mettait les Palestiniens dans des camions et on les emportait loin est passée, mais aujourd’hui, on assiste à la création d’un environnement coercitif qui est de moins en moins supportable pour les palestiniens, et qui est fait pour qu’ils partent ». Malgré tout, les palestiniens résidant en Zone C (contrôlée par l’armée israélienne) expriment leur détermination à rester sur leurs terres et à y assurer l’avenir de leurs enfants. « Plutôt que d’avancer sur n’importe quel autre projet qui aurait sûrement plus aidé le village financièrement parlant, nous avons choisi la construction d’une école, pour nos enfants et les générations futures», affirme Fatima al-Wahsh, une des mères de famille de Jib al-Dhib. « L’école est une nécessité, nous sommes fiers d’avoir réussi à la construire. Peu m’importe s’ils démolissent l’école, nous la reconstruirons. »