A 3 500 kilomètres de la Syrie, l’Algérie, la Tunisie et le Maroc semblent soutenir Bachar Al Assad. Mais les six années de crise ont mis en exergue les divergences maghrébines.
Damas, le 25 avril 2016. Abdelkader Messahel, ministre algérien des Affaires maghrébines et africaines, rencontre Bachar Al Assad et exprime «le soutien de l’Algérie au peuple syrien dans sa lutte contre le terrorisme». Quelques semaines plus tôt, Walid Mouallem, le chef de la diplomatie syrienne, était reçu à Alger. En six années de guerre, l’Algérie a été le seul pays arabe à ne pas rompre ses relations diplomatiques avec la Syrie.
Les deux pays sont proches. Ils partagent d’abord une histoire commune. La Syrie a accueilli l’émir Abdelkader et ses hommes qui venaient chercher refuge après l’arrivée de la France colonisatrice sur le territoire, au début du 19e siècle. Après la prise de pouvoir de Hafez al Assad, l’ancien président Nourredine Al Atassi se réfugie en Algérie, où il décède en 1992. Pendant les années 1960 et 1970, la Syrie et l’Algérie sont des piliers du monde arabe, un monde rassemblé sur la question palestinienne, le non-alignement et l’anti-impérialisme. En 1974, le président algérien Boumédiène déclare au président américain Nixon, à propos des relations diplomatiques gelées avec les Etats-Unis : «Nous préférons rester du côté de nos frères syriens. Nous adhérons à tout ce que l’Egypte, la Syrie et la Palestine peuvent accepter». En 1977, les deux pays fondent le «Front de la fermeté», pour protester contre le voyage du président égyptien Anouar al Sadate en Israël.
Solution politique
Cette proximité n’empêche pourtant pas les divergences. «Le processus de Taëf nous avait valu des inimités en Syrie, parce que cela promouvait l’idée de la souveraineté du Liban. Et pendant les années 1980, la Syrie servait de refuge aux Algériens qui partaient en Afghanistan. Donc nos relations diplomatiques n’étaient pas au mieux», nuance Abdelaziz Rahabi, ancien ambassadeur algérien et porte-parole du gouvernement en 1998-1999. Au début du conflit, l’Algérie s’abstient lorsque la Ligue arabe veut voter des sanctions contre Damas. Officiellement, les diplomates algériens soutiennent «un processus politique de sortie de crise», comprendre, des négociations pour un «règlement pacifique de la question». Comme elle le répète pour le Mali et la Libye, l’Algérie refuse tout ingérence et toute intervention militaire étrangère et insiste sur le risque terroriste. «Lorsque l’Algérie dit : je n’interviens pas, ça veut dire : je ne suis plus dans le coup, estime Slimane Zeghidour, journaliste et spécialiste du monde arabe. Lors de la guerre du Kippour, l’Algérie a financé des opérations en Egypte. Pour la guerre des Six jours, elle a envoyé des bataillons. En 1988, elle a payé pour l’organisation du sommet de l’OLP à Alger. Cette fois, il n’y avait pas plus d’enjeu que la proximité historique. Le pays est trop loin et les échanges économiques entre la Syrie et l’Algérie sont insignifiants». Abdelaziz Rahabi préfère de son côté parler de «prudence» algérienne : «Les puissances régionales se sont impliquées dans ce conflit, les intervenants étrangers se sont démultipliés et il y a beaucoup d’intérêts très différents en jeu».
Moncef Marzouki rompt les relations diplomatiques
Tunis, 1er février 2012. Après l’attaque contre la ville de Homs, Moncef Marzouki, président de la République tunisienne, décide de rompre les relations diplomatiques entre les deux pays et l’annonce sur Facebook : «La Tunisie, qui condamne depuis plus de neuf mois les crimes commis par le régime syrien contre le peuple frère de Syrie croit que cette tragédie ne prendra pas fin avant que le régime de Bachar al Assad renonce au pouvoir pour ouvrir la voie à une transition démocratique qui assure la sécurité au peuple frère de Syrie La Tunisie annonce de plus l’ouverture d’une procédure d’expulsion de l’ambassadeur de Syrie en Tunisie et le retrait de toute reconnaissance du régime au pouvoir à Damas». Quelques mois plus tard, la première réunion des «Amis de la Syrie» est organisée près de Tunis. Le président y affirme son opposition à toute intervention militaire étrangère en Syrie. Mais la Tunisie vit ses propres bouleversements politiques et son initiative diplomatique s’arrêtera là.
Rabat, 16 décembre 2016. Les autorités marocaines annoncent qu’elles invitent le président russe Vladimir Poutine pour une visite d’Etat. Quelques jours plus tôt, la déclaration du chef du gouvernement marocain Abdelilah Benkirane, qui avait critiqué l’intervention armée de Moscou en soutien au président syrien Bachar al Assad, avait provoqué un incident diplomatique. «Pour le Maroc, il n’y a pas d’enjeu national dans la question syrienne. Il a épousé la position des monarchies du Golfe», résume Slimane Zeghidour.
Des opinions sensibles à la question palestinienne
A Tunis, on s’inquiète désormais de la question des djihadistes partis combattre en Syrie et qui pourraient revenir au pays. Le parti Nida Tounès, au pouvoir depuis 2014, laisse entendre qu’il est prêt à rétablir les relations avec la Syrie. Un consulat ouvre à Damas en juillet 2015. Fin 2016, une vingtaine de partis politiques et d’associations de la société civile manifestent et réclament le rétablissement des liens diplomatiques avec la Syrie. «Ces critiques ont surtout un objectif interne, souligne un observateur. C’est une manière de critiquer le bilan diplomatique des Islamistes du gouvernement Ennahda».
Si les trois pays du Maghreb ont une position politique différente, leurs opinions publiques ont des avis similaires. De manière générale, l’anti-impérialisme et l’anti-sionisme font que les habitants du Maghreb sont critiques envers l’intervention militaire étrangère en Syrie. «A la veille de la guerre en Irak, il y avait des manifestations à Casablanca, à Alger, à Tunis. Je n’ai vu aucune manifestation de soutien à la Syrie ces cinq dernières années, estime Slimane Zeghidour. Le fait qu’il y ait une guerre Hamas-Fatah, le fait qu’Israël soigne Jabhat al Nosra, et que le Hezbollah combatte Daech, c’est une redistribution incroyable. L’anti-sionisme et l’anti-impérialisme ne suffisent plus à unir les opinions».