« Ce qu’immigrer veut dire, idées reçues sur l’immigration ». C’est le titre de la recherche menée par le sociologue Smaïn Laacher dans laquelle il reprend les idées reçues sur l’immigration et déconstruit les modèles idéologiques bien ancrés dans notre société. Ces idées sont souvent à la source du rejet de l’étranger formulé par certaines tranches de la population et par les politiciens à l’idée de devoir accueillir les réfugiés qui arrivent en Europe, étape ou destination finale de leur long périple migratoire.
Voici une sélection parmi les multiples « Idées reçues » abordées dans le livre et discutées avec le sociologue :
Idée reçue 1 : « Une politique d’immigration laxiste provoque forcément un appel d’air »
Extrait :
« Ils cheminent jusqu’aux confins de la terre, à droite et à gauche. Et quand enfin ils auront atteint la mer, ils continueront à aller de l’avant ». (Martinez Ruben, La frontera. L’Odyssée d’une famille mexicaine, 2004). Cette phrase traduit parfaitement la nouvelle configuration de l’immigration et de l’immigré sans place ni statut dans le monde. Dont la France. Ces populations étrangères, de partout et de nulle part, sont dépourvues de toute assignation juridique et leur particularité sociologique est de constituer des groupes qui en droit et en fait, ne doivent pas parler et doivent rester invisibles. »
Idée reçue 2 : « La France et l’Europe sont devenues de vraies passoires. »
Extrait :
« Au delà de cette vocation première, il n’est pas illégitime de se demander pourquoi les États se concentrent, d’abord et prioritairement à l’aide de la technologie, de la police et du droit, sur la surveillance et le contrôle des frontières européennes pour stopper l’immigration clandestine. Sans aucun doute parce qu’il serait trop aléatoire de parier, à court ou à moyen terme, sur une redéfinition des rapports économiques, politiques et géographiques entre pays riches et pays pauvres. »
Idées reçue 3 : « Les mouvements migratoires remettent en cause les identités nationales »
Extrait :
« Tant qu’il y aura des nations, il y aura des migrants. Qu’on le veuille ou non, les migrations continueront car elles font partie de la vie. Il ne s’agit donc pas des les empêcher, mais de mieux les gérer et de faire en sorte que toutes les parties coopèrent davantage et comprennent mieux le phénomène. Les migrations ne sont pas un jeu à somme nulle. C’est un jeu où il pourrait n’y avoir que des gagnants. » (Kofi Annan, Le Monde, 9 juin 2006).
« Dans le texte intitulé « Vers la paix perpétuelle » écrit par Emmanuel Kant en 1975, que nous dit-il ? Que la terre appartient à tout le monde et qu’elle peut être visitée sans aucune restriction, « en vertu du droit de la commune possession de la surface de la terre. » La commune possession de celle-ci ne se traduit non par une hospitalité aléatoire ou conjoncturelle, qui dépendrait du bon vouloir de l’occupant des lieux, mais par un droit de visite que l’étranger pourrait réclamer tout naturellement, en tant que citoyen du monde. Ce droit de visite ne l’autorise nullement, ajoute Kant, et cette précision est capitale, à prétendre à un droit de résidence. »
Idées reçue 4 : « Le printemps arabe a provoqué un afflux de migrants sans précédent en Europe, on ne peut pas accueillir toute la misère du monde».
Extrait :
« Celles et ceux qui ont réussi à quitter leur pays ont trouvé, comme c’est très souvent le cas, refuge dans le pays le plus proche, qui est en fait un pays voisin dans un espace international relativement restreint. On ne peut donc pas dire qu’il y a eu « partage du fardeau » selon le vocable en cours dans les instances européennes. Les plus riches se sont déchargés sur les plus faibles d’un fardeau très encombrant, celui d’immigrés fuyant la violence, la persécution et l’arbitraire. Nombreuses ont été les associations nationales et internationales des droits de défense des droits de l’Homme à avoir, très justement, mis en garde les occidentaux et l’Union Européenne sur leur attitude à l’égard des migrants en terme de droit de l’homme et de droit des réfugiés (convention de Genève). A cet égard, de nombreux migrants qui quittent leur pays illégalement pour l’Europe, ne parviennent jamais à destination disparaissant en mer. »
15-38 : Pourquoi avoir mené une recherche sur le sens « d’immigrer »?
Smaïn Laacher : Ce livre je l’ai écrit car il me semblait important de déconstruire un certain nombre de convictions assez souvent infondées et dans le même mouvement de donner des armes à ceux dont l’activité professionnelle et militante a une partie liée à l’immigration.
Mon propos n’est pas de prendre parti « pour ou contre l’immigration », mon propos c’est de regarder au plus près la vérité des choses et d’éclairer d’avantage des phénomènes comme l’immigration et l’émigration, toujours perçus et discutés avec passion et toujours discutés dans une logique binaire ou on est pour ou on est contre.
C’est la nécessité d’éclairer d’avantage ou de contribuer après d’autres, avec d’autres, d’éclairer les pratiques et les décisions que les uns et les autres peuvent prendre dans la perspective d’améliorer la conditions des personnes.
Il est étudié en classe, parce que j’ai pensé à la population scolaire c’est pour ça que j’ai essayé d’être aussi le plus concis et pédagogique que possible parce que je pense que la population scolaire est une population de jeunes qui vont grandir et peut être se retrouver à des positions stratégiques et qui auront à réfléchir, à comprendre et à prendre des décisions dans ce domaine c’est un pari sur l’avenir et sur l’intelligence des jeunes qui liront ce bouquin. »
Smaïn Laacher est Sociologue, professeur de sociologie à l’université de Strasbourg, Chercheur associé à l’INED (l’institut national d’études démographiques) à Paris, Chercheur associé au centre d’étude des mouvements sociaux, un laboratoire de l’institut Marcel Monce rattaché à l’école des hautes études en sciences sociales (EHESS).