France-Algérie : Accords de 1968, de quoi est-il question ?

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Publié le 25/03/2025
Le 26 février 2025, le Premier ministre français, François Bayrou annonce que si Alger n'accepte pas sur son territoire une liste prédéfinie de ressortissants algériens que la France souhaite expulser, alors Paris dénoncera l'accord de 1968 entre les deux pays, qui encadre les migrations entre les deux pays. De quoi s'agit-il ?

Paris reprochait déjà à Alger de ne pas avoir accepté sur son territoire, un homme algérien surnommé « Doualemn » sur les réseaux sociaux, que la France a souhaité expulser le 9 janvier dernier. L’homme, accusé d’avoir appelé à la violence contre un autre Algérien via son compte TikTok suivi par plus de 100 000 personnes, avait été placé en centre de rétention. Depuis, il a été libéré et condamné par la justice à 5 mois de prison avec sursis pour « provocation non suivie d’effet à commettre un crime ou un délit ».

Mais les reproches des autorités françaises se sont amplifiés après une attaque au couteau le 22 février à Mulhouse : un personne a été tuée, 6 autres blessées, par un homme algérien de 37 ans sous le coup d’une obligation de quitter le territoire (OQTF). Selon les autorités françaises, cet homme avait été expulsé par la France, mais l’Algérie aurait refusé de l’accueillir sur son territoire.

La possible remise en cause des accords de 1968 par le Premier ministre français,  (déclaration, qui, selon la presse française, est une « maladresse » ) suit d’autres déclarations au champ lexical belliqueux du ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau. Au fil des jours, après avoir déclaré à la presse que la France était « humiliée », il évoque des »provocations » et une « riposte »  avant de se réjouir d’avoir « engagé le rapport de force avec l’Algérie». 

Remettre sur la table les accords de 1968 serait donc la solution de fermeté. Même si le président Emmanuel Macron a nuancé les propos de son premier ministre, il estime lui aussi important de négocier des aménagements dans ces accords.  Mais de quoi parle-t-on ?

D’où viennent ces Accords de 1968 ? 

« A partir de l’Indépendance en 1962, les Accords d’Evian permettent que les Algériens en possession d’une carte d’identité aient le droit de circuler librement entre la France et l’Algérie. L’instauration d’une liberté de circulation après une indépendance est quelque chose d’assez classique dans les décolonisations que l’on retrouve dans les pays du Commonwealth par exemple », explique à 15-38 Méditerranée Baptiste Mollard, chercheur associé au CESDIP et auteur d’une thèse sur l’encadrement de la migration de travail entre l’Algérie et la France de 1955 à 1973. 

A partir de 1964, Paris et Alger négocient des accords pour encadrer les migrations de travail : tous les 6 mois environ, des commissions fixent un quota de travailleurs autorisés à aller travailler en France. « Mais ces mesures impliquent un contrôle sanitaire à l’entrée sur le territoire français, au cours duquel ont lieu des traitements discriminatoires », explique Baptiste Mollard. C’est dans ce cadre qu’a été créé le centre de rétention d’Arenc.

Les autorités algériennes souhaitent alors mettre fin à ces mauvais traitements, et les autorités françaises, elles, souhaitent réguler la circulation de tous les Algériens. Et c’est ce qui est acté dans ces accords « relatif à la circulation, à l’emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles » signés en décembre 1968.

« A l’époque de l’Indépendance, il était inenvisageable pour la France de rompre les liens avec l’Algérie, analyse Baptiste Mollard. Dans les archives, on constate que la question de la régulation de l’entrée des travailleurs algérien n’est pas le sujet premier de préoccupation des discussions diplomatiques. Il y a d’abord les hydrocarbures. Et puis l »intérêt pour la France est de conserver un statut favorable pour les ressortissants français qui restent en Algérie, mais aussi d’éviter que l’Algérie se tourne trop vers le bloc soviétique ».

Que permettent ces accords aux ressortissants Algériens ? 

Les Accords de 1968, qui ont été amendés à trois reprises, donnent un statut différent aux ressortissants algériens en termes de règles de séjour. Le titre de séjour ne possède pas le même nom que pour les autres étrangers et s’intitule « certificat de résidence ». Un ressortissant algérien peut, dans certains cas comme celui du mariage avec un.e ressortissant.e français.e, obtenir une carte de résidence de 10 ans, après une première carte d’une année. Les étrangers des autres nationalités doivent, eux, justifier de 5 années de résidence avant de bénéficier de cette carte. Mais à l’inverse, un étudiant ressortissant algérien n’a le droit de travailler à côté de ses études que l’équivalent de 50% d’un emploi à temps plein, alors que les étudiants étrangers d’autres nationalités peuvent aller jusqu’à 60%. Les Algériens ne sont pas non plus éligibles aux dispositifs de « passeport talent » ou de carte de séjour délivrée à titre humanitaire.

Par ailleurs, depuis 1995, les ressortissants algériens doivent demander un visa pour entrer sur le territoire français, comme tous les ressortissants étrangers qui entrent dans l’espace Schengen. En 2024, les autorités françaises ont délivré 250 095 visas aux Algériens, dont 7% de visas long séjour, selon le ministère de l’intérieur. Par comparaison, les ressortissants chinois ont bénéficié de deux fois plus de visas au cours de cette même année.

La France peut-elle annuler cet accord comme le gouvernement le laisse entendre ?

En diplomatie, un accord peut être dénoncé, mais il faut pour cela engager des négociations bilatérales. Par ailleurs, selon Serge Slama, professeur de droit public à l’Université de Grenoble Alpes, annuler les Accords de 1968 pourrait revenir à ré-instaurer le régime des Accords d’Evian, et donc celui de la libre circulation. 

Mais alors pourquoi ces Accords sont soudainement la cible du gouvernement et des élus de droite et d’extrême droite ?

En mai 2023, la Fondation pour l’innovation politique publie une note intitulée « Politique migratoire : que faire des Accords de 1968? ». Cette note est rédigée par Xavier Driencourt, ancien ambassadeur français à Alger à deux reprises. Moins d’un mois après, l’ancien Premier ministre Edouard Philippe donne une interview au journal l’Express où il « préconise la dénonciation de l’Accord de 1968 ». 

Quelques mois avant la publication de cette note, Xavier Driencourt a commencé à écrire des tribunes pour le journal le Figaro. Sur ces 13 tribunes publiées à ce jour, trois concernent les questions migratoires entre les deux pays et les accords de 1968. Chaque tribune est suivie d’invitations sur les plateaux de médias comme Europe 1, Sud Radio ou CNews. Puis il devient conseiller du Rassemblement National. C’est dans ces chroniques que l’on retrouve les éléments de langage prononcés par Bruno Retailleau aujourd’hui.

Qu’en disent les autorités algériennes ?

Dans un communiqué du ministère des Affaires étrangères publié le 27 février dernier, les autorités algériennes font savoir que «l’Algérie rejette catégoriquement les ultimatums et les menaces» et qu’ «elle appliquera une réciprocité stricte et immédiate à toutes les restrictions apportées aux mobilités entre l’Algérie et la France»

Le communiqué souligne également que «toute remise en cause de l’Accord de 1968, qui a été au demeurant vidé de toute sa substance, sera suivie de la part de l’Algérie d’une même remise en cause des autres accords et protocoles de même nature, sans préjudice d’autres mesures que ses intérêts nationaux lui dicteraient d’adopter».

Interviewé par France 24, Abdelaziz Rahabi, ancien ministre de la communication algérien, a dénoncé les prises de parole répétées du ministre de l’Intérieur français, soulignant que l’Algérie n’était pas « une question de politique intérieure française ».