LIVRE – Les Veilleurs de TaIna Tervonen

Rédigé par :
Publié le 25/03/2025
Cet ouvrage de la journaliste Taina Tervonen met en lumière la question de la disparition des personnes en migration en mer Méditerranée.

« Ce jour-là, après minuit. Saliou reçoit un appel l’informant qu’un bateau de 55 personnes à son bord a quitté Tarfaya. Il fait comme toujours. Il contact des personnes sur le bateau, reçoit une position GPS, la communique à Salvamento Maritimo aux Canaries. Il ouvre VesselFinder, zoome sur les Canaries, repère l’embarcation stationnée au port ce jour-là Les yeux rivés sur son écran, il suit ensuite le trajet du navire de sauvetage vers le point GPS que lui ont donné les passagers du Zodiac, un point GPS situé à la lisière de la zone du sauvetage espagnol. »

Qui sont ces vigies invisibles et anonymes qui surveillent la Méditerranée sur leurs écrans ? Nous ne saurons pas où est Saliou, ni vraiment qui il est, mais au fil de son livre, l’auteure et journaliste Tania Tervonen donne la parole à 5 Veilleurs, comme ils sont surnommés et nous fait découvrir ces acteurs méconnus du sauvetage en Méditerranée.

Ils constituent les archives du temps présent

Ce n’est pas un métier, plutôt une mission. Celle de sauver des vies grâce aux outils qu’offre la technologie ; téléphones satellites, coordonnées GPS, messages sur les réseaux sociaux, milliers de conversations Whatsapp. « On n’est pas une entité constituée dit Marie. On est juste des gens. Des gens qui sont d’accord pour dire que la disparition de personnes est quelque chose de grave ».

Le rôle de Marie, Saliou, ou encore Maria est de faire le lien ; avec les équipes de sauvetage en mer, avec les familles qui cherchent à savoir ce que sont devenus leurs proches disparus. Ils gardent notes dans des grands cahiers de tous les départs sur les différentes côtes du Maroc, ou de Tunisie, ils comptent : le nombre de personne, de bateaux, les horaires de départ. « Ils constituent les archives du temps présent ». Et ils soutiennent à distance lorsque la détresse monte au cœur de la Méditerranée sur les embarcations de fortune dans le noir de la nuit qui accompagne souvent mes traversées.

La migration est devenue un sujet de plus en plus difficile à aborder dans la presse

« Au petit matin, Saliou reçoit un message vocal depuis le zodiac. Ce sont 14 secondes de cris, une voix de femme terrorisée, des pleurs d’enfants derrière, une voix d’homme qui essaie de ramener le calme, sans y parvenir. « On est 55 personnes, il y a des enfants, il y a des femmes ! On est en train de mourir ! Il y a 7 enfants, pitié, c’est en train de couler ! ». Côté marocain et espagnol, personne ne bouger avant de longues heures… récit glaçant d’une réalité encore présente en Méditerranée mais que la course à l’actualité a fini par presque gommer. Et Tania Tervonen de s’interroger : « La migration est devenue un sujet de plus en plus difficile à aborder dans la presse, et les médias rechignent à financer les enquêtes au long cours, coûteuses et chronophages. Que des gens meurent en mer n’a rien d’un scoop. C’est devenu le cours normal de la vie, une actualité qui ne mérite presque plus d’être chroniquée. »

Ces 5 passeurs de parole et veilleurs anonymes passent des jours et des nuits pour garder trace des drames de la migration en Méditerranée et pour permettre aux proches de répondre quand ils le peuvent à la question : qu’est-il devenu, que s’est-il passé ? Un recueil qui interroge sur les politiques actuelles de gestion du sauvetage en mer alors que l’Union européenne a pris la décision depuis plusieurs années de sous-traiter cette mission aux pays de départ laissant souvent le silence s’installer face aux appels de détresse qui montent des bateaux en Méditerranée.