Sala Rossa – Montreal – Festival Queer for Palestine en 2021 – photo issue du site https://queercinemaforpalestine.org/
Pourquoi avoir créé le centre Aswat ?
Il n’y avait pas d’organisation pour apporter du soutien aux personnes LGBTQIA+ et Queer pour les Palestiniens et Palestiniennes avant la création d’Aswat. Nous faisions également face à un manque de discussions à propos du genre et de l’orientation sexuelle à l’école. Quand j’étais jeune, j’ai appelé la ligne de soutien pour la communauté LGBTQIA+ à Tel Aviv. La personne m’a conseillée de venir vivre dans la ville. Elle me disait que ce serait plus simple pour moi. A l’époque j’étais jeune, naïve, j’ai cru que ce serait le cas. Je suis partie faire mes études pendant un an. Je pensais pouvoir vivre ma vie de Queer et de Palestinienne là-bas.
Mais on m’a dit : tu ne ressembles pas à une palestinienne, change ton nom pour un prénom israélien. Cette négation de mon identité palestinienne m’a poussée à faire mes affaires et à quitter la ville. Je suis partie sans dire au revoir et je me suis promis de ne plus jamais retourner à Tel Aviv. Aswat a été créé 10 ans plus tard, justement pour représenter toute personne ; femme, queer, tout en reconnaissant l’intersectionnalité de notre identité. Cela m’a permis de réconcilier mes identités. Je suis une Palestinienne qui souffre d’oppression de la part de L’État israélien, d’occupation, de colonisation, d’apartheid. Et puis, je suis une femme dans une société sexiste et conservatrice. Je souffre aussi d’homophobie, et du pinkwashing. Stratégiquement et organiquement, la lutte des femmes pour leur libération converge avec celle du mouvement national palestinien.
Aswat a permis de nourrir cette intersectionnalité et de donner une unité au mouvement féministe, queer palestinien tant au niveau national qu’international. Impossible de parler d’oppression de genre sans parler de l’oppression générale en Palestine.
Qu’est-ce que le pinkwashing et comment est-il utilisé par l’État d’Israël ?
Le pinkwashing est une stratégie globale dont Israël use et abuse et qui lui permet d’utiliser les mesures en faveur des droits pour les LGBTQIA+ pour se donner une image progressiste et contrebalancer sa politique d’oppression et de domination des Palestiniens.
Cela permet de mettre l’attention internationale sur une cause pour ne pas avoir à répondre des violations des droits humains en cours contre les Palestiniens. Israël dit : « Regardez, nous sommes ouverts à la communauté LGTBTQIA+, regardez Tel Aviv, ne regardez pas ailleurs ». Comme si finalement l’Etat garantissait les droits des minorités. Tout en faisant passer les Palestiniens pour des personnes arriérées et homophobes. L’Etat israélien apparaitrait comme le sauveur des Queer palestiniens. Israël parle en notre nom en disant qu’on ne peut pas avoir un discours émancipateur et libérateur. Les Palestiniens sont vus comme inférieurs et victimes.
Le pinkwashing peut prendre des formes variées. Par exemple, en 2019, Israël devait accueillir le concours de l’Eurovision. 50 000 personnes étaient attendues. La campagne de communication autour de l’événement présentait le pays comme accueillant auprès des LGBTQIA+. Nous avons appelé au boycott de l’événement et 150 organisations ont signé notre appel. Finalement, seulement 5 000 personnes ont participé et le hashtag #apartheid était en deuxième position après celui #Eurovision pendant plusieurs jours.
Autre exemple, celui du Tel Aviv Film Festival qui met en avant des productions et des films autour des questions LGBTQIA+. Les principaux promoteurs du pinkwashing sont ceux qui financent le festival.
Quels sont les moyens de résister face à cette politique ?
La culture et notamment le cinéma sont des vecteurs d’émancipation. Depuis 2015, nous organisons également le Festival Aswat du cinéma Queer à Haifa. Nous demandons également le boycott du festival de Tel Aviv et nous proposons des alternatives. Nous avons par exemple lancé en 2021 le Festival de Cinéma Queer pour la Palestine. Cela a permis de présenter des films dans 12 villes un peu partout dans le monde. Cette première initiative a permis de proposer un espace d’art et de culture pour contester l’oppression, organiser des groupes de discussions et des projections. 50 films ayant boycotté le festival de Tel Aviv ont ainsi été projetés lors de cette édition.
Nous avons également mis en place des ateliers sur ces questions dans les écoles palestiniennes alors même que le ministère de l’Éducation israélien refuse systématiquement les projets que nous proposons.
Nous essayons aussi de produire des connaissances et des contenus en arabe à propos des questions LGBTQIA+. Il est important de pouvoir lire à propos de ces sujets dans sa propre langue, sinon cela peut devenir aliénant. Nous avons à ce jour 30 productions en arabe sur ce que cela veut dire d’être gay, jeunes, femmes, etc. Et nous avons une brochure en anglais qui contient 23 récits de femmes au Moyen-Orient. Elle s’intitule “Filles et femmes, debout ensemble”. La couverture représente 8 femmes de dos se supportant les unes les autres. Une manière de conserver leur anonymat et de montrer leur solidarité. Cette brochure est en anglais afin de partager leur expérience avec le monde.
Souvent, on nous demande comment sauver les Queers palestiniens. Je réponds systématiquement : “merci, mais non merci”. Nous n’avons pas besoin d’être sauvés. Nous avons réussi à élever le niveau du débat au sein du mouvement féministe et du mouvement de libération national palestiniens. Mais nous avons effectivement besoin de votre soutien et de votre solidarité pour parvenir à l’émancipation des Queers et des Palestiniens.