7amleh recense quatre principales violations des droits numériques des Palestinien. Celles qui touchent à la liberté d’expression, au respect de la vie privée, au droit d’accès à une connexion internet de qualité et au droit de se réunir. Concernant la liberté d’expression, les droits des Palestiniens sont violés par les autorités israéliennes, par l’autorité palestinienne et celle existant de facto à Gaza, et par les géants des technologies eux-mêmes, comme Meta (le groupe qui détient notamment les réseaux sociaux Facebook et Instagram). Depuis 2015, une unité du ministère de la Justice israélien envoie des requêtes aux multinationales du numérique afin d’encadrer les publications des Palestiniens et les contenus mis en ligne. Cela représente 10 000 requêtes par an dont 90% sont acceptées par les entreprises qui éliminent alors les contenus visés. Ces derniers ne représentent pas une seule conversation mais un lot de parfois 100 à 1000 publications.
L’une des conclusions de l’ONG 7amleh est qu’il existe une politique de sur-modération des contenus postés par les Palestiniens et de sous-modération des contenus postés par les Israéliens. « Après le soulèvement populaire de mai 2021, nous avons détecté 500 violations liées à des suppressions de publications en ligne sans réelle motivation. Nous avons réussi à en restaurer certaines grâce à des partenariats noués avec certaines entreprises technologiques. A la suite de ce constat, nous avons demandé à Meta l’ouverture d’une enquête interne permettant de prouver que la situation décrite et les violations étaient bien réelles », raconte Mona Shtaya.
En septembre 2022, l’entreprise Meta a confirmé que sa politique était bien biaisée et qu’il existait bien une sur-modération couplée à une insuffisance de modération des contenus en hébreu. Selon ce rapport, ce mécanisme de modération participe à la violation du droit à la liberté d’expression, mais aussi du droit à la participation à la vie politique, à la liberté d’assemblée et au droit à ne pas être discriminé.
Wolf Pack
Outre cette situation sur les réseaux sociaux, Israël est un État de surveillance qui développe et teste des technologies sur les Palestiniens avant de les vendre au monde entier. Le terme utilisé pour valoriser ses inventions est celui de “smart cities”. En réalité il s’agit de couvrir des crimes d’apartheid, comme pour le Pinkwashing (voir entretien avec Ghadir Shafie). La panoplie des outils utilisés est variée : caméra sensible de reconnaissance faciale, écoutes, mouchards, smart technologie comme les “smart guns”, des armes intelligentes pouvant tuer plus précisément, ou l’utilisation de bugs dans les systèmes informatiques.
Il existe également une base de données pour récupérer des informations sur un maximum de personnes grâce à l’utilisation de deux applications. L’une a été baptisée blue wolf, l’autre white wolf. La première est utilisée par les soldats aux checkpoints, la seconde par les colons pour donner accès aux colonies. Toutes les informations relevées dans les deux applications sont stockées dans une base de données réunissant toutes les données à disposition sur une personne, nommées Wolf pack, la meute. Face à ces dérives, l’une des solutions viserait à la mise en place d’une politique de RGPD (comme en Europe) mais en réalité Israël contrôle toutes les infrastructures des télécommunications.
Ce système global de surveillance entre dans l’intimité directe des Palestiniens. Dans une étude sur l’effet du système de surveillance à Jérusalem-Est réalisée il y a deux ans, des personnes témoignent des conséquences de l’usage de caméras de reconnaissance faciale sur leur vie privée. Certaines expliquent ne plus vouloir enlever leur voile, y compris à l’intérieur de leur maison car elles savent qu’elles sont potentiellement filmées, en violation directe de leur intimité.
« Par ailleurs, les enregistrements des conversations peuvent être utilisés contre toi, notamment si tu es Queer, ou féministe, avec menaces de révéler certaines conversations à ta famille ou à ta communauté », détaille Mona Shtaya. La surveillance numérique est une étape supplémentaire dans un processus de surveillance qui a toujours existé.
Défense palestinienne
Dans ce contexte, les Palestiniens défient le système de manière inspirante et créative. Ils jouent par exemple avec les algorithmes en changeant certains mots, en utilisant des images dans leurs messages ou des lettres de l’alphabet latin. Les associations de défense des droits numériques s’organisent également et s’allient avec des structures internationales pour forcer Israël à changer de politique. Deux campagnes sont actuellement en cours. L’une vise l’entreprise Meta. « Depuis le rapport paru en 2022, nous demandons un calendrier clair avec des mesures précises pour mettre en œuvre nos recommandations concernant la politique de modération, explique Mona Shtaya. Nous souhaitons que les mesures de modération, si elles mènent à des éliminations de contenus, soient argumentées. Nous demandons la modération des contenus israéliens ouvertement racistes ou incitant à la violence, plus spécifiquement dans les villes bi-nationales. Il n’y a par exemple pas de lexique recensant une liste de propos haineux en hébreu malgré nos requêtes. Ces propos ont besoin d’être reportés systématiquement et ne sont pas éliminés automatiquement (contrairement à d’autres langues, dont l’arabe palestinien, ndlr) ».
D’autre part, il s’avère que la modération des contenus palestiniens est souvent effectuée par des personnes ne parlant pas la langue ou n’ayant pas le contexte du pays. Par exemple, des publications contenant le mot Al Aqsa (pour parler de la mosquée à Jérusalem) ont été supprimées car prises pour des contenus évoquant la brigade d’al Aqsa. « Notre plaidoyer est mené dans une approche intersectionnelle avec des alliés au Pakistan, en Birmanie, etc. Nous essayons de mettre nos moyens en commun pour peser face aux entreprises du numériques », conclut Mona Shtaya.