En quoi consiste le réseau Mediterranean Hub Goa-On ?
Le réseau a été lancé pour créer une plateforme de collecte et d’échanges entre les chercheurs méditerranéens. Les problèmes environnementaux ont souvent été étudiés d’une manière très euro-centrée. Or, ces problèmes et les conséquences liés au changement climatique ne touchent pas seulement l’Europe. Les pays du sud de la Méditerranée sont particulièrement touchés par le réchauffement climatique. Afin de travailler dans une perspective innovante et transformative, il semblait nécessaire d’inclure toutes les parties de la Méditerranée.
Le réseau a été lancé après une conférence en Australie en 2016 initiée par Goa-on; un réseau global qui étudie l’acidification des océans. Ce réseau a pour volonté d’inclure des chercheurs de toutes disciplines afin d’étudier et de comprendre une des conséquences du réchauffement climatique qui touche tous les océans et les écosystèmes marins.
Initialement, le réseau Goa-on avait inclus le Liban dans un réseau africain. Mais c’était oublier son lien avec la Méditerranée ; environnement unique et point chaud climatique. Dans cette région, toutes les conséquences du réchauffement climatique sont exacerbées. Cela semblait important de prendre en compte cette zone et les pays qui l’entourent dans un seul et même réseau. Nous avons finalement obtenu le soutien de Goa-on et celui du secrétariat des Nations-Unies.
Ce réseau se veut à la croisée entre phénomènes globaux et enjeux locaux, comment articuler ces deux échelles?
Le réchauffement climatique est une menace commune entre les pays et il ne connaît pas de limites géopolitiques. Il est donc important de mieux comprendre cette menace parfois invisible qu’est l’acidification des océans d’un point de vue global. Dans la tête de nombreuses personnes, le changement climatique est d’abord lié au réchauffement climatique mais pas forcément aux changements biochimiques à l’échelle de la mer.
Dans le même temps, au Liban par exemple, les pêcheurs expliquent que les saisons de pêche ne sont plus les mêmes, que certaines espèces ont disparu. Les résultats concrets sont déjà visibles à une échelle locale mais sans forcément toujours en appréhender les raisons. Notre volonté est d’arriver à vulgariser ce problème de l’acidification des océans en transformant les messages scientifiques publiés dans des articles pour les adapter au public.
Quelles sont les données à votre disposition concernant l’acidification des eaux de la mer Méditerranée ?
Il a toujours existé des échanges de gaz et de matières entre les différents éléments (air, terre, mer, etc.). C’est pour cela que les mers et les océans sont considérés comme les poumons de la Terre. L’océan permet ainsi de vivre, tout en produisant du gaz carbonique car il en absorbe les excès. Mais il y a un coût à cela. Après la révolution industrielle, les excès de CO2 ont été trop importants. On est passé de 280ppm à 415ppm aujourd’hui (voire plus) ! Ces résultats sont connus grâce à l’existence de stations de mesure de la quantité de CO2 dans l’atmosphère créées il y a plusieurs dizaines d’années, comme celle de Hawaï, la plus ancienne, lancée en 1957. Certaines données proviennent également de l’étude des sédiments datés de plusieurs millions d’années.
La concentration de CO2 actuelle est très élevée. L’océan absorbe les excès et cela déclenche des réactions chimiques dont la production d’acide carbonique, d’où le nom du phénomène que nous étudions : acidification des océans, qui entraine une diminution du PH de l’eau. A l’échelle méditerranéenne, de nombreuses stations confirment ce phénomène dans différents sous-bassins de la région. Une étude que nous venons de publier confirme l’acidification générale de la Méditerranée. Ces résultats parfois encore plus exacerbés selon les régions, comme au Liban, doivent nous donner la motivation de faire quelque chose. Cela impose aussi de ne plus seulement travailler par pays pour trouver de solutions mais de collaborer à l’échelle de la région afin d’augmenter la résilience de nos écosystèmes.
Comment faire face à ces conséquences que vous nommez et étudiez ?
Nous devons échanger des solutions et inclure non seulement des scientifiques mais aussi des décideurs politiques et des représentants d’entités clés à l’échelle de la Méditerranée. Notre objectif, en vulgarisant nos messages, est d’inciter à l’action diplomatique. Parce que nous sommes inclus dans des programmes soutenus par les Nations Unies, nous avons de plus en plus de visibilité. Nous cherchons à présent à échanger avec des experts de la communication pour vulgariser nos résultats selon les publics. Nous souhaitons également nouer des relations avec des industriels pour développer des solutions et inciter les personnes à se mobiliser et à voter différemment. Nous avons besoin d’une révolution à l’échelle du phénomène auquel nous faisons face.
Qu’est-ce qui bloque aujourd’hui pour aboutir à plus de solidarité dans le milieu scientifique et à plus d’engagement face à ces enjeux ?
Ce sont des enjeux de financement mais aussi d’égo. Beaucoup de scientifiques essayent d’étudier les choses d’une manière classique sans vraiment échanger car cela prend du temps et cela demande de la motivation. Il ne suffit plus de seulement travailler et publier. Les appels à projets sont en train d’évoluer dans ce sens. Ils demandent plus de diversités entre les régions et les disciplines, des échanges avec des politiques, des ONG, etc.
Ces règles doivent obliger la communauté scientifique à sortir de sa bulle et notamment à échanger avec les collègues du « Sud ». Les experts existent dans ces pays, déjà fortement affectés par le changement climatique. C’est une question de justice climatique. Une nouvelle génération de chercheurs est en train d’apparaître, plus ouverte d’esprit, plus motivée à communiquer notamment grâce aux réseaux sociaux. Ils créent des liens entre les sociétés et donc entre les sujets de recherche.
Vous êtes bénévole au sein de ce réseau, quel est le moteur de votre engagement en tant que chercheur ?
Mon seul moteur c’est ma motivation à faire changer les choses. Ce travail demande du temps. Aujourd’hui, le réseau compte une centaine de membres. Nous devons mettre en place de nouvelles méthodes pour communiquer, nous animons des temps d’échanges, des webinaires. Nous envoyons des newsletter pour rester informés.
L’Agence internationale de l’énergie atomique/OA-ICC à Monaco met à notre disposition des moyens pour mettre en œuvre le réseau. Cela va notamment nous permettre de nous réunir cette année en Turquie afin de rédiger un texte pour la Méditerranée. Nous souhaitons aboutir à un texte court de deux pages qui explique le phénomène d’acidification et les actions possibles. C’est un challenge nécessaire pour demander par exemple des changements législatifs.
Il est temps d’être actif sur le sujet. La région méditerranéenne n’est pas préparée aux catastrophes environnementales comme l’élévation du niveau de la mer, l’augmentation des températures, etc. D’autant que les premières communautés touchées seront les plus vulnérables. Il est urgent d’agir !