Suivis dans la réserve de Scandola, France ©J. Payrot
Quel est l’intérêt de ce réseau des aires marines protégées (AMP) en Méditerranée ?
Les gestionnaires de ces aires marines ressentaient souvent un sentiment d’isolement face à leurs missions. Ce réseau leur permet de partager leurs problèmes et des solutions. Ce projet a d’abord été porté par l’organisation WWF, ce qui a permis de créer un réseau sous statut associatif en France avec des membres partout en Méditerranée. Les premiers besoins ont été d’organiser des espaces d’échanges techniques, des ateliers thématiques (changement climatique, pêche, etc.) mais aussi des formations ou des visites d’échanges pour répliquer ce qui fonctionne.
Au sein du Conseil d’administration, on retrouve des gestionnaires mais aussi des autorités nationales. Aujourd’hui, l’un des objectifs du réseau est aussi de faire remonter les besoins des gestionnaires auprès des politiques. Tout cela, en jonglant avec les différentes formes d’aires marines qui existent. En France, on dénombre 16 types de désignation différents, comme les zones Natura 2000 par exemple. Autour de la Méditerranée, il y a plus de 80 types d’AMP, avec chacune leur spécificité et leur fonctionnement. Finalement, ce réseau permet de donner de la force aux gestionnaires pour qu’ils demandent de plus hauts degrés de protection dans la loi, notamment au niveau européen, ainsi que de moyens ambitieux pour y faire face.
Les aires marines protégées représentent aujourd’hui 8,33% des eaux méditerranéennes. Mais selon une étude du centre de recherche insulaire et de l’observatoire de l’environnement, ce sont seulement 0,23% des eaux de la Méditerranée qui sont suffisamment protégées et 95% des aires marines protégées n’ont pas de réglementation suffisante pour réduire les impacts humains sur la biodiversité. Qu’est-ce qui explique ce décalage ?
Il existe encore un écart considérable entre zone de protection et protection réelle. L’ambition fixée pour l’année 2020 était de 2% de surfaces protégées en Méditerranée. Il n’a pas été atteint. De nombreuses zones Natura 2000 n’ont pas de gestionnaire, ni de mesures de protection sûres. La difficulté réside dans l’incapacité à mettre en œuvre la législation existante et la nécessité d’en développer une nouvelle. Elle passe par la protection intégrale de ces zones. Les aires marines protégées où l’on observe le plus de bénéfices sont historiquement des zones de très forte protection, comme la réserve de Banyuls dans les Pyrénées orientales en France. Il n’existe toujours pas de définition à l’échelle européenne de ce qu’est une zone à forte protection. Chaque pays le définit. L’aire marine protégée reste une zone de gris dans le fonctionnement législatif de chaque pays. Même si une réglementation est mise en place, cela ne veut pas dire qu’elle sera mise en œuvre comme l’ont montré les équipes de Joachim Claudet (à l’origine de l’étude).
Dans toutes les récentes feuilles de route de gestion de ces aires dans la région, il est indiqué de mieux mesurer l’impact des mesures de protection, et non plus seulement de prendre en compte la surface de ces aires et leur réglementation, afin d’identifier les bons leviers pour qu’il y ait un impact réel de ces zones protégées. Les bénéfices des aires de protection intégrales ont par exemple été mesurées dans des zones de protection forte comme celles de Banyuls ou de la Côte bleue en France. Dans les Pyrénées Orientales, certaines espèces comme le Mérou Brun avaient presque disparues, elles se reproduisent de nouveau dans la zone aujourd’hui.
Cela implique-t-il aussi une concertation entre tous les acteurs d’une zone dont les pêcheurs ?
Oui, c’est déjà le cas dans certaines zones, comme en Italie, à Tor Caldara, où le système de gestion est basé sur un travail avec les acteurs de la petite pêche, qui sont des acteurs clés pour identifier des solutions sur les territoires côtiers avec des populations qui vivent des activités de la mer. La Turquie est également championne des zones de protection intégrale. L’aire marine protégée de Gökova s’est créée autour d’un travail commun entre acteurs locaux et ONG et une forte surveillance de la zone. Le modèle est d’ailleurs répliqué dans le pays depuis 4 à 5 ans. Cela a été rendu possible grâce au travail des ONG qui sont allées parler aux politiques et qui ont su communiquer autour de leur projet.
Aux Baléares, la zone de protection était même voulue par la communauté des pêcheurs. Car les zones de protection intégrale permettent de faire revenir les poissons dans une zone. Et même si la pêche est interdite sur un secteur, cela bénéficie aux secteurs alentours. Outre les zones de protection, ce sont différentes zones qu’il faut définir ensemble : des zones de nurseries pour les espèces, des zones tampons entre les activités, une réglementation de toutes les activités d’un secteur dont le tourisme ou la pêche… Si la pêche est interdite mais que les autres activités, comme la navigation de bateaux de tourisme, sont autorisées, cela peut avoir un impact sur la zone.
Alors que la Méditerranée est une mer semi-fermée avec un fort trafic commercial, notamment au niveau du détroit de Gibraltar, comme imaginer des zones de protection moins impactées par la pollution ?
Les aires marines permettent à des espèces de poissons de se reproduire : on a vu revenir des tortues ou des phoques moines dont les communautés se maintiennent voire augmentent dans certaines zones. Mais on ne peut pas tout protéger. D’autres secteurs doivent intervenir pour lutter contre la pollution du trafic maritime mais aussi des activités portuaires.
Le réseau MedPan travaille en ce sens en partenariat avec des ONG mais aussi des organisations membres de la Convention de Barcelone. Le cadre fixé par la convention permet de travailler avec objectif commun. L’objectif fixé au niveau mondial est d’atteindre 30% de zones protégées sous statut d’AMP ou de zones de protection forte selon les termes de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature UICN.
La pérennisation de ces zones passe souvent par une pérennisation des financements, ce qui ne semble pas être le cas dans tous les pays autour de la Méditerranée. Comment faire face à cet enjeu ?
Les moyens ne sont pas forcément en adéquation avec la gestion de projets de long terme. Certains pays n’ont tout simplement pas les moyens de financer de tels projets. C’est pour cela que nous avons notamment créé le Med Fund en 2015. Ce trust fund vise à financer les coûts récurrents de gestion des AMP comme les infrastructures ou les salaires des équipes. La Tunisie, Monaco et la France en sont à l’initiative. Le fonds a notamment permis de financer des aires marines en Tunisie et Turquie. Ce sont généralement des financements de 30 000 à 60 000 euros par an selon les projets. Le réseau incite également à la co-gestion avec des ONG pour mettre en place des actions sur le terrain à long-terme.