Au large de la plage du Prado à Marseille, un nouveau comptage a eu lieu en ce mois de septembre 2022. Pour les plongeurs professionnels réunis par la mairie de Marseille de manière bénévole après l’été caniculaire, l’enjeu est de taille : mesurer les effets de l’augmentation de la température sous la mer sur les espèces, notamment dans la zone protégée autour des récifs artificiels installés il y a 14 ans. Hervé Menchon, élu à la mer et à la biodiversité de la ville de Marseille, attend les résultats du comptage avec une pointe d’inquiétude.
Cette zone particulière et symbolique a vu sa biomasse augmenter de 264% après 10 ans de mise en place selon les scientifiques en charge du suivi du projet. Sur les fonds marins sableux du Prado devenus quasi-désertiques, la vie est revenue au fil des années depuis la mise en place de ce qui représente aujourd’hui le plus vaste projet de récifs artificiels d’Europe et de Méditerranée. En 2008, le programme RECIFS PRADO (Réhabilitation Écologique, Concertée et Innovante des Fonds Sableux par la Pose de Récifs Artificiels Diversifiés et Optimisés) permet de disposer plus de 400 structures de béton imitant des habitats coralliens à 25 m de profondeur, entre la rade d’Endoume et les îles du Frioul. Du béton sous forme de cubes, des chaînes ou des structures de métal remplies de parpaing sont disposées en six « villages » reliés entre eux sur environ 300 mètres de long.
L’alerte a été donnée cet été par les associations de plongée et autres acteurs du secteur : dans certaines zones de la rade de Marseille, alors que des températures de 27 degrés ont été mesurées sous l’eau, des espèces comme les Gorgones sont menacées de disparition, et, à l’inverse, certaines espèces exotiques envahissantes font leur apparition.
Les études menées entre 2019 et 2021, après dix ans d’immersion, montrent que le nombre de poissons présents a augmenté très rapidement la première année pour se maintenir par la suite, avec des variations sensibles selon les saisons : « un pic a lieu en octobre année après année, c’est un moment de diversité pour la biomasse », témoigne Laurence Le Diréach, membre du Groupement d’intérêt scientifique pour l’environnement marin, en charge du suivi des récifs. Certains poissons sont devenus plus grands et gros, et certaines espèces prédatrices en haut de la chaîne alimentaire ont pu remplacer d’autres espèces qui se nourrissent de plancton.
Installés pour relancer l’activité de pêche dans la zone, la biomasse d’espèces particulièrement prisées par les pêcheurs est multipliée par 2,6 depuis le début du suivi. Le congre (x7,6), le sar à museau pointu (x22,9), la mostelle (x18,1) et le chapon (x12,6) sont les espèces dont les biomasses ont le plus fortement augmenté depuis 2009.
Amélioration de la biodiversité
Ces résultats positifs ne sont pas limités à l’expérience de Marseille. De l’autre côté de la Méditerranée, des plongeurs d’Annaba, à l’est de l’Algérie, immergent quatre récifs de 3 ou 4m3 en 2016. L’initiative est une expérimentation des plongeurs d’une association de la ville, Hippone Sub, associés à un réseau algérien de protection de la biodiversité marine, appelé Probiom. Ici aussi, les premiers effets sont rapides : « En six mois, les algues avaient colonisé l’ossature métallique, des œufs de calamar et de coquillages étaient fixés sur la charpente, et on pouvait voir de petites castagnoles. Le premier maillon de la chaîne trophique était là », rapporte Farid Derbal, enseignant et chercheur du département des Sciences de la Mer de l’université d’Annaba, mais également plongeur et vice-Président de l’association Probiom. Cinq ans plus tard, et contrairement à Marseille, les associations d’Annaba n’ont pas pu faire d’étude scientifique sur l’impact de ces récifs artificiels, faute de moyens. Mais les différentes plongées effectuées par le Professeur Derbal lui permettent de constater une évolution : « Nous avons dénombré plus de soixante espèces différentes de poissons présents dans les récifs. En 2021, nous avons pu observer un banc de limons, des poissons prédateurs : cela signifie qu’un récif peut attirer des poissons. Nous avons également constaté que le récif était occupé par des rascasses, des labridés (famille de poissons carnivores) et des castagnoles, et que l’on observait parfois des poulpes et des badèches (espèces de mérous). Si on ne peut pas mesurer l’évolution de la biomasse, il est clair que sur le plan de la diversité des espèces, c’est une amélioration ».
Au début de l’année 2021, les plongeurs de Hippone Sub et le réseau Probiom immergent donc une extension des récifs artificiels. Cette fois, deux grandes structures de métal de 33 et 66m3 en forme de pyramides sont installées. Elles comportent des chaînes métalliques et une série de jarres en terre. « Grâce à l’expérience de 2016, nous savons que le métal est le matériau le plus efficace. Les jarres nous ont été données par un artisan et nous savions que les pêcheurs tunisiens l’utilisent pour développer la présence de poulpes », explique Emir Berkane, médecin, militant écologiste et président de la fondation Probiom (un réseau d’associations algériennes de défense de l’environnement). L’initiative est vue comme une première réponse à une perte de biodiversité : « au niveau local, certaines espèces disparaissent, et d’autres perdent en densité », affirme Samir Grimes, maître de conférence à l’École Nationale Supérieure des Sciences de la Mer et de l’Aménagement du Littoral d’Alger (ENSSMAL) et coordinateur national de la base de données algérienne sur la biodiversité. Le chercheur souligne l’érosion de la biodiversité à l’échelle du bassin méditerranéen : disparitions locales, diminution sensible de la densité ou de la couverture spatiale de certaines espèces vulnérables.
Une espèce sur cinq est menacée
La Méditerranée recèle plus de 17 000 espèces marines, soit 18% des espèces marines connues dans le monde, alors que sa surface ne représente que 0,83% des eaux de la planète, selon les organisations onusiennes. Parmi ces espèces, plus d’un tiers sont des espèces endémiques, c’est à dire qu’elles n’existent nulle part ailleurs sur la planète. Or, cet écosystème est en danger. 32% des habitats marins menacés en Europe le sont en mer Méditerranée, 21 % étant considérés comme vulnérables et 11 % en danger, selon le réseau d’Experts méditerranéens sur les changements climatiques et environnementaux (MedECC). Cette menace inclut plusieurs habitats précieux et uniques (herbiers et coralligènes), abritant une grande biodiversité. Une espèce sur cinq serait en voie d’extinction, selon une étude menée par l’institut de la Tour du Valat et parue en 2021. « Les pratiques de pêche non-durables, les espèces non-indigènes, le réchauffement, l’acidification et la pollution de l’eau menacent la production alimentaire marine et peuvent affecter la répartition des espèces et engendrer, d’ici à 2050, une extinction locale de plus de 20 % des poissons et invertébrés marins exploités », alertent les Experts méditerranéens sur les changements climatiques et environnementaux (MedECC) dans leur premier rapport sur la région de 2020.
C’est bien l’activité humaine qui est responsable de la situation. Une responsabilité anthropique soulignée dans le Sixième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Dans un rapport sur le transport maritime et les changements climatiques, les Nations Unies rappellent que « La Méditerranée est l’une des mers les plus actives au monde, sur laquelle circulent 20 % du commerce maritime mondial, 10 % du transit de conteneurs et plus de 200 millions de passagers ».
Marseille est le 1er port de France et le 2ème de Méditerranée en tonnages de marchandises. Les 57 kilomètres de la rade sont particulièrement soumis à la pression de l’activité humaine ; pêche, rejets d’eaux usées, fréquentation touristique, nuisances sonores, l’écosystème côtier subit et disparaît peu à peu. Jusqu’aux années 2000, certaines études estiment que la biomasse de poissons a diminué de 80 à 90%. Pour infléchir la tendance, la restauration des écosystèmes dégradés est l’une des pistes présentées dans un rapport de l’Ifremer (Institut Français de Recherche pour l’Exploitation de la Mer). Le projet de récifs au large du Prado apparaît donc comme primordial pour restaurer l’écosystème. Dans cette zone, la plongée, la pêche et la baignade sont interdites par un arrêté de la préfecture jusqu’en 2024, pour le moment.
Mais cette solution semble difficile à instaurer dans toute la région car le trafic maritime est un trafic de passage : « La Méditerranée permet prioritairement les échanges de produits manufacturés entre l’Europe et l’Asie et l’approvisionnement de l’Europe en produits énergétiques à partir des pays du Golfe », selon un rapport de l’Agence d’urbanisme de l’agglomération de Marseille.
À quelques milles marins, l’Institut national des sciences de la mer (Ifremer), une institution publique française de recherche et d’innovation pour protéger et restaurer les océans, expérimente des solutions sur 230m3 de récifs immergés dans la rade de Toulon pour restaurer la biodiversité dans des zones toujours en activité. « D’un point de vue pragmatique, il est difficile d’imaginer pouvoir stopper l’activité humaine partout où elle a eu un impact sur les fonds marins », estime Marc Bouchoucha qui suit ces projets pour l’Ifremer. Aujourd’hui, 44% de la population mondiale vit à moins de 150 kilomètres des côtes, rappelle le scientifique. L’artificialisation du littoral qui modifie et détruit l’habitat naturel est l’une des principales causes de perte de biodiversité.
En France, les premiers récifs artificiels ont été implantés dans les années 1960, parfois en choisissant des pneus ou de vieilles voitures qui ont fini par être retirés à cause de la pollution qu’ils causaient. A Marseille, après des études de faisabilité, la ville a lancé le projet RECIFS Prado, en concertation avec les acteurs publics, associatifs et scientifiques, en 2000. « En Algérie, l’initiative est venue du mouvement associatif, explique le professeur Farid Derbal. De petits récifs expérimentaux ont été mis en place en s’appuyant sur l’expérience des clubs de plongée ». Les associations réfléchissent alors au choix de sites adéquats qui ne seraient un problème « ni pour la navigation, ni pour les pêcheurs, ni pour l’armée ».
L’une des conditions de la réussite d’un récif consiste à varier les formes, les tailles, la lumière « afin de réintroduire une multitude de fonctions naturelles », explique Thomas Paquereau, biologiste marin et plongeur professionnel. « La complexité structurelle est la clé pour couvrir une large gamme d’espèces et d’individus au sein d’une même espèce », détaille-t-il. L’attention doit aussi être portée sur les matériaux utilisés pour ne pas avoir un impact négatif sur le milieu aquatique avec des éléments qui se dégagent des matériaux du fait de l’immersion : rames de métro non dépolluées, béton utilisé et ses adjuvants et produits chimiques, peintures, etc. L’entreprise pour laquelle Thomas Paquereau travaille à Marseille a fait le choix d’utiliser des structures en métal simple sans béton. “Grâce à un procédé électrolytique (lié à une alimentation électrique basse tension), le métal immergé dans l’eau agrège les sédiments et les sels minéraux environnants. Le matériau formé a pour objectif de lutter contre l’érosion et permet de préserver la biodiversité marine en recréant la fonction habitat”, précise-t-il.
« Au final, l’enjeu principal d’un bon récif est de créer de la biomasse afin de compenser le coût carbone de l’installation dans un environnement concerté ; aménagements côtiers, encadrement de la pêche, des activités touristiques, etc. », détaille Thomas Paquereau. « Fabricants et politiques devraient aussi penser des récifs adaptables, modulables en taille en fonction des espèces visées ».
Corridor écologique
Malgré leur utilité, les récifs ne font pas de miracle partout. Dans la Calanque de Cortiou à Marseille, des récifs ont été immergés en 2017. « Aujourd’hui, ils permettent de créer des abris et des zones d’alimentation pour certaines espèces mais ils n’ont pas créé un corridor écologique suffisant », explique Hervé Menchon, l’élu à la mer de la ville de Marseille. Les fonds marins de cette calanque, soumise aux rejets industriels et d’eaux usées pendant de nombreuses années, sont fortement endommagés et la réversibilité des dégâts est incertaine. « D’un point de vue écologique, la question de laisser les récifs en immersion se pose, car les poissons qui se nourrissent sur ces récifs sont en contact avec les fonds pollués et rejoignent ensuite la chaîne alimentaire ou seront pêchés puis consommés », précise l’élu. Aujourd’hui, la situation lui paraît insatisfaisante et les récifs n’ont pas réglé le problème plus général lié à la qualité des eaux douces qui se déversent dans la calanque.
« Les récifs ont un impact psychologique positif, souligne Samir Grimes, maître de conférences à l’École Nationale Supérieure des Sciences de la Mer et de l’Aménagement du Littoral d’Alger (ENSSMAL). Ils créent une dynamique, et ils sont une solution à l’échelle micro. Cependant, il ne faut pas que l’installation de récifs fasse passer le message : On peut encore polluer. S’il y a de la pollution marine, elle affecte les populations des récifs artificiels également. » « La vraie solution pour lutter contre l’érosion de la biodiversité marine consiste à réguler la pêche, lutter contre toutes les formes de pollution et à s’adapter au réchauffement climatique. En d’autres termes, il s’agit de s’assurer de l’efficacité du dispositif réglementaire en place », estime-t-il.
A Marseille, le coût des récifs, outre celui de leur immersion (six millions d’euros dans le cas du Prado, financés à 40% par l’Union européenne, 30% par l’Agence de l’Eau RMC, 10% la Région et 20% la Ville de Marseille), est important. L’entretien et le suivi du programme représente plusieurs millions d’euros avec notamment la mise en place d’une patrouille dédiée à la sécurisation de la zone, ou encore le remplacement de certains matériaux clés de la structure. L’élu à la mer a décidé de lancer une étude pour déterminer si des projets comme celui des récifs du Prado serait reconduit. Sans nier l’importance de ce coût, Marc Bouchoucha, de l’Ifremer, rappelle que la mise en place de telles installations représente également des retombées économiques : maintien de l’activité de pêche, ventes de matériels de plongée, de pêche.
A Annaba, Emir Berkane met en avant une « certaine ténacité administrative » pour expliquer le succès des immersions, mais aussi les moyens financiers. « Pour ce projet, nous avions un soutien financier du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) qui nous a permis de construire les pyramides et une barge spéciale pour transporter les modules. Je suis sûr qu’avec un financement, les projets de récifs artificiels de Skikda, Alger, Oran auraient pu réussir ». Pour autant, les plongeurs et les soudeurs ont travaillé bénévolement, l’association Hippone Sub a prêté ses bateaux et financé le carburant. « Si on chiffrait les plongées et le fait de payer les scientifiques pour leur travail, les budgets exploseraient. Ces récifs devraient être des projets gouvernementaux », souligne Emir Berkane. « Le financement ne fait pas le succès des projets, nuance Samir Grimes. Il faut que ce financement soit durable, qu’il implique tous les acteurs. Le moment est venu pour que les opérateurs économiques, publics et prives contribuent au financement de la protection de l’environnement marin ».
Les plongeurs algériens ont bien compris la nécessité de la nécessité d’une mobilisation large. Le réseau Probiom, après avoir constaté que l’absence de législation sur les récifs artificiels était un frein, a contacté les autorités et la presse, pour souligner la nécessité de se doter d’une loi. Leur lobbying fonctionne : un décret est adopté en 2017 et la loi donne aux wilayas (l’équivalent des préfectures, ndlr) le pouvoir de délivrer des autorisations d’immersion de récifs artificiels. Pourtant, cela ne règle pas tous les problèmes et en fait apparaître de nouveaux. « Presque personne n’a réussi à aller au bout de la procédure. La commission de wilaya réunit 12 membres représentants des institutions. C’est plus compliqué parce que pour la plupart de ces personnes, les récifs artificiels, c’est de la science-fiction ! », analyse Emir Berkane.
Alors qu’ils immergent leurs pyramides, divisées en modules de 1m3 boulonnés ensemble sous l’eau, le réseau Probiom et les plongeurs de Hippone Sub ont un autre projet : immerger une centaine de wagons de trains abandonnés. Le projet, intitulé « les wagons de la mer », nécessite un financement important pour assurer la logistique, le suivi scientifique sur cinq ans et la dépollution des wagons avant leur immersion. La compagnie nationale d’hydrocarbures Sonatrach était partante pour les soutenir, alors qu’elle souhaitait développer l’exploitation offshore. Mais depuis un changement de gouvernement à Alger fin 2019 et le gel des projets offshore, les associations n’ont plus de nouvelles.
Une collaboration politique essentielle
Si convaincre les autorités algériennes d’autoriser l’immersion de récifs semble être un parcours du combattant, la collaboration est essentielle pour parvenir à une mobilisation politique. Le succès d’un récif artificiel dépend également d’autres actions de protection de l’environnement menées en amont ou en parallèle.
En France, la mise en place de stations d’épuration sur le littoral, l’un des premiers projets de restauration écologique, a démontré ses effets sur la biodiversité grâce à des actions concertées : la restauration est totale dans certains secteurs, comme celui du Cap Sicié à quelques kilomètres de Toulon. Hier, dévasté par les rejets d’eaux usées, les fonds sous-marins de la zone ont vu revenir les anémones, étoiles de mer ou oursins, témoins d’un bon équilibre de l’eau. « Ce succès est lié à la mise en place d’une véritable ingénierie de financement et d’une gouvernance pour sa gestion avec les agences de l’eau », explique Marc Bouchoucha. « Cela s’avère plus compliqué en ce qui concerne la gestion de la biodiversité sous-marine car les destructions sont invisibles et les zones élargies », complète-t-il.
Pour le chercheur, le plus efficace pour envisager la restauration d’un milieu naturel est d’abord de retirer les pressions, puis de réintroduire des espèces ingénieures qui vont recréer de l’habitat, comme l’huître plate ou l’herbier de posidonie. Selon lui, les récifs ne sont qu’une troisième étape. Les plus grandes réussites de restauration ont d’ailleurs eu lieu dans des contextes de restauration passive, c’est le cas notamment pour certaines lagunes méditerranéennes. « On arrête les différentes pressions et on laisse le système retrouver ses fonctions naturelles. Dans les zones portuaires, on parle de restauration active par l’ajout d’éléments pour relancer le système. Mais il serait utopique d’imaginer ne plus avoir de port », insiste Marc Bouchoucha.
« Les récifs ont un intérêt lorsque l’écosystème se dégrade et qu’on essaye de le remplacer », résume Farid Derbal, le professeur de l’université d’Annaba. Mais le récif ne peut pas tout faire, soulignent les associations algériennes. « Nous avons besoin d’aires marines protégées. Mais on n’arrive pas à les faire. Il faut de l’argent et l’implication de tous les acteurs », explique Emir Berkane. A Marseille, Laurence Le Diréach insiste sur le rôle des récifs « comme outil complémentaire » de gestion de la biodiversité. Aire marine protégée, récifs artificiels, la palette d’action est large et chaque outil a son rôle à jouer.
Aires Marines Protégées et réglementation insuffisante
« Si les aires marines protégées ne permettent pas d’arrêter le changement climatique et ses conséquences, telles que l’acidification des océans, elles sont un outil important permettant d’améliorer la résilience et la capacité d’adaptation des écosystèmes », affirment également les Experts méditerranéens sur les changements climatiques et environnementaux (MedECC). Les aires marines protégées existent bien en Méditerranée : en 2020, 8,33 % de la mer Méditerranée est sous statut de protection, selon l’association MedPan, chargée de promouvoir la création, la pérennisation et le fonctionnement d’un réseau méditerranéen d’Aires Marines Protégées.
Cependant, selon une étude du Centre de recherche insulaire et observatoire de l’environnement (une équipe dirigée par le CNRS), 95% de ces aires sont « dépourvues de réglementations suffisantes » pour « réduire les impacts humains sur la biodiversité ». Selon ces chercheurs, seul 0,23% du bassin est réellement protégé. « Par manque de moyens humains et financiers, de nombreuses AMP créées en Méditerranée ne sont pas efficaces et ne remplissent pas leur objectif de préservation des milieux marins », précise l’association MedPan qui lance un programme de soutien financier d’un montant de 40 millions de dollars pour 20 aires marines protégées officielles et en cours de création. L’objectif est de protéger 220 000 hectares à travers l’Albanie, l’Algérie, le Liban, le Maroc, le Monténégro et la Tunisie.
En Algérie, il existe deux Aires marines protégées officielles, au large d’Oran, à l’ouest du pays : Les îles Habibas et la zone de Cap Lindles, incluant l’Île Plane. Des procédures sont en cours pour étendre le statut de Parc national à la partie marine des parcs nationaux de El Kala (à l’est du pays) et du Gouraya (près de Béjaïa, au centre du pays). « L’Algérie avait déjà identifié une dizaine de site à protéger en 1997, rappelle Samir Grimes. Il manque la mise en place de structures de gestion efficaces qui mobilisent les ressources humaines nécessaires, les partenariats pertinents et garantissent des financements adaptés. C’est aussi une question de volonté politique ». Des difficultés de gestion dans les AMP européennes sont aussi soulignées dans un rapport de la Cour des Compte de l’Union Européenne de l’année 2020 : selon l’institution, le réseau des AMP « échoue » à fournir une protection.
Vers une coopération plus efficiente
Augmenter l’impact de ces politiques semble passer par la coopération internationale. « Les pays de la rive nord ont une expérience de gestion des Aires marines protégées. Cette expérience peut nous faire gagner du temps. Toute action de la rive sud aura un impact rive nord, de la même manière qu’une pollution en Espagne a un impact sur les côtes françaises, ou que les aires protégées en Corse ont un impact positif en Italie. Nous devons raisonner en termes de biomasse commune », estime Emir Berkane, président de Probiom.
« Des échanges d’expérience existent en Méditerranée, mais pas de manière concertée, plutôt par opportunité », estime Hervé Menchon, l’élu de la Ville de Marseille. Du côté algérien, les associations ont sollicité l’Agence française de développement pour être soutenues dans la création d’un jumelage avec le Prado. Lors de la Conférence de l’ONU sur les océans, en juin 2022, les pays participants s’engagent à « améliorer la coopération » et à trouver « des solutions de financements innovantes ». « Il faut repenser la coopération internationale sur la question de la préservation de la biodiversité marine », prévient cependant Samir Grimes. « Il existe de nombreux financements, mais la coopération ne se fait pas de manière suffisamment stratégique : les organisations travaillent dans une logique de projets, qui implique des ateliers et des livrables, mais on ne s’assure pas, en amont, de la durabilité des résultats de ces projets et programmes de coopération », déplore-t-il.
A Lisbonne, face à la discussion sur les contraintes à mettre en place d’un point de vue international, plusieurs pays mettent en avant le fait que leur responsabilité dans la dégradation des océans est très limitée. « La responsabilité des pays de l’hémisphère nord de la planète est bien plus engagée que celle des pays de la rive sud, alors que nous devons agir ensemble pour essayer de réparer le préjudice porté aux équilibres naturels des mers et des océans, explique Samir Grimes. Le rapport spécial du GIEC sur les mers et les océans prouve le lien entre la biodégradation du climat et celle des mers et des océans. Cela se traduit, par exemple, par un réchauffement de la mer Méditerranée qui provoque l’installation d’espèces marines exotiques dans les écosystèmes, et des mortalités massives d’espèces. Vu sous cet angle, les pays qui ont dégradé le climat ont leur responsabilité dans cette situation et ils doivent l’assumer. Cependant, cela ne doit pas dédouaner les pays de leurs responsabilités nationales : la surpêche, l’utilisation d’engins de pêche non conventionnels, la non-maîtrise de la pollution à terre sont du ressort de chaque pays ».
Ce reportage a été produit avec le soutien de l’Earth Journalism Network d’Internews, dans le cadre du projet Mediterranean Media Initiative.