Sauvetage en Méditerranée centrale entre la Libye et l’Italie alors que l’embarcation pneumatique coulait. Crédit : Laurin Schmid
Alors que la crise sanitaire se poursuit au niveau mondial, la crise humanitaire en Méditerranée centrale entre la Libye et l’Italie se détériore. Le 4 octobre 2021, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies déclarait « des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité perdurent en Libye depuis 2016, en mer, dans les centres de détention et aux mains des trafiquants ». Pourtant, les pays européens poursuivent leur politique d’externalisation des frontières et ont remis entre les mains des Libyens la question du sauvetage depuis 2018. La mission de l’ONG SOS Méditerranée en est directement impactée, mais l’engagement citoyen se poursuit malgré tout. Comment continuer à sauver des vies en Méditerranée ? Témoignages de personnes engagées.
« On a le choix d’être spectateur ou citoyen »
Sophie Beau, cofondatrice et directrice générale de SOS Méditerranée
« D’un côté les exactions commises contre les personnes migrantes en Libye sont dénoncées par des organisations sur place, les départs continuent et de l’autre il y a moins de bateaux d’ONG présents en Méditerranée centrale. Il n’y a même plus de navires européens comme Frontex qui faisait aussi du sauvetage. Le mécanisme de débarquement de solidarité européenne enclenché en 2019 n’est pas respecté par les Européens. Les délais d’attente après chaque sauvetage afin de pouvoir débarquer les rescapés dans un port sûr sont anormaux. Ce qui est rassurant et qui ne faiblit pas, ce sont tous ces citoyens qui continuent à nous soutenir via le bénévolat mais aussi par les dons, les actions, les événements. C’est incroyable et remarquable. On n’est pas seuls à être indignés. Il y a même une nouvelle antenne qui s’est créée à Lille. 4 régions, 9 départements et 60 municipalités nous soutiennent via la Plateforme des collectivités solidaires.Quand je vois que les traversées se poursuivent et que rien n’est mis en place par les Etats pour leur venir en aide depuis 2015, date du début de SOS, je me dis qu’on est loin d’avoir fini notre mission. Maintenant notre modèle opérationnel est efficace. Il faut continuer à parler de cette situation, à dénoncer l’inaction des Etats et à appeler à la mise en place de mécanismes de solidarité européenne. C’est aussi une question de responsabilité collective ; je peux dire que les Etats sont défaillants mais que faisons-nous, nous citoyens ? La question se pose individuellement. Soit on est spectateur, soit on est citoyen, on agit et on fait partie de cette chaîne de solidarité qui a permis de sauver 34 203 personnes en 5 ans. »
Crédit photo : David Orme / SOS MÉDITERRANÉE
« Les seules personnes qui prennent des responsabilités sont les citoyens«
Tanguy, marin sauveteur depuis 2016
« Convié par l’un de ses amis marin, Tanguy a décidé d’embarquer en 2016 à bord de l’Aquarius, le premier bateau de sauvetage de l’association SOS Méditerranée. « En voyant la situation en mer, je me suis dit que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ne valait pas grand-chose et que selon ta rive, ton origine, tu n’as pas les mêmes droits. En mer, il y a des lois à respecter, tu as le devoir de sauver les embarcations en détresse et tu ne choisis pas les gens que tu vas secourir. » Depuis sa Bretagne natale, il est allé rejoindre la Méditerranée. Ses formations de secouriste et de marin lui ont permis d’intégrer l’équipe de sauveteurs qu’il n’a d’ailleurs pas quittée depuis 5 ans. « Pour ce type de sauvetage ‘’de masse’’ il a fallu développer, inventer et créer des procédures qui n’existaient pas jusque là dans le sauvetage traditionnel. J’en ai fait mon métier parce que cela a du sens, parce que tout le monde n’a pas cette chance de savoir exactement pourquoi il est là, là où il est. Parce que c’est un privilège d’aimer son métier, c’est très motivant. Sur le bateau il y a toujours quelque chose à faire. » Malgré les blocages récurrents imposés aux bateaux d’ONG afin de stopper le sauvetage des personnes migrantes, le marin compte bien poursuivre sa mission : « Il y a un combat à mener. C’est plus confortable d’être là et d’essayer de faire quelque chose plutôt que d’être loin, indigné et de ne pas pouvoir agir. »
Crédit photo : Laurence Bondard / SOS MÉDITERRANÉE
« Ce n’est pas à l’Italie de faire face seule. L’Europe doit être solidaire«
Valeria Taurino, directrice de SOS Méditerranée Italie
Valeria Taurino est directrice de SOS Méditerranée en Italie depuis l’été 2020. Elle s’est engagée pour agir face à cette “crise humanitaire oubliée” : « Les crises humanitaires ne durent généralement qu’un temps. Les organisations font face à l’urgence puis elles changent de terrain ». Mais en Méditerranée, la problématique s’inscrit dans la durée et évolue : « Ces dernières années, les Tunisiens sont de plus en plus nombreux à vouloir rejoindre les côtes italiennes. Les traversées se poursuivent. Migrer a toujours existé ». Dans le pays en première ligne face à la Libye, la tâche des équipes de Valeria Taurino est loin d’être facile. « Si le ministre de l’Intérieur Matteo Salvini a laissé sa place, c’est bien la même politique qui est menée actuellement ». Malgré un changement de communication extérieure, la coordination avec les acteurs associatifs qui portent assistance en Méditerranée n’est toujours pas au rendez-vous. Et rien n’est fait pour aider l’organisation à poursuivre ses missions de sauvetage, Valeria Taurino parle même de « harcèlement administratif ». Néanmoins, la jeunesse italienne est porteuse d’espoir et s’engage sur ces sujets alors que les Italiens ne sont pas habitués à se mobiliser. Aujourd’hui, Valeria Taurino appelle à une solidarité européenne : « Ce n’est pas à l’Italie de faire face seule. Nous appelons l’Europe à agir et à prendre soin des nouveaux arrivants. Les institutions comme les citoyens doivent se mobiliser pour cela ».
Crédit photo : SOS Méditerranée
Témoignages recueillis par Hélène Bourgon et Coline Charbonnier en novembre 2021