5. La danse de Tamar et Vasili-version originale

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Mis à jour le 29/11/2021 | Publié le 26/11/2021

Tamar est américaine d’Alaska avec des origines israéliennes, Vasilis est grec, ils vivent à Bruxelles et nous confient les différents visages de leur interculturalité.

Un reportage à Athènes de Pavlos Kapantaïs

Extraits musicaux : Music Journey 2013 : Bouzouki solo et Karantinis. La musique du générique est un extrait de Marie Josie, de Podington Bear, Sound of Picture Production Library.

TRADUCTION :

TAMAR : C’est quelque chose à laquelle j’étais prête quand j’ai vu que je tombais amoureuse de Vasilis. C’était comme si l’opportunité de se sentir appartenir à une autre culture se présentait, de tomber amoureuse de cette culture et de pouvoir être acceptée par des gens avec qui j’ai envie d’apprendre l’histoire de la Grèce, la philosophie. Et cela me donne envie d’apprendre encore et encore quand je vois que je suis si bien accueillie et intégrée bien qu’on ne me dira jamais que je suis grecque mais je me sens vraiment appartenir à cette culture.

VASILIS : Je m’appelle Vasilis Katsardis, je suis journaliste, enfin je l’étais, maintenant je travaille au parlement européen à Bruxelles, j’ai 38 ans. Je suis né à Montréal au Canada où mes parents sont partis faire leurs études. J’ai aucun souvenir là-bas, j’étais très petit quand on est partis. J’ai grandi à Athènes, à Nea Smyrni, un quartier très proche du centre d’Athènes. C’est une commune qui a été fondée par des réfugiés grecs venus d’Izmir en Turquie et que nous appelons Smyrni. Ma famille n’est pas réfugiée, mais comme j’avais plein d’amis qui l’étaient à l’école et à l’équipe de basket j’ai été très influencé par différentes cultures. Je suis parti de Grèce le 11 Septembre 2006 pour aller en Grande Bretagne, à Londres étudier le journalisme International à l’Université City et obtenir un Master. J’avais 23 ans à l’époque et deux mois plus tard j’y ai rencontré l’amour de ma vie.

TAMAR : Mon nom est Tamar Lavy, j’ai 38 ans, je vis à Bruxelles avec mon homme grec nous avons une petite fille de 5 ans, qui parle nos deux langues, et nous lui lisons beaucoup de livres d’enfants dessinés car je suis illustratrice de livre pour enfants, je suis une artiste. Nous avons plusieurs collections de livres pour enfants en anglais et en grec. Récemment j’ai eu beaucoup de travail artistique, en peinture pour l’illustration de livres. Et je peux dire que la Grèce m’inspire quand je pense aux paysages grecs que nous avons visités, les météores, la nécropole, les amphithéâtres, les cyclades, cela m’épate ! On est allés au mont Pélion l’été dernier et j’ai vu un arbre qui avait des milliers d’années, et je sentais que rien ne m’incitait à faire de l’art autant que les paysages grecs. Il est clair pour moi que je suis tombée amoureuse de la culture grecque et de la philosophie avant que je rencontre Vasilis.

J’ai étudié en Alaska dans une école où nous devions aller étudier l’art grec, et plus tard quand je suis rentrée en Angleterre j’ai choisi la philosophie grecque à l’université. J’ai fait mon master à Cambridge en psychologie et éducation et cela m’a conduit à la réalisation de 11 livres pour enfants jusqu’à ce jour. Cela me donne aussi l’occasion de découvrir ce qu’il se passe dans la psychologie grecque ! Il s’est donc passé beaucoup de temps avant que je tombe amoureuse de cet homme et de ce pays dans un premier temps.

VASILIS : A Londres je me suis fait plein d’amis et c’est ainsi que j’ai rencontré Tamar. Dès le début, ce qui m’a le plus impressionné ce sont ses yeux bleus qui étaient extrêmement expressifs et le sont toujours. Quand on s’est rencontrés elle m’a dit “peut être qu’on pourrait aller plus tard chez moi pour manger un bout !”. Chose qui n’arrive jamais à Londres !

Finalement je l’ai raccompagnée jusqu’à chez elle, on s’est embrassés, sans se dire si on allait rester ensemble ou pas évidemment ! On était donc en bas de chez elle, un immense bloc avec plein d’appartements, sur un banc en train de s’embrasser. Moi j’attendais, en vain, qu’ elle m’invite à monter en haut. Et à ce moment, un renard est passé près de nous. On l’a regardé. Les renards vivent à Londres un peu comme les chats vivent à Athènes c’est-à-dire dans la nature, oui. Et Tamar a eu les larmes aux yeux…Comme elle m’a expliqué par la suite, elle a eu les larmes aux yeux car elle a vu un bout de nature sauvage a l’intérieur de cet enfer de béton. C’ est là que j’ ai compris que comment dire, qu’elle a une âme, qu’elle est pas juste un faux sourire. 

Dès la première semaine je me disais dans mon for intérieur “ok tu peux dire ce que tu veux, moi je t’ épouserai ».

TAMAR : Mon père pensait que c’était complètement dingue d’apprendre la philosophie grecque mais il a senti que ce serait pour moi un exercice tout au long de ma vie pour finir au final avec un Grec.

Ma mère a pensé de Vasilis que c’était quelqu’un d’ouvert et d’honnête, qu’il avait de beaux traits de personnalité et que c’était quelqu’un chaleureux et accueillant. Et de la même façon j’ai pensé que la mère de Vasilis et sa sœur avaient le même regard sur moi dans leurs yeux. Et même si je représentais une certaine altérité, une différence dans sa famille, je pense qu’elles ont apprécié le fait que j’avais un certain intérêt pour leur culture et elles ont vu que j’aimais leur fils profondément. C’est l’intention qui nous a permis de nous aimer l’un et l’autre. Je savais que même si sa mère et sa grand-mère avaient dit quelque chose comme quoi j’avais un peu honte de mon corps ou parlaient de choses très confidentielles, je devais m’adapter à cette façon d’interagir qui est très méditerranéenne.

VASILIS : En 2013, l’année où on s’est mariés, on est restés en Grèce, car moi j’ ai dû faire mon service militaire obligatoire.

Pendant cette année donc Tamar travaillait et elle habitait aussi avec ma mère. Ce qu’ on a le plus remarqué c’est que dans la plupart des bandes d’ amis en Grèce il y a une immense difficulté, quand tu sors, de faire parler les gens en Anglais et de le rendre inclusif par rapport à la personne qui ne parle pas grec. Cela nous a créé beaucoup de problèmes, et des problèmes relationnels avec mes amis très proches que je considérais comme des frères ! Parfois c’était même pas le fait qu’ils ne parlaient pas bien Anglais, c’était juste leur mentalité et ils se disaient que Tamar n’allait pas se vexer s’ils continuaient à parler grec, chose qui est un peu déshumanisante je trouve. C’est comme si l’autre, celui qui est différent est un fruit, un légume, mais pas un être humain à part entière. Donc je ne vais pas essayer de me comporter de manière différente et faire des efforts pour elle.

D’abord on est des citoyens du monde, et par la suite on est grecs, orthodoxes, juifs, israéliens ou d’autres choses encore.

TAMAR : A la cantine, le déjeuner ouvre à 11h jusqu’à 14h30, tu vois les gens arriver par vagues, il y a ceux qui prennent leur déjeuner assez tôt et ce sont en général des nord européens et ceux qui arrivent plus tard sont plutôt des méditerranéens.

VASILIS : Un autre beau petit truc très méditeraneen, c’est que jusqu’à aujourd’hui notre langue secrète pour nous dire quelque chose discrètement, si on est avec sa famille ou avec la mienne, c’est l’espagnol car nous le parlons tous les deux…

TAMAR : Notre couple est un mélange méditerranéen. Si tu parles d’une identité juive tu dois parler d’une identité israélienne et si tu parles de l’identité israélienne automatiquement tu dois parler de politique, et de la politique régionale et donc de l’histoire de l’Europe. Et on va aussi parler du contexte de la guerre du Péloponnèse et de la profondeur des histoires de famille, sur la fin de l’ère moderne grecque. Vasilis a une partie de sa famille qui a pris part à la résistance grecque. Ils ont été persécutés par les allemands.

VASILIS : Elle est amoureuse de l’eau cette femme, vous savez quand dans un couple que ce soit la femme ou l’homme, quand vous allés à la plage et que l’un se plaint qu’il fait trop chaud et qu’il ne va pas vraiment se bainger et bien là, je la vois qui fonce sauter dans l’eau, comme moi comme un enfant, jouer dans l’eau et dire j’aimerais rester ici toute ma vie, il est clair qu’elle aime la Méditerranée, elle aime la mer !

TAMAR: Mon père vient d’Israël où il vivait dans un kibboutz, c’est-à-dire une forme de vie communautaire. Vous pouvez aller librement dans les différentes indépendances, et les piscines et quand vous êtes enfant c’est génial !

Et j’ai vu que Vasilis vivait la même sorte d’expérience quand nous sommes allés dans un village grec l’été, nous étions dans un hotel avec quelques amis et la configuration était un peu la même où on pouvait aller et venir d’une indépendance à une autre autour de la piscine, l’un d’eux était juif et je lui ai demandé si cela lui rappelait quelque chose, il me répondit le Kibboutz ! et nous nous sommes mis à rire. Se laisser porter toute la journée entre la piscine et les jeux autour des maisons, ces éléments appartiennent à l’enfance et à la liberté et je l’ai vécu avec Vasilis dans son pays. J’espère que nous saurons transmettre cette liberté à notre fille.

VASILIS : En Grèce on peut avoir à peu près une idée sur les attentes des femmes grecques. A Bruxelles, c’est très multi culturel, il y a des Egyptiens, des Pakistanais et bien d’autres nationalités, je supposais qu’au final j’aimerais être avec une femme qui a la même culture afin qu’on se comprenne mieux. Mes parents étant divorcés, je considérais le mariage comme un échec mais la rencontre avec Tamar m’a fait prendre conscience que l’amour est plus important. Attacher plus d’importance à la personnalité de l’autre plutôt qu’à son origine, me fait me sentir mieux et me rend plus chaleureux avec les autres qu’avant.

TAMAR : Nous aimons tous les deux, les cercles de danse. Dans la culture juive on les pratique aussi et je pense qu’on a un intérêt commun pour les danses où on exécute avec d’autres les mêmes mouvements ; j’ai de la chance d’être tombée sur un homme grec avec qui on a fait cette expérience en Grèce, et j’espère que ma fille aura l’occasion de danser en cercle dans les communautés juive et grecque, qu’ à son mariage on puisse avoir nos amis respectifs qui jouent de la musique juive et grecque et qu’il soit permis de faire des cercles de danse grecs et juifs en même temps. Notre fille s’appelle Tovah Niovi, Tovah signifie “le bon dans ton cœur, le bon devin”, c’est le nom de ma grand-mère grecque et Niovi cela veut dire “posséder de très beaux sens”, et Niovi veut aussi dire “nouvelle vie”, donc son prénom veut dire “belle nouvelle vie”.

VASILIS: Au début de sa première année de naissance on a eu beaucoup de discussions sur l’école où elle irait, quelles langues elle devrait choisir, et on a une réelle peur commune car on parle en anglais tous les deux à la maison, Tamar lui parle en anglais et l’anglais est une langue commune. Mais maintenant que Tovah est à la maternelle, c’est le langage de la maternelle qui prend le dessus, le français. Avec ses amis, ils parlent en anglais ou en grec, à la maison la langue de la famille est importante mais ce sera toujours le langage de l’école qui prendra le dessus.

Tamar : On a trouvé chez nous un équilibre, un parent une langue, donc Vasilis lui parle en Grec et je lui parle en anglais et je ne lui parle pas grec et Vasilis ne lui parle pas anglais. 

Je lutte souvent pour savoir qui je suis entant que femme quand je suis en Grèce et j’ai toujours une sorte d’attaque de panique avant d’aller là bas pour les vacances d’été, parce que je sais qu’entant que femme je vais être critiquée et je ne sais pas comment je vais réagir, mal ou alors en rire et rester détendue. Parce que je sais qu’il va y avoir beaucoup de discussions autour du corps, de l’apparence, de la pudeur corporelle, c’est très déstabilisant car la référence est “mange ce plat”, “teste le”, “mange”, “mange”, “mange”, mais ne mange pas ! et parlons un peu du fait de ne pas manger, parlons de ton poids !

VASILIS : pourquoi tu manges ?

TAMAR : pourquoi tu manges ?

VASILIS : pourquoi je te nourris ?

TAMAR : qu’est ce qu’il se passe dans ta bouche ? 

Je ne sais pas très bien ce qu’il s’est passé pour la révolution féministe dans l’histoire moderne grecque, je ne sais pas s’il y en a eu une. Mais ce que je perçois c’est qu’il n’y pas eu de grande révolution pour elles, dans l’histoire et donc il y a un manque certain aujourd’hui dans leur éducation. Ce que je comprends surtout c’est que cette révolution des femmes s’est plutôt jouée dans la manière dont elles ont le contrôle sur leur propre famille. Elles ne se sont peut-être pas beaucoup battues par le passé pour leurs droits pendant la révolution car elles avaient déjà un certain pouvoir dans l’espace domestique ce qui selon moi est confortable, car les violences s’exercent plutôt entre femmes. Par exemple une femme va mettre des heures à cuisiner un plat et si ce plat n’est pas réussi, elle va se faire critiquer, et comparer avec une autre femme qui a fait mieux car elle a mis 8 heures de plus…Enfin bref les arguments féministes de garder les femmes à la cuisine et de garder la prochaine génération de femmes à la cuisine, je ne suis pas vraiment d’accord et notamment avec la façon dont les mères grecques détiennent le pouvoir dans l’espace domestique. Je pense que cela laisse spécifiquement les jeunes hommes sans les outils pour pouvoir vivre seul, et ceux que je connais sont comme pris en otage par cet espace domestique au cœur de la famille. Ils ne s’en rendent pas compte et je me sens frustrée parce que cela ne contribue pas à ce que les femmes aient plus de pouvoir à l’extérieur, dans l’espace public où elles n’ont pas le contrôle. Donc ma question est de savoir ce qu’il s’est passé lors de la révolution féministe ?

VASILIS : On a eu une dictature et nous avons raté notre mai 68, il est si loin derrière…

TAMAR : Donc j’ai beaucoup appris avec la famille de Vasilis sur la situation des femmes en Grèce, j’ai appris à propos de ce qui est bien accueilli, ce qui est bien accepté, ce qui est considéré comme sexuel, comme dans les films grecs ! Et je pense que je comprends mieux ma belle mère en regardant le film grec « Jamais le dimanche », maintenant je comprends sa culture ! Car pour moi ce n’est pas ok dans la culture anglaise d’avoir une passion sexuelle et ensuite de pleurer, puis de rire, et de danser, ce n’est pas possible de passer de l’un à l’autre comme ça. Et dans ce film la femme grecque passe par ces émotions et pour moi c’est assez énigmatique, de pouvoir switcher ainsi d’une émotion à l’autre.

VASILIS : Des millions de choses ont changé ces 15 dernières années avec Tamar mais la façon dont elle aime la mer quand on est dans la Méditerranée n’a pas changé et chaque été nous n’allons nulle part ailleurs.