Au check-point d’Erez, les Israéliens scrutent chaque mouvement depuis leurs miradors. C’est le seul point de passage pour les Palestiniens qui souhaitent se rendre dans l’État hébreu. Le reste de la bande de Gaza est entouré d’un mur de béton massif et de clôtures, gardés par des soldats israéliens lourdement armés. Mais depuis le printemps 2020, Erez est vide. Israël a déjà totalement fermé la frontière par le passé, comme durant la guerre de 2014. Mais qui, à Gaza, aurait imaginé que le territoire serait un jour bouclé à cause d’un virus ?
Les dernières années, environ 5 000 Gazaouis se rendaient chaque mois dans l’État hébreu, avec dans leur poche un précieux sésame dont beaucoup rêvent : un permis de travail pour Israël. 5000, c’est une goutte d’eau par rapport aux deux millions d’âmes qui peuplent Gaza. Mais cela représente des entrées d’argent significatives pour de nombreuses familles palestiniennes. Avec l’apparition du Coronavirus en mars 2020, le nombre d’entrées chute à 1 000 selon l’organisation israélienne de défense des droits de l’Homme, Gisha. Et à partir de juillet, aucun Palestinien ne se rend en Israël. L’Etat hébreu a totalement bouclé l’enclave à cause du Coronavirus qui fait des ravages côté israélien et commence à se répandre à Gaza. Les travailleurs gazaouis sont coincés de part et d’autre de la frontière. C’est le cas de Moataem. Ce trentenaire travaillait en Israël avant le Covid-19, « dans des fermes près de la frontière. » Il gagnait sa vie dans l’agriculture : « c’est courant pour les travailleurs palestiniens en Israël : soit l’agriculture, soit le bâtiment. » Mais depuis mars dernier, Moataem n’est pas sorti de Gaza : « avec l’interdiction de circuler vers Israël, le niveau de vie des travailleurs palestiniens s’est considérablement dégradé. »
Travailleurs palestiniens, secoués au fil des crises
« Je travaille dans le bâtiment. A Gaza, j’ai longtemps travaillé pour 20 shekels par jour. En Israël, c’était 500 shekels ! » lance Mohammad*, père de famille de 55 ans qui a travaillé pendant six mois en Israël avant la crise sanitaire. Le salaire minimum israélien s’élève à 5 300 shekels (soit 1 340 euros) alors qu’il atteint les 1 450 shekels (368 euros) à Gaza, selon l’Organisation internationale du travail (OIT). Les conditions de travail sont précaires et les abus des employeurs israéliens, qui profitent de la fragilité des Palestiniens, sont régulièrement dénoncés par l’OIT. Mais le salaire est attractif. Les demandes sont donc nombreuses. Elles débouchent cependant rarement sur une réponse positive : « les dernières années, très peu de Gazaouis ont obtenu un permis », affirme Miriam Marmur, de l’ONG Gisha.
« A une certaine époque, les travailleurs palestiniens étaient bien intégrés dans l’économie israélienne », note le chercheur Cédric Parizot. « A partir de 1967 , de nombreux Gazaouis ont commencé à travailler en Israël ». Ils représentent 500 000 travailleurs palestiniens en Cisjordanie et à Gaza à la veille de la Première Intifada. Mais les crises successives affectent largement les travailleurs palestiniens. « Avec les deux Intifada (1987-1993 et 2000-2005), Israël a multiplié les restrictions », indique Miriam Marmur. Suite à la victoire du Hamas aux élections de 2006 et sa prise de pouvoir à Gaza l’année suivante, l’Etat hébreu a imposé un blocus drastique sur la bande côtière. Les travailleurs en ont fait les frais
Survivre à Gaza
De retour dans le territoire palestinien enclavé en mars dernier, les milliers de Palestiniens qui travaillaient en Israël ont cherché un emploi dans une économie déjà sinistrée. Sans grand succès. Selon Omar Shaaban, chercheur et Directeur de PAL-Think** : « à Gaza le taux de chômage était déjà élevé avant le Coronavirus, autour de 45%. Le blocus et les frappes israéliennes ont plongé un grand nombre de Gazaouis dans la pauvreté ces dernières années. Le Coronavirus a rendu la situation encore plus difficile à cause du confinement. »
Dans l’enclave palestinienne sans ressources, les Gazaouis n’ont pas de protection sociale en cas de perte d’emploi. « On doit compter sur nous-mêmes », indique Mohammed, « avec ma femme et mes six enfants, on survit grâce à mes économies. On ne reçoit aucune aide. » La voix tremblante, il ajoute : « la vie à Gaza est terrible. Depuis le Corona, il n’y a plus d’argent. Je dois retourner travailler en Israël, je n’ai pas d’autre option pour aider ma famille et vivre décemment. »
*le prénom a été modifié
** un think-tank basé à Gaza
Photo : travailleur agricole palestinien collectant des pêches à Khan Yunis, Gaza – 14 mai 2020. Crédit Abed Sayma pour 15-38 Méditerranée