[La crise économique engendrée par le Covid-19 a touché des milliers de familles pauvres et a fragilisé celles les plus précaires, mais les aides alimentaires et parfois financières, que ce soit de la part de l’état ou de la société civile ou encore des réseaux informels, ont été aux rendez-vous.
À Salé, la ville voisine de la capitale marocaine Rabat, vivent presque un million d’habitants. Le 20 Mars, le Maroc a annoncé le confinement total de la population. Dans la ville, où l’artisanat est le secteur socio-économique le plus important, le télé-travail n’était pas une solution. Plus de 47 000 artisans à Salé forment un important secteur informel, selon les autorités de la ville. Dans le quartier de Tabriquet, les habitants ont mis en place un réseau de soutien. « La majorité des femmes auxquelles j’enseigne sont des femmes au foyer, des veuves sans aucun revenu, Elles souffrent de plusieurs maladies chroniques, sont incapables de travailler, ou leurs maris sont ouvrier.s J’ai eu l’idée d’organiser une collecte pour aider celles dans le besoin», explique Fatiha Karim, enseignante des règles de Tajwid du Coran à la mosquée Ramadan à Salé et trésorière du réseau. « Nous avons fait une liste de produits que nous voulions acheter, et une liste des bénéficiaires : les veuves avec des enfants en situation d’handicap, les femmes des vendeurs ambulants ou des ouvriers du bâtiment payés à la journée, les femmes divorcées… » Le mois de Ramadan est une période où les familles marocaines dépensent plus que d’habitude pour leur alimentation, selon une enquête réalisée par le Haut Commissariat au Plan en 2014. Chez les ménages pauvres, cette hausse de consommation est de 22,5% et elle monte à 40% chez les plus aisés.
L’initiative d’aider les ménages pauvres pendant ce mois sacré a suscité l’intérêt des voisines de Fatiha. «J’ai programmé une petite réunion avec des femmes qui voulaient cotiser et je leur ai proposé de faire des paniers de Ramadan pour des personnes que nous connaissons au sein de la mosquée. Elles ont commencé à donner selon leurs capacités financières de 50 dirhams à 2000 dirhams (4.6 à 184 euros), ce qui m’a permis d’acheter des produits alimentaires pour 15 paniers» poursuit-elle. A l’intérieur des paniers, des denrées alimentaires de base pour le mois de jeûne, comme des dattes, de l’huile, de la farine, du thé, du café, des lentilles, des pois chiche, du sucre, et de la tomate en conserve.
Mobilisation de la société civile
L’épidémie de Covid-19 avait provoqué 228 décès dans ce pays de 38 millions d’habitants, selon le décompte des autorités du 1er juillet. L’épidémie a mis le doigt sur les inégalités et les fragilités dans la société marocaine. Mais elle a aussi provoqué la mise en place d’initiatives de solidarité par la société civile. Nomadvolenteers, une association marocaine fondée en 2016 et basée à Salé, mène habituellement des actions de solidarité principalement en zone rurale. Son activité principale est d’aider les enfants des villages reculés à étudier en bâtissant des petites classes et en recrutant des enseignants. Face à la pandémie, elle a lancé un programme de soutien alimentaire et parfois financier « Nous avons lancé un appel aux dons au profit des familles démunies. Nous avons aidé entre 150 et 160 familles de différentes villes et de différents douars. Grâce aux généreux donateurs, nous avons également aidé les personnes ayant perdu leur emploi à payer le loyer, et les médicaments pour certains cas», affirme Mohammed Elaboudi, le responsable communication de l’association.
Des aides pour les travailleurs du secteur informel
La suspension de l’activité du secteur informel a aggravé la situation des ménages ayant perdu leurs sources de revenus. Les journaliers, vendeurs ambulants, artisans, ou les femmes de ménage ont bénéficié de l’aide du régime d’assistance médicale (Ramed) pendant les trois derniers mois, grâce au Fonds spécial coronavirus, créé par instructions royales : 4,3 millions de familles tirant leurs revenus du secteur informel ou de métiers précaires vont bénéficier d’aides financières directes. La somme allouée varie entre 800 dirhams et 1200 dirhams (entre 76 et 113 euros) a annoncé le ministère de l’Economie, en fonction du nombre de personnes composant le ménage. Les premières familles à en bénéficier sont les ménages ayant plus de deux des enfants, puis ceux ayant moins de deux enfants, et enfin les veufs, veuves et célibataires.
« La première fois, ils ont refusé de me verser de l’argent parce que je suis célibataire, raconte Fatima, 43 ans, travailleuse domestique et qui fait partie des bénéficiaires. Mais je continuais à les contacter et à leur expliquer ma situation. Après quelques jours, j’ai reçu un SMS qui comprend un code et le nom du réseau où je peux effectuer le retrait de chez Albarid bank ». Omar, un jeune homme de 33 ans en situation de handicap a lui aussi bénéficié des aides de l’État : « Je travaillais dans une station de service à Tétouan. Après la déclaration de l’état d’urgence, j’ai perdu mon emploi et je suis revenu dans ma ville, Salé. Ils m’ont envoyé 1600 dirhams (152 euros) au total pour deux mois. Certes ce n’est pas suffisant, mais au moins je sens qu’il y a des personnes qui comprennent ce que j’endure». Au mois d’avril, les autorités marocaines ont également mis en place un autre dispositif pour permettre aux travailleurs informels non inscrits au Ramed de se signaler, et d’obtenir eux aussi une aide financière équivalente. Le 19 mai, 5 millions de ménages travaillant dans l’informel avait bénéficié d’une aide de l’état, d’un budget total de 4,2 milliards de dirhams, selon Mohamed Benchaaboum, le ministre de l’Economie.
Soukaina El Mahfoud
Photos : Le marché de Sidi Moussa, à Salé, le 3 juillet 2020. © Mohamed El Idrissi. La vieille ville de Salé, vue de Rabat. © Christopher Rose