L’Etat hébreu veut s’imposer comme une puissance énergétique et renforcer ses liens avec les pays européens, 20 ans après les premières découvertes de gaz dans les eaux israéliennes.
Benyamin Netanyahou aux côtés des dirigeants grec et chypriote pour s’accorder sur l’exportation massive de gaz israélien vers l’Europe. Une décennie plus tôt, cette image aurait été impensable. Mais en découvrant d’immenses réserves de gaz dans les années 2000, Israël s’est imposée comme une puissance énergétique en Méditerranée. Privé de ressources, le pays a longtemps été dépendant de l’étranger pour s’approvisionner en énergie, faisant naître un sentiment de stress énergétique. Et pas seulement parce que la consommation moyenne d’un Israélien en électricité est supérieure à la consommation moyenne d’un habitant de l’Union Européenne. Aussi parce que le contrôle de l’énergie est associé à la sécurité du pays. «Une panne de courant qui rendrait inactifs les systèmes de surveillance et de défense du pays pourrait se révéler dramatique», explique David Amsellem, docteur en géopolitique.
Certains épisodes ont traumatisé Israël sur le plan énergétique : Boycott des livraisons de brut de la part de l’OPEP en 1973, fin brutale de livraison du gaz égyptien après la destruction de pipelines par des jihadistes en 2012. La découverte de plusieurs champs gaziers au large des côtes israéliennes, comme le champ Tamar en 2009 et le Léviathan, du nom du monstre biblique sous-marin, en 2010, a donc changé la donne pour l’Etat hébreu. Devenus autosuffisants pour les décennies à venir, les Israéliens ont dû trouver des débouchés pour leur gaz.
Diversifier les marchés d’une puissance énergétique montante
Une course contre la montre s’est engagée avant que cette ressource fossile ne perde de sa valeur, face à l’émergence des énergies renouvelables. La Jordanie et l’Egypte, en paix avec l’Etat hébreu, sont devenus des partenaires naturels pour l’exportation en janvier dernier. Du point de vue israélien, EastMed constitue un nouveau pas pour la diversification de partenaires et l’affirmation d’Israël comme un « grand producteur d’énergie » selon les mots de Benyamin Netanyahou. En pleine campagne électorale pour les élections législatives du 2 mars, le Premier ministre a présenté le projet tripartite comme « un accord historique ». La politique étrangère est son principal atout auprès de l’électorat de droite, en recherche de légitimité à l’international. Ces Israéliens ont le sentiment d’être mis au banc des nations à cause de la question palestinienne.
Cependant, le projet reste incertain. « Il coûte très cher (environ 7 milliards de dollars, ndlr) et semble complexe à mettre en œuvre», assure David Amsellem. EastMed paraît plus politique qu’énergétique. « Le but réel pourrait être, pour Israël, de raffermir la coopération avec certains pays européens», ajoute-t-il.
Malgré ses failles, EastMed incarne le renversement des alliances en Méditerranée orientale. A l’origine, Israël s’était rapproché de la Turquie pour exporter son gaz. Mais depuis l’arrivée de Recep Tayyip Erdogan au pouvoir, « la confiance s’est effritée entre les deux pays, assure le géopolitologue Gabriel Mitchell. Chypre et la Grèce sont devenus des partenaires plus fiables pour l’Etat hébreu».
Maintenir la dépendance des Palestiniens
Parallèlement, les Palestiniens pourraient se retrouver plus isolés. Depuis les premières découvertes, le gaz s’est immiscé dans les relations israélo-palestiniennes. Vu comme un outil de rapprochement et comme un moyen de mener à bien le processus de paix, à la fin des années 1990, il devient objet de tensions après la Seconde Intifada et la prise de pouvoir dans la bande de Gaza par le Hamas. Pour les Israéliens, maintenir la dépendance énergétique des Palestiniens peut être l’un des outils pour maintenir la sécurité nationale. Côté palestinien, les projets d’importation du gaz israélien sont susceptibles de provoquer la colère de la population, qui préfèrerait une exploitation de Gaza Marine, un champ gazier découvert en 1999, au large de la bande de Gaza, pour être autonomes.
Les projets d’importation de gaz israélien n’ont jamais abouti, EastMed n’aura donc pas d’impact direct sur les Palestiniens, qui continueront de dépendre d’Israël, et, dans une moindre mesure, de l’énergie égyptienne et jordanienne. Mais pour le spécialiste de l’énergie Tareq Baconi, le commerce entre les Européens et Israël pourrait se renforcer avec l’accord EastMed, avec pour conséquence « la réticence accrue de l’Union européenne à critiquer Israël pour sa politique dans les territoires palestiniens occupés».
Ines Gil
Photo : Benyamin Netanyahou aux côtés des dirigeants grec et chypriote lors de la signature du projet East Med. Crédits : « Nouvelle Démocratie ».