Pendant le conflit en Syrie, personne ne pouvait sortir, sauf les assassins. Dans une ville comme Homs, où les services de renseignement arrêtaient n’importe quel passant au hasard, tiraient contre les civils, dès le début des événements en mars 2011 ; les habitants se terraient chez eux.
Un silence horrible envahissait la ville. Les familles, les amis, les proches, vivaient tous dans la même pièce, passaient de longues soirées à échanger des blagues, plaisantaient. Pour éloigner les fantômes de la mort, atténuer le bruit des balles qui dominait le quartier, certains profitaient de chaque instant de la vie : demain, peut-être, on ne serait plus là.
Depuis l’invitation gouvernementale française à rester chez soi, je n’arrête pas de comparer les deux situations. A Paris, les alentours de la place de la Bastille, les rues et terrasses occupées en permanence, sont désormais déserts. Comme à Homs en mars 2011. Mais ici on est face à un nouvel ennemi qui peut être plus dangereux qu’un dictateur ; ce dernier on le connait, on sait qu’il va bombarder la ville, nous emprisonner, torturer, mais les effets du Corona virus ne sont pas clairs, on n’a pas non plus d’arme pour y résister, il est partout.
En cette période de peur, comme dans un conflit, on a besoin de grande solidarité, d’affection et d’être, plus que jamais, entouré par les gens qu’on aime, sauf que le danger vient de ce besoin ! On ne peut plus approcher des amis, de la famille, obligés de les contacter par téléphone, ou par les réseaux sociaux, ce qui augmente notre solitude, de la quelle on a tellement envie de s’éloigner pour éviter d’être pris de panique générée par cette nouvelle maladie. On est isolés à la maison, on court faire les courses, évitant de toucher les gens, les marchands, les poignées de porte et tous les objets métalliques.
Je pense à quel point la mort par ce virus pourrait paraître surréaliste pour un réfugié syrien qui a déjà perdu sa famille, ses amis, qui a dû fuir pour sauver sa peau et échapper à ce régime fasciste, et de s’imaginer contraint de disparaître seul dans l’exil à cause d’un virus.
Mais comme il y a toujours des aspects positifs, Corona nous rapproche. Aujourd’hui, on contacte les gens tous les jours, même d’une manière virtuelle, pour prendre de leurs nouvelles. Ces liens humains on les vit aussi pendant une guerre traditionnelle, où être égoïste n’a plus de sens ; si la société tout entière ne survit pas à cette catastrophe, on est voué à tous disparaître. Le virus ne fait aucune différence entre pauvres et riches, on est obligé de se défendre tous ensemble, ce qui renforce les liens humains ; c’est la leçon la plus importante que l’on puisse tirer de cette maladie.
Dans les moments les plus durs, on peut découvrir ce dont nous sommes capables. Quand un virus peut arrêter toutes les activités d’un seul coup, quand on est obligé de tout changer suite à une décision de la nature, chacun perçoit à quel point on est fragile. C’est le temps d’exprimer notre force, de penser aux autres, le temps d’être vivants, ensemble, face à cet ennemi qui nous assiège.
Omar Youssef Souleimane
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Son premier roman « Le dernier Syrien » avec un entretien avec l’auteur dans notre rubrique Livres
Crédit Photo : Audrey Roussy