Si la vie a repris son cours en Arménie après quelques semaines de confinement, l’enjeu environnemental et la remise en question des sociétés et de leur mode de vie doivent être au cœur des réflexions selon Narine et Ghazar. Tout deux habitants de la capitale Erevan située à quelques kilomètres de la frontière turque, ils racontent de façon passionnée leurs différents engagements dans des projets à destination de la jeunesse.
Portrait croisé par Hélène Bourgon
A 32 ans, Narine a déjà plus de 10 années d’expérience dans le domaine de la solidarité internationale et plus spécifiquement dans l’éducation non formelle des jeunes. Elle se consacre depuis ses 22 ans à des projets associatifs qui permettent aux jeunes d’accroître et de mettre en valeur leurs compétences et de s’accomplir professionnellement. « J’aime faire ce que je fais, je vois leurs progrès, jour après jour, et ils me renvoient une belle image d’une personne qui les aide dans leur vie à réaliser leurs projets », confie Narine. « C’est utile et le secteur non formel permet une liberté extraordinaire où l’on voit concrètement les résultats. » En Arménie et au delà des frontières, au cœur de l’Europe de l’Est, l’Europe orientale, l’association Youth Power dont elle est co-fondatrice propose des ateliers d’éducation civique, d’autonomisation dans le travail, dans les compétences et dans les projets professionnels, mais aussi des groupes de réflexion où il est question de genre et des droits des hommes et des femmes. L’une des causes soutenue et défendue par Narine et Ghazar est également celle des arméniens syriens, ils sont 20 000 à avoir rejoint l’Arménie depuis le début de la guerre en Syrie. Les jeunes ont particulièrement besoin de soutien pour s’intégrer et poursuivre leurs études.
« J’ai réalisé à quel point il était difficile pour les familles syriennes d’origine arménienne de vivre dans notre société alors qu’on partage la même origine. Ils sont confrontés à plusieurs problèmes, dont celui de la langue car ils parlent un autre dialecte arménien et ils ont du mal à trouver du travail. Le gouvernement devrait avoir plus d’attention et prévoir de l’aide pour eux», du haut de ses 24 ans, Ghazar, lui aussi embarqué dans l’ONG Youth Power cumule plusieurs passions dont la vidéo qu’il expérimente lors d’ateliers et d’interviews auprès des familles de syriens d’origine arménienne. « J’ai commencé à faire de la vidéo pour plusieurs projets à destination de la jeunesse. Avec les participants que j’encadre, on traite plusieurs sujets, comme l’autonomisation des femmes, la migrations, l’environnement et j’apprends beaucoup de la société dans laquelle je vis. »
Narine et Ghazar sont engagés dans une organisation pour l’éducation à la citoyenneté financée par l’Europe qui permet d’encadrer les jeunes syriens étudiants, et leur mettre à disposition des outils pour qu’ils puissent s’intégrer plus facilement avec l’aide du ministère de l’éducation. « Ils ont besoin de solutions, c’est pourquoi on a mis en place un projet d’intégration spécifique pour eux, et notamment pour les jeunes qui sont nés en Syrie. En Arménie, on parle différents dialectes entre l’est et l’ouest. On a donc mis en place des cours de langue spécifiques pour les réfugiés syriens dans trois lycées afin qu’ils puissent ensuite intégrer les écoles arméniennes. » Le travail des organisations dont font partie Narine et Ghazar a permis de faire remonter à la municipalité et au gouvernement des recommandations et de faire respecter les droits de ces nouveaux arrivants avec qui ils partagent des origines et une Histoire communes.
Droits des femmes en Arménie
« Moi j’ai de la chance, ma famille m’a toujours encouragée à réaliser mes projets, ma sœur par exemple travaille dans les affaires, un milieu réservé aux hommes dans notre société. Dans la capitale il y donc beaucoup de parcours comme les nôtres, mais dans la majorité des cas, en Arménie, les femmes sont toujours exclues des projets de société, des postes reconnus, et notamment en politique où l’on compte très peu de femmes au sein de notre parlement », remarque Narine. Un avis partagé par Ghazar qui en plein master 2 de Droit, s’intéresse aux questions de violences intra familiales et au droit des femmes sur le marché du travail. « Beaucoup d’Arméniens pensent que la place de la femme est dans la cuisine et qu’elles ne sont pas en position de décider quoique ce soit. » Les questions de genre sont donc très peu abordées dans la société arménienne et représentent un véritable challenge pour ces deux jeunes engagés. « On a un grand problème avec les questions LGBT et les groupes de jeunes que nous recevons ne sont pas toujours prêts à en parler. On a donc créé des outils pour une approche en douceur. Parfois les familles pensent que c’est mal et interdisent à leurs jeunes de participer à nos ateliers », ajoute Narine. Malgré ce contexte, ils ont pu constituer 35 groupes de jeunes de 18 à 35 ans venus parler des droits des hommes et celui des femmes dans tout le pays et participer ainsi à l’évolution de certains mœurs restés très ancrés dans la société arménienne.
AJCM, l’occasion de découvrir les cultures méditerranéennes
« Je n’avais pas eu la chance jusqu’ici d’aller dans l’espace méditerranéen et de travailler sur des enjeux environnementaux d’envergure internationale. C’est super de pouvoir le faire aujourd’hui, et depuis deux ans dans le cadre de l’AJCM », s’enthousiasme Narine. « Oui c’est vrai », renchérit Ghazar, « c’est important d’avoir accès à des projets qui se passent en Méditerranée et en lien avec la jeunesse, car nous partageons des problèmes communs notamment sur les stéréotypes de genre ou les préoccupations environnementales. Nous devons trouver ensemble des solutions ». D’après Narine, « tout ça n’est pas nouveau en effet, mais le besoin d’agir est urgent face à la pollution des mers, de l’air, du nombre de déchets et le manque de recyclage qui fait défaut en Arménie. Le plastique envahit toujours autant nos quotidiens », ajoute-t-elle. Le problème de l’eau, de la pollution des rivières, et la déforestation de masse sont deux questions qu’ils aborderont lors d’une visio-conférence avec des participants Egyptiens le 6 juin dans le cadre des journées AJCM qui se dérouleront cette année virtuellement ; une déception pour Narine qui aime particulièrement Marseille où elle s’est rendue à deux reprises pour le projet. « J’aime beaucoup cette ville française où il y a la plus grande communauté d’Arméniens. J’aimerais y retourner. Visiter aussi le Maroc d’où vient l’une de mes colocataires et le Liban, la Syrie d’où viennent nos ancêtres. »
Chanteur dans un groupe de musique, youtubeur, bloggeur et sportif, Ghazar, a hâte également de découvrir d’autres pays : « Après le coronavirus j’aimerais aller au Maroc, au Liban. C’est très intéressant de pouvoir interagir avec des Français, des Libanais, des Algériens, des Egyptiens. » Narine apprécie la plateforme mise en place sur le site de l’AJCM : « Elle nous permet de connaître d’autres pays et fait connaître notre pays aux autres participants. C’est important de faire partie de ce dialogue ! » Et concernant ce contexte mondial dû au coronavirus elle poursuit : « Cette pandémie devrait provoquer une prise de conscience, c’est un message que nous devons prendre au sérieux car il dit que nous faisons quelque chose de mal et que nous devons changer notre attitude et faire attention à ce qui nous entoure ». Faire de l’environnement une priorité pour tous les gouvernements du monde est le message de ces deux jeunes arméniens, qui ne manqueront pas de l’évoquer durant les ateliers des jeunes de Méditerranée.